Invasion russe en Ukraine : qu'est-ce qu'une économie de guerre, concept défendu notamment par Emmanuel Macron ?

Si l'expression est apparue lors de la Première guerre mondiale, elle n'a plus le même sens aujourd'hui. Elle traduit surtout la volonté de l'exécutif de "passer à la vitesse supérieure" en matière de défense.
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président français Emmanuel Macron, lors d'une conférence de presse à l'Elysée à Paris, le 16 février 2024. (THIBAULT CAMUS / AFP)

La guerre en Ukraine au cœur de l'agenda politique français. Mercredi 6 mars, Emmanuel Macron a rencontré les anciens présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande afin de parler de l'évolution du conflit et de l'aide apportée à Kiev. Jeudi, le chef de l'Etat réunit les leaders des principaux partis politiques à l'Elysée pour évoquer la situation en Ukraine, avant un débat et un vote au Parlement. 

Les oppositions ont récemment critiqué les propos d'Emmanuel Macron, qui n'a pas exclu l'envoi à terme de troupes occidentales en Ukraine. Depuis près de deux ans, le président français insiste aussi sur l'importance d'une "économie de guerre" en France et en Europe, pour mieux soutenir Kiev et répondre à Vladimir Poutine. "Une victoire russe, c'est la fin de la sécurité européenne", a-t-il alerté lors de ses vœux aux armées le 19 janvier.

"La France a un rendez-vous avec son industrie de défense, une industrie en mode économie de guerre."

Emmanuel Macron

lors de ses vœux

Que signifie le concept d'économie de guerre ? Quel sens revêt-il aujourd'hui avec la guerre en Ukraine ?

Une logique inversée

Derrière les déclarations, la notion d'économie de guerre a une définition historique bien précise. "L'économie de guerre, c'est la mobilisation radicale de toutes les ressources économiques d'une nation en faveur d'un effort de guerre", rappelle Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique.

Pour cet expert, une telle économie implique "une transformation de l'appareil de production" à la fois agricole, industriel, humain ou logistique "vers la production de ressources pour la guerre". L'objectif est donc de fabriquer des munitions et des armes, mais aussi de fournir par exemple à manger aux forces armées mobilisées au combat.

La guerre vient alors bousculer le modèle économique en place. "On change complètement la logique traditionnelle du rapport des Etats aux entreprises, note Renaud Bellais, codirecteur de l'Observatoire de la défense à la Fondation Jean-Jaurès. Nous sommes dans une logique d'organisation, pas une logique marchande. Car nous avons un problème d'urgence : le besoin de grande quantité d'équipements, rapidement."

"On sort d'une économie de marché traditionnelle avec la planification de l'effort de guerre."

Renaud Bellais, spécialiste de l'économie de la défense

à franceinfo

L'Etat doit dès lors "s'assurer que les acteurs économiques sont bien coordonnés" pour répondre aux besoins du front.

Un concept daté

L'expression d'économie de guerre est née au cours de la Première guerre mondiale, avant d'être développée au fil des décennies qui ont suivi, pointe l'économiste Eric Monnet dans Le Monde. Le concept évoque un mode de production, mais aussi une consommation limitée "pour gérer une pénurie imposée par les circonstances" et "pour développer l'épargne forcée destinée à financer la guerre". Un tel modèle, propre au contexte des grands conflits du XXe siècle, semble toutefois être une notion du passé.

"Aujourd'hui, personne n'y est réellement", confirme Olivier Kempf. Un pays en guerre comme la Russie a dédié 5,8% de son PIB à la défense l'an dernier. Cette année, elle doit porter cet effort à 7,5% du PIB, d'après l'Institut international des études stratégiques. Les Etats membres de l'Otan en sont très loin : ils seront 18 (sur 31) à franchir le seuil de 2% du PIB dédié à la défense cette année. Aux Etats-Unis, les dépenses militaires représentent 3,5% du PIB, contre jusqu'à 37% en pleine Seconde Guerre mondiale, d'après Renaud Bellais.

Qu'entend donc exactement Emmanuel Macron, lorsqu'il insiste sur cette nécessité d'un passage à une économie de guerre ? Les propos du chef de l'Etat sur "une entrée dans une économie de guerre", lors de son discours sur les industries de défense le 13 juin 2022, ont marqué les esprits.

"C'est d'abord de la communication. C'est une expression qui frappe l'imaginaire et qui peut servir à mobiliser les esprits."

Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique

à franceinfo

"La notion actuelle d'économie de guerre n'a pas grand-chose, voire rien à voir, avec ce que l'on a pu connaître dans le passé, poursuit l'expert. Il s'agit de dire qu'il y a des sujets stratégiques qui émergent : on doit peut-être changer notre ordre des priorités, dépenser davantage dans la défense, la réindustrialiser."

Ce discours se diffuse aussi à travers l'Europe, sur fond de possible recul de l'aide américaine à Kiev. Les propos récents sur l'Otan de Donald Trump ont agi comme un nouvel électrochoc. L'ancien président, qui aspire à un retour à la Maison Blanche en janvier, a prévenu que Washington ne viendrait pas en aide à un Etat-membre de l'Otan attaqué par la Russie, s'il juge que ce pays ne dépense pas assez en matière de défense. "Nous devons passer en mode économie de guerre pour l'industrie de défense, pour pouvoir fournir à l'Ukraine ce dont elle a besoin et pour notre propre sécurité", a appuyé Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, sur franceinfo.

Un investissement pour la défense

Quand Emmanuel Macron et l'ancien ministre parlent d'économie de guerre, ils impliquent "un réarmement industriel", décrypte Renaud Bellais. "C'est un sursaut, une préparation pour être capable de réagir" en cas de conflit, précise le chercheur. Il s'agit "de faire changer d'échelle et de rythme l'industrie de la défense", en second plan depuis des décennies dans un contexte d'après-Guerre Froide.

"Il faut réapprendre à travailler plus rapidement, accélérer le rythme pour faire plus et plus vite."

Renaud Bellais, spécialiste de l'économie de la défense

à franceinfo

Dans un rapport sur "l'économie de guerre", le député Horizons Christophe Plassard reconnaît volontiers que "notre modèle militaire et industriel, marqué par plusieurs décennies d'arbitrages budgétaires, n'est pas prêt pour un affrontement majeur". Le rapporteur émet ses recommandations et appelle entre autres à donner de la visibilité aux industries de la défense, à travers des commandes publiques. Il faut aussi, de l'avis de l'élu, sécuriser l'approvisionnement, assurer des stocks stratégiques et "rompre avec la logique de flux tendus qui prévaut aujourd'hui". L'accès des entreprises de défense aux financements, en particulier les PME, est crucial, ajoute-t-il. Le député note néanmoins l'effort budgétaire engagé par le gouvernement : la Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 prévoit un budget de la défense de 69 milliards d'euros en 2030, contre 32 milliards en 2017.

Mais l'enjeu est aussi, et peut-être surtout, européen. Pour Pierre Haroche, maître de conférences en sécurité internationale à l'université Queen Mary de Londres (Royaume-Uni), l'ensemble du continent doit "rentrer un peu dans une économie de guerre". En matière de défense, "il faut être capable de dépenser ensemble (...) en parlant d'une seule voix, expliquait-il récemment à franceinfo. L'enjeu, c'est la mutualisation et les économies d'échelle. Il sera beaucoup plus efficace de dépenser collectivement de l'argent. (...) On structure alors une industrie de défense, qui sait qu'elle a une visibilité à long terme."

Des actions ont déjà été lancées, comme la hausse de la production de munitions au sein de l'UE, même si les livraisons promises à l'Ukraine accusent du retard. D'autres pistes sont sur la table, à l'instar d'emprunts communs de l'ordre de 100 milliards d'euros pour la défense européenne – une proposition de l'Estonie. Mardi, la Commission européenne a présenté un plan de renforcement de l'industrie de la défense de l'UE. Des mesures pour "passer à la vitesse supérieure", a explicité Thierry Breton. 

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