Guerre en Ukraine : quelles peuvent être les conséquences des attaques de drones sur le territoire russe ?

A mots couverts, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a revendiqué les frappes qui ont touché Moscou, sans faire de blessé, dimanche et mardi. Cette prise de parole pourrait avoir des répercussions importantes pour la suite du conflit.
Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des policiers filtrent la circulation devant un immeuble incendié du quartier d'affaires principal de Moscou (Russie), après une attaque de drones le 30 juillet 2023. (ALEXANDER NEMENOV / AFP)

La guerre en Ukraine s'étend au territoire russe. Le Kremlin a annoncé, mardi 1er août, avoir déjoué une série d'attaques de drones qui ont notamment visé Moscou le même jour ainsi que dimanche. Ces attaques ont touché les mêmes tours de bureaux, situées dans le centre d'affaires le plus important de la capitale, sans faire de blessé. Le ministère de la Défense russe a également précisé que d'autres drones avaient été détruits, deux dans la région de Moscou mardi, 16 en Crimée dimanche et neuf autres en mer Noire, également sans faire de victimes. Un commissariat a aussi été visé dans la région de Briansk, à la frontière avec l'Ukraine, selon le gouverneur régional.

Côté ukrainien, le président Volodymyr Zelenksy a semblé rompre avec son habitude de ne pas revendiquer les opérations menées en Russie. "Progressivement, la guerre revient sur le territoire russe, dans ses centres symboliques et ses bases militaires, et c'est un processus inévitable, naturel et absolument juste", a déclaré dimanche le chef de l'État ukrainien, en marge d'une visite dans un hôpital. Franceinfo vous décrypte les conséquences de ces attaques de drones en Russie et de cette prise de parole inédite. 

La Russie a riposté en intensifiant ses frappes

Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a affirmé lundi que l'intensité des frappes sur les infrastructures militaires ukrainiennes avait "augmenté en flèche" en réponse aux offensives visant le territoire russe. Au lendemain des premières attaques de drones, dimanche, sur Moscou, la ville natale du président ukrainien, Kryvyï Rig, a été touchée par une frappe russe. Un immeuble s'est embrasé, faisant au moins six morts, dont une fillette de 10 ans, et plus d'une cinquantaine de blessés, selon l'AFP. 

Un autre missile s'est abattu sur un établissement d'enseignement. Volodymyr Zelensky a partagé sur sa page Facebook des images des dégâts en dénonçant "le terrorisme" russe. Il s'agit du même terme qu'a employé le ministre de la Défense russe pour qualifier les frappes de drones sur sa capitale. "Moscou va combattre ces actes terroristes", a également martelé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

L'opinion publique russe pourrait "remettre en question le discours de Poutine"

Plusieurs témoignages de Moscovites, publiés par le média russophone basé en Lettonie Meduza et le quotidien français Le Monde, font état d'un sentiment de panique survenu dans la capitale dimanche matin. Des secousses et des explosions ont fait tomber des citadins de leur lit, avec la sensation que leur immeuble allait s'effondrer. Cependant, ces frappes visant "un centre économiquement névralgique" restent essentiellement "un symbole", selon Alain De Neve, analyste de l'Institut royal supérieur de défense (IRSD), en Belgique : les bureaux étaient largement vides dimanche matin et seuls des dégâts matériels sont pour l'instant déplorés par les autorités russes. L'aéroport international de la capitale a toutefois dû dérouter les avions en approche à plusieurs reprises par mesure de précaution, dimanche et mardi matin, selon des médias russes cités par l'AFP. 

"L'Ukraine veut minimiser le risque de pertes civiles pour emmener la population russe à remettre en question le discours de [Vladimir] Poutine", affirme Alain De Neve. Ce dernier évoque une stratégie similaire mise en œuvre lors de l'attaque aux drones sur le Kremlin, le 3 mai. Dans ces deux cas, les drones semblent avoir été tirés depuis le territoire russe et viser des cibles symboliques. Mais "cela peut avoir un impact sur le moral de la population craignant pour sa sécurité, décrypte Nicolas Tenzer, spécialiste des questions stratégiques et professeur à Sciences Po. Le but est de montrer que la défense anti-aérienne russe connaît de fortes lacunes et déficiences".

La question de la légitimité des attaques pourrait être mise en cause

Le ministre de la Défense russe a dénoncé lundi "des attaques terroristes contre les infrastructures civiles en Russie". Lui emboîtant le pas, le porte-parole du Kremlin a précisé que ces frappes "visent des cibles civiles, précisément des cibles sociales". Or, comme l'a rappelé sur Twitter l'ambassadeur de France en Ukraine à propos d'attaques russes, cibler des civils peut être "constitutif de crimes de guerre".

Il reste encore à clarifier quelles activités se déroulaient dans les bâtiments moscovites visés. Les bureaux endommagés "peuvent être qualifiés de lieux civils en vertu du droit de la guerre" affirme dans un premier temps l'analyste Alain De Neve. Cependant, "frapper des bâtiments vides en sachant qu'ils sont vides, ça ne pousse pas de controverse particulière"

De son côté, Volodymyr Zelensky a défendu "un processus naturel et absolument juste". Sur Twitter, l'analyste Ulrich Bounat assure que le bâtiment "abrite plusieurs ministères dont celui chargé des télécoms et de la communication", soit "les supports de la propagande". Si tel était le cas, ce serait une attaque "parfaitement légitime" en vertu de l'article 51 de la Charte des Nations unies, selon Nicolas Tenzer. Ce texte stipule que lorsqu'un pays est agressé sur son sol, il peut légitimement riposter aux attaques ennemies tout en respectant le principe de proportionnalité. 

Des alliés de l'Ukraine pourraient être refroidis par ces attaques

La multiplication de ces attaques par drones en Russie pourrait, à terme, échauder la communauté internationale. "Il est clair que l'administration Biden, rejointe en cela par l'Allemagne, ne voit pas d'un bon œil la poursuite de frappes au cœur du territoire russe", observe Alain De Neve. Le chercheur de l'IRSD ne pense pas que la communauté internationale puisse aller jusqu'à réévaluer son aide militaire apportée à l'Ukraine, mais "assurément", ces frappes vont "servir de curseur dans l'attribution de moyens". 

Le professeur Nicolas Tenzer abonde : ces frappes par drones pourraient provoquer une condamnation de la part "de certains pays occidentaux craignant une escalade". Une réaction qui compliquerait la situation des Ukrainiens, revenus déçus du dernier sommet de l'Otan, et qui attendent de nouvelles livraisons d'armes de leurs alliés, en particulier les avions F16 américains, pour poursuivre leur contre-offensive.

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