Guerre en Ukraine : l'intensification des attaques de drones marque-t-elle le début de la contre-offensive promise par Kiev ?
"Nos brigades sont prêtes à avancer." Dans son adresse quotidienne en date du mardi 30 mai, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a prévenu la Russie de la "montée en puissance" de ses troupes, et ce "sur tous les fronts". Le matin-même, Moscou et sa région avaient sursauté à l'aube après plusieurs explosions : une attaque de drones attribuée à Kiev, trois semaines après la neutralisation d'engins similaires à proximité du Kremlin. A chaque fois, l'Ukraine a nié toute responsabilité.
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Ces dernières semaines, les incidents de ce type se sont pourtant multipliés sur le territoire russe, sans que leurs auteurs puissent être identifiés avec certitude. Alors que Kiev répète que ses soldats fourbissent leurs armes en vue de "récupérer ce qui [leur] appartient", du titre d'une récente vidéo de mobilisation de l'armée ukrainienne, la Russie semble de son côté perdre l'initiative de l'attaque et se voit obligée de réagir. Franceinfo revient sur ces évènements, décrits comme les prémices de la contre-offensive ukrainienne.
Les attaques de drones placent la Russie "en phase défensive"
Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, le territoire russe est, lui aussi, touché par les hostilités. Plusieurs bases aériennes de l'armée russe ont ainsi subi des tirs d'obus et de missiles, dans la région de Rostov notamment. Le 26 décembre 2022, la base militaire d'Engels, dans le sud de la Russie, à plus de 500 kilomètres de la frontière ukrainienne, a essuyé une attaque de drones qui a coûté la vie à trois militaires russes, selon Moscou. Parmi les régions les plus touchées, l'oblast de Belgorod, frontalier de Kharkiv, à l'est de l'Ukraine, a fréquemment vu ses dépôts de carburant et ses installations électriques visés par des bombardements. Jeudi matin, des "frappes ininterrompues" au lance-roquettes ont fait au moins huit morts dans cette région, a signalé le gouverneur local.
Le mois de mai a ensuite vu un changement de registre de ces attaques signalées par la Russie, dont la capitale a été touchée deux fois en moins de 30 jours. Mercredi matin, deux raffineries de pétrole de la région de Krasnodar, dans le sud-ouest de la Russie, ont été touchées par une attaque de drones, que Moscou a immédiatement imputées à l'Ukraine. Cette dernière n'a toutefois jamais revendiqué ce type d'opération. "Il faut rester prudent concernant ces attaques, de drones notamment", explique à franceinfo le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale. "Nous ne sommes pas sûrs qu'il s'agisse toujours d'appareils lancés par l'Ukraine."
Si le flou persiste, du moins officiellement, l'effet "psychologique" de ces attaques est en revanche bien net, selon Jérôme Pellistrandi. "En tout état de cause, [ces frappes] permettent d'accroître la fébrilité côté russe, assure-t-il, et cela a placé la Russie en phase défensive en attendant cette fameuse contre-offensive ukrainienne." Alors que la ligne de front reste figée, ces attaques en profondeur dans le territoire russe sonnent, pour l'expert militaire, comme le début d'un nouvel élan ukrainien. "En perturbant le fonctionnement de son adversaire, l'armée ukrainienne force les Russes à se disperser et pourrait reprendre l'ascendant dans ce conflit", analyse-t-il.
Une contre-offensive qui "doit se jouer sur deux tableaux"
Reste à savoir à quoi va ressembler cette contre-offensive, promise par Kiev depuis plusieurs mois maintenant. "Les Ukrainiens cherchent déjà à couper la chaîne logistique russe, mais ils vont bien devoir passer à l'offensive pour atteindre leur objectif premier : récupérer les 17% de territoire ukrainien actuellement sous contrôle russe", prévient Jérôme Pellistrandi. "Pour être efficace, cette contre-offensive doit se jouer sur deux tableaux, en frappant d'un côté les dépôts de carburant, de munitions, les postes de commandement, et les voies ferrées empruntées par les Russes, sans oublier de s'engager au sol pour reconquérir ces territoires", énumère le spécialiste.
Du côté de l'Ukraine, tout est affaire de mesure dans la préparation de cette contre-attaque. Très loquace concernant l'imminence de grandes manœuvres, le gouvernement ukrainien élude systématiquement la question de sa responsabilité dans les attaques sur le sol russe. "Nous sommes en guerre, et nos généraux décident comment faire leur boulot (…), nous suivons nos plans sur les différents champs de bataille", a éludé le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiy Reznikov, dans un entretien publié par Ouest-France (article réservé aux abonnés), lundi.
Les récentes attaques de drones ont également un intérêt tactique sur le terrain, a souligné mardi sur franceinfo Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine et historien militaire. Elles permettent d'"attirer les défenses russes à l'intérieur plutôt [que] sur la ligne de front, de manière à affaiblir cette ligne de front". Une manière pour Kiev de débloquer les positions autour des zones de combat, figées depuis de longues semaines. Selon Michel Goya, de telles attaques posent cependant le "risque de basculer dans une spirale d'escalade", et pourraient venir nourrir "le discours russe d'agression" mais aussi "provoquer une mobilisation ou un resserrement russe derrière Vladimir Poutine".
L'armée russe tente d'épuiser les ressources militaires ukrainiennes
En toile de fond, les frappes de drones et de missiles forcent les deux camps à défendre leurs villes, en mobilisant d'importants moyens de défense aérienne qui ne se retrouvent donc pas sur la ligne de front. Selon le think tank américain Institute for the Study of War, qui partage sur Twitter ses analyses quotidiennes sur l'évolution du conflit, "les forces russes ont lancé une nouvelle campagne aérienne restreinte ces derniers mois", à coups d'attaques de drones et de raids de missiles sur les villes ukrainiennes, "afin de dégrader les capacités de contre-offensive de l'Ukraine". Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, a reconnu mardi sur Twitter (publication en anglais) que les attaques "visaient à épuiser la défense aérienne ukrainienne", et a appelé les partenaires de l'Union européenne et de l'Otan à "accroître la production et la fourniture de systèmes de défense aérienne et de munitions".
Dans les zones occupées, le camp russe a aussi érigé de gigantesques lignes de défense, parfois profondes de 30 kilomètres. "Quand vous butez sur ce type d'obstacle, vous êtes obligés d'engager des moyens dits 'de brêchage' pour détruire les fortifications et franchir les tranchées, détaille pour sa part Jérôme Pellistrandi. Sauf qu'à ce moment-là, vos forces sont vulnérables et cela peut tourner à l'avantage de votre adversaire." Pour le spécialiste, les centaines de kilomètres de fortifications "montrent la volonté de Vladimir Poutine de sanctuariser à tout prix les territoires occupés, en espérant casser l'offensive ukrainienne à venir".
"On est clairement dans la phase de préparation avant le jour J", observe Michel Goya. "Les Ukrainiens doivent faire très attention, car leur contre-offensive, c'est un fusil à un seul coup, prévient toutefois Jérôme Pellistrandi. Les Occidentaux mettront du temps à livrer à nouveau ce qu'ils ont fourni [en matière d'armement] à l'Ukraine ces derniers mois. Il y a un risque qu'en cas d'échec ukrainien, ce conflit devienne gelé et perdure bien au-delà de l'année 2023."
Face à un tel enjeu, le gouvernement ukrainien n'a-t-il pas sacrifié son effet de surprise en annonçant depuis plusieurs mois une reconquête prévue pour le printemps ou l'été à venir ? "Cela répondait à des impératifs de communication, pour mobiliser et envoyer un signal à Moscou comme aux Occidentaux, explique Jérôme Pellistrandi. Mais si les Ukrainiens nous ont montré une chose depuis le début de ce conflit, c'est bien qu'ils sont d'une grande agilité. Et toujours capables de surprendre."
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