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Guerre en Ukraine : poursuivre son activité, arrêter d'investir, quitter le pays... Quatre questions sur les réactions des entreprises françaises en Russie

Face au conflit qui fait rage en Ukraine, les entreprises tricolores sont en plein dilemme. Jusqu'ici, peu d'entre elles ont choisi d'interrompre totalement leur activité sur le sol russe.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une usine Danone-Unimilk à Lyubuchany, dans la région de Moscou (Russie), le 9 août 2011. (ALEXEY KUDENKO / SPUTNIK / AFP)

Rester ou partir ? Une semaine après l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes, les entreprises françaises installées en Russie doivent choisir de poursuivre ou non leur activité, en dépit des problèmes d'approvisionnement suscités par la guerre, des sanctions infligées par l'Occident à Moscou et du risque pesant sur leur image. Un dilemme particulièrement compliqué alors que la France est le premier employeur étranger dans le pays et le deuxième pourvoyeur d'investissements directs étrangers.

De fait, si de nombreuses multinationales ont annoncé leur retrait de Russie, le mouvement est encore peu suivi par les entreprises françaises. Franceinfo vous résume la situation en quatre questions.

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1Pourquoi la question d'un arrêt de l'activité se pose-t-elle ?

L'invasion russe en Ukraine pose d'abord des problèmes logistiques aux entreprises. Le groupe d'ameublement suédois Ikea a ainsi annoncé la suspension de toutes ses activités dans le pays et chez son voisin biélorusse en raison de "perturbations graves de la chaîne de production et de commerce".

Dans certains secteurs comme l'aérien et la finance, les sanctions économiques prises contre la Russie obligent par ailleurs à réduire la voilure. Face à l'interdiction faite par le Canada et l'Union européenne d'exporter vers la Russie des avions, pièces et équipements de l'industrie aéronautique, Airbus a ainsi dû suspendre ses services d'assistance aux compagnies aériennes russes ainsi que la fourniture de pièces détachées. En outre, l'existence des sanctions fait peser le risque de ne plus pouvoir "rapatrier les bénéfices vers (...) les sièges, puisque l'argent est déposé sur le compte d'une banque russe et que progressivement, [les banques] sont coupées du système bancaire international", avance auprès de Ouest-France Estelle Brack, cheffe économiste et fondatrice de KiraliT, une firme de conseil stratégique aux entreprises.

Enfin, la poursuite de l'activité en Russie pose aussi la question de la responsabilité sociale des groupes, certains d'entre eux prenant les devants pour préserver leur réputation. "Faire des affaires avec la Russie va devenir de moins en moins politiquement correct et raisonnable. Au contraire, le risque en termes de réputation s'amplifie au-delà du risque géopolitique lié au conflit et du risque économique lié aux sanctions", note auprès de l'AFP Sylvie Matelly, directrice adjointe de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Le gouvernement ukrainien n'a ainsi pas hésité à interpeller directement via les réseaux sociaux les grandes entreprises occidentales, comme Apple, en leur demandant de couper les ponts avec Moscou.

2A quelles difficultés sont confrontées les entreprises qui voudraient quitter la Russie ?

Pour autant, cesser son activité en Russie pour une entreprise qui y est implantée est "très difficile", résume à l'AFP Guntram Wolff, directeur du centre de réflexion bruxellois Bruegel. "La Banque centrale russe interdit la vente d'actifs financiers et (...) même si ces ventes étaient autorisées, le rouble a tellement perdu de sa valeur que les pertes seraient énormes", met-il en avant.

"Pour beaucoup d'entreprises, la question de sortir ne se pose pas, elles sont coincées car elles ont des avoirs et des actifs importants en Russie qui ne sont pas du tout 'liquides'", comme des sites de production qu'elles ne peuvent pas fermer ou revendre "du jour au lendemain", renchérit Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Les entreprises étrangères en Russie s'interrogent aussi sur "ce que seront les sanctions en retour des Russes. Beaucoup peuvent craindre des saisies de certains de leurs avoirs ou des expropriations", souligne Sébastien Jean. Enfin, partir reviendrait à laisser une ouverture sur le marché pour de potentiels concurrents moins gênés par le dilemme moral posé par l'invasion russe, ce qui affaiblirait l'activité sur le long terme.

3Que conseille la France aux entreprises tricolores ?

Si le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, voit désormais "un problème de principe" dans le fait que des entreprises travaillent avec les proches du pouvoir russe, il n'a pas pour autant appelé les groupes français à quitter le pays. A titre de comparaison, le ministre britannique des Entreprises, Kwasi Kwarteng, a, lui, estimé sur Twitter (en anglais) lundi qu'"il y avait un impératif moral fort pour les entreprises britanniques d'isoler la Russie".

Au gouvernement, le message est plutôt "d'accompagner" les entreprises exposées aux répercussions du conflit et aux sanctions imposées à la Russie, a affirmé le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, Franck Riester, le 1er mars, à l'issue d'une réunion avec une soixantaine d'entreprises et de fédérations professionnelles. Lors de cette rencontre, "le gouvernement n'a pas demandé aux entreprises d'arrêter leurs activités en Russie, mais ses représentants ont demandé si certaines envisageaient" des actions, selon un participant cité par l'AFP.

Lors d'une réunion le 4 mars entre Emmanuel Macron, certains ministres et des chefs de grandes entreprises, "Bruno Le Maire a indiqué qu'il paraissait plus raisonnable de mettre ses activités sur pause le temps de la crise, plutôt que de quitter précipitamment le pays, de façon unilatérale et sans prévenir personne", a aussi rapporté un participant cité par Le Figaro (article réservé aux abonnés).

4Que font les entreprises françaises ?

Une semaine après le déclenchement de l'invasion russe en Ukraine, de nombreuses multinationales ont pris leurs distances avec la Russie, comme BP, Shell, Disney, Volvo, Microsoft ou Meta. Mais peu de grandes entreprises françaises ont annoncé leur intention d'arrêter temporairement leur activité en Russie, et aucune de manière durable.

Air France a ainsi annoncé fin février la suspension de "la desserte et [du] survol de la Russie" jusqu'à nouvel ordre, "compte tenu de la situation dans la région". L'armateur CMA CGM a lui aussi déclaré qu'il allait cesser de desservir les ports russes, là encore davantage "dans un souci de sécurité" que de rétorsion économique.

La filiale du groupe Renault-Nissan Avtovaz, premier producteur de voitures en Russie, qui emploie des dizaines de milliers de personnes, a également annoncé arrêter deux de ses usines temporairement en raison d'une pénurie de composants importés. 

Pour sa part, le groupe de luxe français Hermès s'est dit vendredi "très préoccupé par la situation actuelle en Europe" et a décidé de "fermer temporairement" ses magasins en Russie. Dans la foulée, le numéro un mondial du luxe LVMH, son concurrent Kering et la maison Chanel ont pris des décisions similaires. Le Guide Michelin, qui avait pour la première fois primé 69 tables à Moscou en octobre, a lui aussi annoncé suspendre toute recommandation en Russie compte tenu des évènements.

Mais beaucoup d'autres entreprises françaises présentes en Russie n'ont pas fait d'annonce ou ont communiqué sur le fait qu'elles continuaient leur activité. C'est le cas de Danone, qui a précisé dimanche qu'il poursuivait ses activités dans le pays "afin de répondre aux besoins alimentaires essentiels des populations civiles". Le groupe français d'agroalimentaire, qui réalise 5% de ses revenus et emploie 8 000 salariés en Russie, a néanmoins précisé qu'il suspendait pour le moment tout investissement dans ce pays. De même, son concurrent Lactalis a fait savoir que "[ses] sites en Russie continuent à produire et [ses] produits à être commercialisés", assurant "respect[er] les dispositions gouvernementales concernant la situation dans le pays", rapporte France Bleu.

La Société générale, présente en Russie via sa filiale Rosbank, a elle aussi annoncé dans un communiqué poursuivre son activité "avec la plus grande prudence et sélectivité", alors que ses activités dans le pays ont représenté un peu moins de 3% du résultat net du groupe en 2021. TotalEnergies, qui réalise en Russie 3% à 5% de ses revenus totaux, a quant à lui fait savoir qu'il "n'apportera plus de capital à de nouveaux projets" dans le pays, sans évoquer de retrait.

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