Guerre en Ukraine : les défis que l'UE doit surmonter pour fournir une aide financière et militaire à la hauteur

Les dirigeants des 27 Etats membres se réunissent jeudi à Bruxelles pour un Conseil européen en partie dédié au soutien à Kiev à court et long terme.
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
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Le Conseil européen, le 1er février 2024, évoquera notamment la question d'une nouvelle aide financière à l'Ukraine, de l'ordre de 50 milliards d'euros. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Quelles perspectives pour le soutien européen à l'Ukraine, près de deux ans après le début de l'invasion russe ? L'aide apportée à Kiev est à l'agenda du Conseil européen qui débute à Bruxelles, jeudi 1er février, parmi d'autres sujets relatifs au budget à long terme de l'Union européenne. Lors de sa visite en Suède, mardi, Emmanuel Macron a plaidé pour des "décisions justes et courageuses", afin d'"accélérer" l'assistance européenne à l'Ukraine.

"Nous ferons tout pour que la contribution commune de l'Europe soit suffisamment importante", a lancé à son tour le chancelier allemand, Olaf Scholz. L'enjeu est de taille, alors que le conflit en Ukraine évolue vers une guerre d'usure. L'appui de l'UE et sa montée en puissance, décisifs pour Kiev, se heurtent encore à plusieurs défis.

Le spectre d'un blocage hongrois

Les dirigeants européens doivent discuter jeudi d'une aide de 50 milliards d'euros destinée à l'Ukraine (17 milliards de subventions et 33 milliards de prêts jusqu'en 2027). L'aide en question est "importante pour que l'Etat ukrainien puisse continuer à fonctionner", décrypte Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR). "Elle donne aussi de la visibilité et de l'assurance à l'Ukraine." Enfoncé dans la guerre, le pays doit encore allouer 37 milliards d'euros à sa défense cette année, soit la moitié de ses dépenses, pointe Politico Europe. 

Ce soutien financier est néanmoins conditionné à son adoption à l'unanimité par les Vingt-Sept, et donc à l'accord de la Hongrie. En décembre, Viktor Orban avait posé son veto à ce plan d'aide, et sa position semble avoir peu évolué. "Nous n'aimons pas cette proposition", rappelle le Premier ministre nationaliste, proche de Vladimir Poutine, dans un entretien au Point.

"Ils essaient de nous convaincre, puis de faire pression, puis de faire du chantage, de nous contraindre à les rallier."

Viktor Orban, Premier ministre hongrois

au "Point"

Malgré son discours, le dirigeant hongrois évoque depuis peu une porte de sortie : voter à ce stade en faveur de l'aide, mais se réserver le droit de se raviser plus tard. "Chaque année, nous déciderons de continuer ou non à envoyer cet argent", propose-t-il dans son interview au Point. L'éventuel blocage ne serait donc que repoussé, ce qui priverait Kiev de certitudes pour les trois prochaines années.

L'autre option est de s'engager à 26, en sortant cette aide du budget européen, rapporte l'agence de presse américaine AP. Un tel plan devrait être approuvé par les Parlements nationaux, et "cela voudrait dire la fin de l'unanimité", analyse Marie Dumoulin. Un signal de désunion qui pourrait profiter à Moscou.

La position hongroise est "un défi politique immense" pour Bruxelles, confirme Gesine Weber, chercheuse au centre de réflexion German Marshall Fund of the United States. "Le poids du veto de la Hongrie reste considérable." D'autant que Budapest ne bloque pas uniquement cette aide. Début janvier, la Hongrie s'opposait toujours à une nouvelle tranche de 500 millions d'euros pour la Facilité européenne pour la paix (FEP), rapportent Les Echos. Cet instrument rembourse aux Etats membres les aides militaires envoyées à Kiev. Le pays a toutefois accepté de ne plus faire obstacle à un fonds de 5 milliards d'euros dédié à cette aide, d'après les informations de Bloomberg

La difficulté à prévoir une aide militaire massive à long terme

À la veille du Conseil européen, des dirigeants des Vingt-Sept ont appelé, dans le Financial Timesà un "effort collectif pour armer l'Ukraine à long terme". "Ce qui est urgent aujourd'hui, c'est d'envoyer les munitions et les systèmes d'armes, notamment les obusiers, les chars, les drones et la défense aérienne, dont l'Ukraine a un besoin si urgent sur le terrain", insistent-ils.

En matière de munitions, la Commission européenne a annoncé en mars un projet de livraison d'un million de munitions à Kiev en un an. Or en novembre, quelque 300 000 obus avaient été livrés, à l'heure où des milliers sont tirés chaque jour. Et le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a reconnu mercredi que seule la moitié du million d'obus promis serait livrée d'ici fin mars.

Les capacités de production européennes ont augmenté de 20 à 30% en moins d'un an, mais 40% de la production de l'UE reste destinée à l'exportation. Pour Gesine Weber, cet écart entre promesse et réalité montre que "l'industrie de défense européenne n'est pas encore à la hauteur du défi auquel elle fait face, même si beaucoup de choses ont été faites". 

"Le soutien européen à l'Ukraine a dépassé toutes les attentes, mais cela ne veut pas dire qu'il est suffisant. L'Ukraine a besoin de davantage d'aide militaire."

Gesine Weber, spécialiste de la sécurité et de la défense européennes

à franceinfo

Concernant les munitions, plusieurs divisions ont été un premier frein. Comme le souligne Gustav Gressel, du Conseil européen pour les relations internationales, une accélération de la production demande beaucoup de temps et d'investissement. "De nombreux Etats membres étaient réticents à s'engager dans des contrats de livraison à long terme. Or, ces contrats sont nécessaires pour fournir aux entreprises de défense des revenus stables, qui garantissent le financement de nouveaux investissements." 

Franchir ce cap du long terme est particulièrement complexe. "Nous n'avons pas forcément anticipé l'idée d'une guerre longue. En envoyant du matériel lourd, on est restés sur l'idée qu'il suffisait d'envoyer des stocks existants, que l'Ukraine pourrait mettre fin à la guerre avec cet effort", commente Pierre Haroche, maître de conférences en sécurité internationale à l'université Queen Mary de Londres (Royaume-Uni). 

"Depuis l'année dernière, beaucoup de stocks existants ne sont plus disponibles. Est-on désormais prêt à s'engager dans un vrai effort de mobilisation, pour garantir que l'Ukraine aura de quoi se battre pour les années qui viennent ?"

Pierre Haroche, spécialiste de l'intégration et de la sécurité européennes

à franceinfo

Pour le chercheur, les Etats membres ne sont pas encore entrés dans une économie de guerre, et des logiques nationales, plutôt qu'européennes, continuent de prévaloir. Pierre Haroche évoque l'Allemagne, premier fournisseur d'aide militaire à l'Ukraine après les Etats-Unis, selon les données du Kiel Institute (IfW). Berlin, qui a promis plus de 17 milliards d'euros de soutien militaire en moins de deux ans, parle de "réduire les contributions nationales à la Facilité européenne pour la paix, pour les pays qui donnent déjà beaucoup de manière bilatérale". À titre de comparaison, la France est en bas du classement de Kiel. Elle conteste ces données, assurant que certaines donations n'ont pas été rendues publiques. "Nos livraisons d'armes changent la donne", a même déclaré récemment le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.

Les aides à l'Ukraine – et les efforts de réarmement – diffèrent donc largement d'un Etat membre à un autre. Dans une récente étude pour l'Institut Jacques Delors (en PDF), Pierre Haroche plaide pour une meilleure coordination européenne, afin d'éviter une trop grande "fragmentation" du marché de la défense. L'enjeu, en offrant une perspective de long terme à Kiev, est aussi de "préparer notre propre capacité de résistance" après des décennies de baisse des investissements, poursuit le chercheur. "Il faut avoir une capacité industrielle de défense supérieure à la Russie. Soutenir l'Ukraine aujourd'hui, et être crédible face à une possible attaque russe [sur le sol européen] demain." Surtout si le premier fournisseur d'aide militaire à l'Ukraine, les Etats-Unis, venait à se mettre en retrait. 

Le risque d'un désengagement américain

À Washington, l'administration Biden souhaite que le Congrès approuve une nouvelle enveloppe de 56 milliards d'euros pour Kiev, mais les négociations avec les républicains patinent. Les conservateurs américains, majoritaires à la Chambre des représentants, ont poussé pour que ce nouveau soutien soit négocié en parallèle de mesures sur l'immigration. Un accord est loin d'être trouvé.

La perspective d'un recul financier et militaire des Etats-Unis gagne du terrain, à l'approche de l'élection présidentielle américaine. Donald Trump, grand favori du camp républicain, juge l'invasion russe de l'Ukraine moins importante pour les Etats-Unis, et dénonce l'envoi conséquent de matériel militaire américain sur le front.

"Un deuxième mandat de Joe Biden serait plus rassurant [pour l'aide à l'Ukraine], mais sur le moyen terme, ce sera très compliqué", prédit la chercheuse Gesine Weber. "Même dans cette administration, il est de plus en plus difficile de faire passer cette aide. Pour les Etats-Unis, l'Ukraine est une guerre importante, mais ce qui prime avant tout, c'est le risque d'une confrontation avec la Chine." 

"L’idée que l'on puisse juste se reposer et faire confiance aux Etats-Unis, c’est une idée des années 1980." 

Gesine Weber

à franceinfo

Du côté de l'Union européenne, Marie Dumoulin constate "une prise de conscience" d'une fin possible, voire prochaine, du soutien américain. "Cela devrait, idéalement, les inciter à prendre une plus grande part de l'assistance à l'Ukraine, et à développer leurs capacités propres. Mais je crains qu'on ne soit encore loin du compte."

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