Guerre en Ukraine : après avoir revendiqué une frappe sur un avion russe, l'opposition biélorusse évoque finalement de simples "missions de reconnaissance"
[RECTIFICATIF. Cet article a été actualisé jeudi 2 mars à la lumière des nouvelles déclarations du groupe Bypol. Ces dissidents biélorusses avaient revendiqué, dimanche 26 février, une frappe de drones ayant entraîné des dégâts sur un A-50 russe, un avion à haute valeur stratégique. Ils ont finalement expliqué qu'ils étaient simplement parvenus à déjouer, à l'aide de drones, les systèmes de défense d'une base aérienne près de Minsk lors de "missions de reconnaissance".]
L'opposition biélorusse parlait du "sabotage le plus réussi" depuis le début de la guerre. Elle revendiquait, dimanche 26 février, l'attaque d'un avion russe de détection et de commandement aéroporté, stationné sur la base de Matchoulichtchy, à une douzaine de kilomètres au sud de la capitale, Minsk. Mais le groupe Bypol, un réseau dissident fondé par d'anciens membres des forces de sécurité, a revu sa copie, jeudi 2 mars, et évoque finalement de simples "missions de reconnaissance" menées par des drones qui ont réussi à déjouer les systèmes de défense de la base aérienne. "Au cours de l'une d'entre elles, un drone s'est même posé sur l'antenne radar de l'A-50", précise la même source, vidéo à l'appui.
Le responsable de Bypol, Aliaksandr Azarau, interrogé par franceinfo mardi matin, avait d'abord évoqué "deux drones kamikazes artisanaux", et des dégâts sur les parties avant et centrale de l'avion russe. Il avait toutefois concédé que les auteurs n'avaient pas pu "constater les dégâts de leurs propres yeux, car ils se trouvaient à une longue distance de l'appareil".
Les partisans travaillent avec des drones depuis août 2020, "mais ils ont besoin d'acquérir de nouvelles techniques et compétences", poursuivait le chef de la résistance armée. "Ils ne peuvent pas acheter en ligne des drones de sabotage, et doivent eux-mêmes moderniser des modèles."
Le groupe Belarusian Hayoun, dédié à la surveillance des mouvements militaires, a précisé (en russe) que cet appareil, immatriculé RF-50608, est arrivé en Biélorussie le 3 janvier, et qu'il a effectué une douzaine de vols depuis. "L'A-50 est un avion coûteux et la Russie n'en possède que six dans la version modernisée 'U'", a expliqué à franceinfo Anton Motolko, responsable du projet Hayoun et fondateur du média Motolko.help.
"Cela montre que les Biélorusses aident l'Ukraine à vaincre l'agresseur au péril de leurs vies, y compris en menant ce type d'actions."
Anton Motolko, journaliste biélorusse d'oppositionà franceinfo
Depuis le début de la guerre, la Biélorussie fournit une assistance à la Russie, son alliée. Les deux pays multiplient les exercices militaires sur le territoire et la base de Matchoulichtchy fait partie des nombreuses infrastructures mises à disposition. Elle accueille des avions de transport II-76, mais surtout des chasseurs MiG-31K. Ces intercepteurs sont armés de missiles hypersoniques "Kinjal", capables de parcourir 2 000 kilomètres en dix minutes. Le moindre de leurs mouvements déclenche donc une alerte aérienne dans tout ou partie de l'Ukraine.
L'A-50, une pièce maîtresse des forces russes
Les A-50, eux, ont pour mission principale "de scanner le territoire ukrainien pour trouver des cibles", explique Aliaksandr Azarau, "puis de fournir ces informations aux autres avions russes". Ces appareils, rares et onéreux (330 millions de dollars), sont également utilisés pour guider les missiles et détecter les systèmes de défense anti-aérienne. Le mois dernier, l'armée biélorusse avait encore diffusé des images du décollage d'un A-50 et d'un MiG-31K, depuis la base de Matchoulichtchy.
Les dissidents du groupe Bypol, dont le nombre est tenu secret, sont des "anonymes qui craignent pour leur vie", déclare Aliaksandr Azarau. Ils sont parvenus à quitter le pays et se trouvent "en sécurité". Au début de la guerre, de février à mars, ils avaient déjà mené une "guerre du rail" en Biélorussie, dans le cadre d'un plan baptisé "Peremoga" ("Victoire"). "Mais n ous avons décidé de préparer d’autres opérations spéciales", affirmait Aliaksandr Azarau, en utilisant un bot Telegram dédié au volontariat, auquel "sont abonnées 200 000 personnes".
Aucun document satellite n'avait permis de confirmer visuellement une frappe sur l'A-50 russe, et cette attaque n'avait pas pu être confirmée de source indépendante. Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, avait participé à une réunion consacrée à la sécurité, lundi matin, sans faire mention d'un incident sur la base aérienne. La veille, le ministère des Situations d'urgence avait simplement déclaré qu'aucune explosion n'avait été signalée. Quant au porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, il n'avait livré aucun commentaire à ce sujet.
Les déclarations de Bypol avaient en revanche rapidement été saluées par l'opposition biélorusse en exil. Dans un message posté sur Twitter, Svetlana Tikhanovkaïa s'était dite "fière de tous les Biélorusses qui continuent à résister à l'occupation hybride russe de la Biélorussie et à lutter pour la liberté de l'Ukraine". Les jours suivants, les autorités biélorusses ont ensuite diffusé plusieurs vidéos de l'A-50, afin de répondre aux accusations.
"Loukachenko utilise des méthodes staliniennes"
Cet épisode n'est, quoi qu'il en soit, pas sans conséquence pour le régime, car il montrerait, "encore une fois", qu'Alexandre Loukachenko "ne contrôle pas la situation en Biélorussie, malgré la répression, qui ne cesse d'empirer depuis 2020", estime Anton Motolko.
La militante Kristina Maksimenko a été interpellée dans la foulée des revendications des dissidents, selon le centre des droits de l'homme Viasna (en biélorusse). "Elle a été placée en détention, ainsi que d'autres personnes qui vivaient près de la base", a expliqué à franceinfo l'organisation, qui ne connaît "toujours pas les motifs officiels" de ces arrestations. Les forums de discussion ont fait l'objet d'un grand ménage des autorités et le journal d'opposition Nasha Niva (en biélorusse) a également évoqué des contrôles de véhicules dans plusieurs régions du pays.
Lundi soir, surtout, les autorités biélorusses ont discrètement fait circuler la photo d'un homme originaire de Crimée, accusé d'avoir commis "un crime extrêmement grave" à Matchoulichtchy, selon le média Zerkalo (en biélorusse). " Je ne connais pas cet homme", avait réagi Aliaksandr Azarau, guère surpris par cette annonce. "Alexandre Loukachenko utilise les méthodes des répressions staliniennes, et recourt à la torture. Le régime peut arrêter n’importe qui et le battre, pour lui faire avouer n’importe quoi."
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