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Guerre en Ukraine : cinq questions sur la livraison de chars lourds promise par les alliés occidentaux

L'Allemagne et les Etats-Unis ont annoncé la livraison de Leopard et d'Abrams à l'armée ukrainienne, une décision très attendue par Volodymyr Zelensky. Au total, l'Ukraine va recevoir 130 blindés.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié
Temps de lecture : 7 min
Un char Abrams américain, utilisé par l'armée irakienne, le 4 novembre 201,6 près de Mossoul (Irak). (BULENT KILIC / AFP)

Kiev les a obtenus. L'Allemagne puis les Etats-Unis ont annoncé mercredi 25 janvier la livraison de chars lourds à l'Ukraine. Cela faisait des semaines que le président ukrainien Volodymyr Zelensky les réclamait. Selon lui, la livraison de ces blindés est "une étape importante pour la victoire finale". "Aujourd'hui, le monde libre est uni comme jamais auparavant avec un objectif commun : la libération de l'Ukraine", a-t-il insisté.

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Plusieurs pays occidentaux ont d'ores et déjà promis de livrer des blindés, mais ils ne seront pas opérationnels immédiatement. Ce soutien accru laisse craindre une escalade. Franceinfo répond à cinq questions qui se posent après cette nouvelle étape franchie dans l'aide matérielle et militaire à l'Ukraine.

Qui va livrer ces chars ?

Après des jours d'hésitation et de critiques essuyées pour son attentisme, le chancelier allemand Olaf Scholz a autorisé mercredi la livraison des chars Leopard 2A6 à l'Ukraine. Kiev va recevoir 14 ces blindés de fabrication allemande. "Nous faisons ce qui est nécessaire et possible pour soutenir l'Ukraine", a-t-il souligné. Dans la foulée, les Etats-Unis ont annoncé la livraison de 31 chars Abrams. "Pour renforcer leurs positions sur le champ de bataille, [les Ukrainiens] doivent être capables d'effectuer des manœuvres en terrains ouverts et à se défendre face à l'agresseur russe", a justifié le président américain Joe Biden.

Ces deux annonces ont eu un effet domino, notamment parce que l'Allemagne a aussi autorisé ses alliés occidentaux disposant des Leopard 2 à fournir l'armée ukrainienne. La Pologne s'est engagé à en livrer 14 également. D'autres pays ont promis leur aide sans toutefois donner de chiffres précis. La Norvège "va participer", a déclaré le ministre de la Défense Bjørn Arild Gram, en envoyant des Leopard 2A4, une autre variante du blindé de fabrication allemande. L'Espagne est aussi "disposée" à aider l'Ukraine en envoyant des chars Leopard 2, tout en participant à "la formation" des soldats ukrainiens à leur "utilisation" et à la "maintenance" de ces blindés, a assuré la ministre de la Défense Margarita Robles. "La Finlande sera impliquée dans cette coopération et les formes de cette coopération vont être définies", a affirmé le ministre de la Défense Antti Kaikkonen. Le Royaume-Uni avait déjà annoncé de son côté la livraison de ses chars Challenger 2 

Quand rejoindront-ils le front ?

Une fois ce feu vert obtenu, il va falloir désormais fournir ces chars. "La clé est maintenant la vitesse et le volume. La vitesse d'entraînement de nos militaires, la vitesse des livraisons des tanks (...) et le volume du soutien", a déclaré Volodymyr Zelensky, conscient que l'acheminement de ces blindés n'est pas simple. L'Allemagne et les Etats-Unis ont prévenu : ces livraisons "prendront du temps", selon les mots de Joe Biden. Les chars Leopard 2 seront livrés "fin mars, début avril", a précisé Boris Pistorius, le ministre de la Défense allemand.

Car l'utilisation et l'entretien de ces blindés requièrent un savoir-faire dont ne disposent les soldats ukrainiens. "Ce sont des chars très sophistiqués, qui impliquent un apprentissage solide. La formation à l'usage de ces chars implique un temps long et une opérationnalisation qui ne sera que très progressive", explique Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po et spécialiste des relations internationales, interrogé sur franceinfo. La formation de soldats ukrainiens au maniement de blindés légers Marders débutera "d'ici fin janvier" en Allemagne et la formation sur les Leopard suivra "un peu plus tard", a prévenu Boris Pistorius.

Cette aide peut-elle être décisive ?

Ces chars doivent permettre à l'Ukraine de rivaliser avec l'armée russe et de mener une contre-offensive. Mais la centaine de chars promise pourrait ne pas suffire, "certainement pas à court terme et probablement pas à moyen terme", avance Bertrand Badie. Kiev en espérait 300. Mais les Leopard, les Abrams, les Challengers pourraient quand même avoir un impact sur le terrain, où la ligne de front ne bouge plus depuis plusieurs mois. Les troupes russes "s'enterrent, elles creusent des tranchées, placent des 'dents de dragon' (des défenses anti-char), posent des mines. Elles essaient vraiment de fortifier cette ligne de front", a expliqué Colin Kahl, le numéro trois du Pentagone, mercredi 18 janvier.

"Avec le Leopard, une armée peut percer les lignes ennemies et mettre fin à une longue guerre de tranchées", affirme pourtant Armin Papperger, directeur de Rheinmetall, qui construit le char lourd allemand. "Avec le Leopard, les soldats peuvent avancer de plusieurs dizaines de kilomètres d'un coup". "Ces chars de combat lourds offrent une puissance de feu bien plus importante que les véhicules qui ont été livrés jusqu'à présent et une protection plus importante pour les soldats", confirme Gaspard Schnitzler, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Mais conscient que cette aide pourrait ne pas être décisive, Volodymyr Zelensky, en remerciant ses alliés, a demandé un soutien supplémentaire. "Nous devons également permettre la livraison de missiles à longue portée à l'Ukraine, c'est important. Nous devons également élargir notre coopération dans l'artillerie et [rendre possible] l'envoi d'avions de combat", a-t-il exhorté. En attendant d'éventuelles nouvelles livraisons, le geste européen dévoile "la perception que le monde occidental a de ce conflit", selon Bertrand Badie. "Il mise sur la durée et sur une relance côté russe du conflit, avec une mobilisation supplémentaire. On se projette dans le moyen et le long terme."

Comment agit la France ?

La décision de l'Allemagne et des Etats-Unis a été saluée par Paris. Mais le gouvernement français n'a pas embrayé en annonçant l'envoi de chars Leclerc. Mais l'option reste sur la table. "Rien n'est exclu et nous sommes mobilisés pour les soutenir dans la durée", a affirmé la Première ministre Elisabeth Borne mercredi. "S'agissant des chars Leclerc, nous poursuivons l'analyse avec le ministre des Armées", a précisé la cheffe du gouvernement.

"Pourquoi le char Leopard est devenu le symbole de cette affaire ? Parce qu'il y en a plus de 3 000 sur le terrain continental", a observé Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, dans l'émission "C à vous" sur France 5. "La réalité, c'est que les Ukrainiens nous font d'autres demandes. (...) Il y a une discussion, mais ce ne sont pas sur les Leclerc qu'il y a plus d'attentes, on a davantage d'attente de la part de nos amis ukrainiens sur la défense sol-air ou sur l'artillerie", a-t-il affirmé. Le ministre n'a d'ailleurs pas exclu que la France livre autre chose que ces chars.

Pour le moment, la France a donc uniquement envoyé des chars de combat légers AMX-10 RC. Paris agit en fonction de ses capacités, l'armée n'en possédant que 200. "La France n'a pas grand-chose à fournir, un certain nombre de ses Leclerc doivent repartir à l'usine pour être modernisés, d'autres sont déployés en Roumanie (13) ou servent à l'instruction des pilotes, et un grand nombre a besoin d'être révisé. Il y en a donc peu de disponibles pour faire la guerre", avait estimé Marc Chassillan, expert en blindés, dans L'Express.

Une éventuelle livraison poserait aussi d'autres questions soulevées par le spécialiste des relations internationales Bertrand Badie : "Jusqu'où peut-on dégarnir l'armée française ? C'est un problème interne à la France, mais il y a aussi un problème de politique internationale, car la France rêve toujours de tenir ce rôle d'intermédiaire auquel elle n'a pas renoncé."

Faut-il craindre une escalade ?

La Russie a dénoncé jeudi "l'engagement direct" des Occidentaux dans le conflit. "C'est une décision extrêmement dangereuse qui va amener le conflit vers un nouveau niveau de confrontation", avait réagi mercredi l'ambassadeur de Russie à Berlin, Sergueï Netchaev. Cette crainte de l'escalade est perceptible dans les discours occidentaux, les alliés ont d'ailleurs pris leur précaution au moment d'annoncer ces livraisons. Pour Joe Biden, il s'agit ainsi d'"aider l'Ukraine à défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale, il ne s'agit pas d'une menace offensive contre la Russie", a insisté Joe Biden. 

Il est toutefois difficile de prévoir la réaction russe à l'égard de l'Occident. "C'est la grande question, note Bertrand Badie, la ligne rouge n'existe que dans la tête des acteurs et notamment de Vladimir Poutine. C'est lui et lui seul qui décidera. Ces livraisons ne sont pas déterminantes en soi, la vraie détermination, c'est la perception qu'il en a. S'il veut élargir la guerre, il en trouvera les moyens et s'il craint de l'élargir, il acceptera ces livraisons."

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