Entretien avec Maxime Audinet : "Le fait que l’Ukraine ait gagné la bataille de l’image ne veut pas dire que la Russie a perdu la guerre de l’information"
Plus l’opération russe dure en Ukraine, plus le discours officiel de Moscou s’adapte pour justifier son intervention. Maxime Audinet, spécialiste de la Russie et chercheur à l'IRSEM nous livre son décryptage.
Comment la Russie gère-t-elle sa communication sur la guerre en Ukraine à l'intérieur de ses frontières ?
En Russie, le pouvoir présente ce conflit comme une "opération militaire spéciale" qui serait une opération de maintien de la paix pour répondre à la nécessité de "dénazifier" l’Ukraine. Ce récit est d'abord construit pour légitimer le conflit auprès de la population intérieure, cela prime sur la perception à l'étranger. La manière dont la Seconde Guerre Mondiale est réexploitée le montre assez bien. La "Grande victoire" de 1945 contre le fascisme est sacrée en Russie. C'est un puissant répertoire de mobilisation patriotique qui peut infuser auprès d’une partie importante de l’opinion russe.
La presse russe a-t-elle joué un rôle de relai ?
Il y a une focalisation très forte sur ce qu'il se passe à l'est de l'Ukraine, dans le Donbass, grâce aux médias russes. Ils sur-médiatisent les événements dans le Donbass et les frappes ukrainiennes qui l'atteignent, tout en mettant en sourdine ce qui peut se passer ailleurs dans le pays. Ce qui est intéressant, c’est la manière dont tout est extrapolé. Le discours sur la dénazification et sur la présence d’ultra nationalistes ukrainiens est très interessant : vous avez des bataillons néonazis et ultra nationalistes en Ukraine qui ont une certaine importance mais par un effet d’extrapolation, chaque ukrainien est presenté comme un néonazi.
Quelle stratégie la Russie a-t-elle choisie pour riposter sur le terrain de l'information à l'étranger ?
Le fait que l’Ukraine ait gagné la bataille de l’image, en suscitant de l'empathie, ne veut pas dire que la Russie a perdu la guerre de l’information. On voit bien comment l'Etat russe s'approprie des pratiques répandues chez les occidentaux, comme le "fact-checking". Au lieu de répondre sur le fond, ils vont critiquer et dénigrer les arguments de l’adversaire. Avec le site "War on fakes", le Ministère des affaires étrangères russe essaie d'incorporer cette pratique de "vérification" de l'information dans son effort de propagande. L'exemple de la maternité de Marioupol, présenté comme une "mise en scène" est très parlant, même si cela trahit le principe même de fact checking.
Cette stratégie a-t-elle une incidence sur la manière dont l'occident perçoit le conflit ?
La façon dont la Russie a brandit la menace de l'arme nucléaire, ou encore le fait que Washington réagisse aux accusations de financement de prétendues armes biologiques en Ukraine, montre que leur stratégie fait mouche. Moscou cherche à suciter leur crainte plutôt que l'adhésion des occidentaux. C'est une pratique assez courante dans les dispositifs d’influence russes.
Qu'est ce qui vous surprend le plus dans cette communication de guerre ?
Ce qui est nouveau c’est le ton beaucoup plus agressif des ambassades russes à l'étranger, via leurs comptes Twitter ou Télégram. La "diplomatie numérique" russe sort du langage diplomatique que l'on connaissait jusqu'ici, pour employer un vocabulaire plus offensif. Cette manière virulente de communiquer était avant l’apanage du Trumpisme, de figures polémistes et propagandistes. Maintenant les diplomates russes s’en emparent, comme les Chinois l'ont fait avant eux, avec leur communication dite du "loup combattant".
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