Crise en Ukraine : "Moscou teste l'Otan et voit jusqu'où il peut aller", analyse le géopoliticien Dominique Moïsi
Pour permettre une désescalade de la crise ukrainienne, Moscou réclame un retrait des troupes étrangères de l'Otan de Bulgarie et de Roumanie.
"Moscou teste l'Otan, les Etats-Unis, l'Union européenne" et voit "jusqu'où il peut aller", a analysé vendredi 21 janvier, sur franceinfo, Dominique Moïsi, politologue et géopoliticien, conseiller spécial de l’institut Montaigne, alors que la rencontre entre les chefs de la diplomatie russe et américaine vendredi à Genève n'a débouché sur aucun résultat tangible.
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Les deux pays sont convenus de poursuivre le dialogue pour tenter de trouver une issue à la crise ukrainienne. La Russie a assuré ne pas avoir l'intention d'intervenir militairement en Ukraine malgré ses déploiements de soldats et d'armement. Dominique Moïsi estime qu'il y a "un décalage entre le déploiement des forces" russes et "la simple menace de sanctions économiques". La conséquence de cette situation est que les Etats voisins "ont peur" et se demandent si "l'Occident sera prêt à défendre les républiques baltes", alerte le géopoliticien.
franceinfo : La Russie pose des exigences impossibles à satisfaire. Pourquoi ces demandes, alors que Moscou sait très bien que c'est impossible ?
Dominique Moïsi : Moscou nous teste. Moscou teste l'Otan, les Etats-Unis, l'Union européenne. Il voit jusqu'où il peut aller. Et il se dit, peut-être à un moment donné, plus je demande des choses inacceptables, plus l'autre camp va accepter de reculer sur un certain nombre de points. Peut-être qu'après avoir demandé que les troupes de l'Otan se retirent de la Bulgarie et de la Roumanie, si je ne le demande plus et si je fais des petites incursions discrètes pour consolider mes acquis dans le Donbass, je gagnerais ces points.
"Cela évoque irrésistiblement ce que l'on appelait au temps de l'URSS, la stratégie du salami. On coupe en très fines tranches. Et on progresse. Et à un moment donné, c'est le salami entier qui a disparu."
Dominique Moïsi, politologue et géopoliticienà franceinfo
Quels sont les moyens de pression des Américains ?
L'Amérique a trop mis l'accent, de manière presque exclusive, sur les sanctions économiques. Il y a un décalage entre ce que font les Russes, le déploiement de leurs forces, et la simple menace de sanctions économiques, même si elles doivent être très sévères. Donc, il s'agit, pour entraîner une désescalade, de dissuader au maximum les Russes d'intervenir militairement, en leur faisant sentir que le coup militaire sera beaucoup plus important qu'ils ne le pensent eux-mêmes. Pour entraîner la désescalade, bizarrement, les Etats-Unis doivent escalader sur le terrain en envoyant des armes défensives aux Ukrainiens. C'est ce que font en petite quantité les Britanniques et, depuis aujourd'hui, les républiques baltes.
Est-ce qu'il n'y a pas un risque que les Etats voisins se sentent abandonnés ?
Totalement. Et ils ont peur, tout simplement. Ils se disent, après l'Ukraine, c'est nous. Ils sont infiniment plus vulnérables que des pays comme la Bulgarie ou la Roumanie. Ils ne sont devenus indépendants de l'URSS qu'après la chute du mur de Berlin. Ils sont essentiellement fragiles. Et ils se disent, si l'Occident n'est pas prêt à défendre l'Ukraine, est-ce que l'Occident sera prêt à défendre les républiques baltes ?
Pourquoi la France et l'Allemagne notamment ont disparu des négociations ?
Parce que, pour les Russes, nous n'existons pas. C'est toute la vanité des efforts français de reprendre le discours avec les Russes, mais cela ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse, c'est d'humilier l'Amérique, de diviser l'Occident et d'avancer leurs cartes.
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