Cet article date de plus de trois ans.

Témoignages Le Brexit, un cauchemar, une chance ? Huit Britanniques confient leurs doutes et leurs espoirs sur la sortie de l’Union européenne

Article rédigé par Richard Place
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Huit Britanniques disent au revoir à l'Europe. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE / DR)

Brexiteurs, remainers, de gauche, de droite, d’Ecosse, d’Angleterre, éleveur, avocat, routier, député... Huit Britanniques témoignent sur le Brexit et confient leurs craintes et leurs espoirs à l'heure où le Royaume-Uni divorce de l’Union européenne.

Ce 31 décembre, le Royaume-Uni consomme en un accord de quelque 1 000 pages le divorce qu’il négocie depuis quatre ans avec l’Union européenne. Pour franceinfo, huit Britanniques d’âge, de milieu socio-professionnel et d’orientation politique différents, donnent à entendre un témoignage sur le Brexit tantôt enthousiaste, tantôt angoissé, parfois fataliste, parfois porteur d’espoir ou de tristesse, jamais indifférent.

Brian Jones, chauffeur routier gallois : "Ça va être un cauchemar"

On a beaucoup parlé des embouteillages, des contrôles douaniers et des chauffeurs routiers avant le Brexit. Brian Jones est l’un des principaux concernés puisqu’il passe la majeure partie de son temps au volant de son poids-lourds. Cet habitant du Pays de Galles travaille pour une société française, ce qui l’emmène sur toutes les routes d’Europe. Il redoute les nouvelles formalités douanières et les bouchons qui vont forcément les accompagner.

Brian Jones, chauffeur routier gallois. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

"Personne ne sait ce qu’il va se passer et quelle taille feront les files d’attente. Nous sommes tous dans l’obscurité. Cela va être un cauchemar. Je vais être honnête avec vous, j’ai voté pour quitter l’Europe mais si je pouvais, aujourd’hui je voterais pour rester. Je pense que beaucoup de gens ici feraient pareil s’ils avaient une deuxième chance. Quand j’ai décidé de dire oui pour quitter l’Europe… Je crois que c’était parce que… quand vous allez en Allemagne ou que vous chargez votre camion aux Pays-Bas, en Belgique… Vous parlez avec les gens et ils vous disent 'Bruxelles a trop de pouvoir.' Ils font des lois qui ne vont pas à tout le monde dans l’Union européenne. Alors vous vous dîtes 'sortons de là'. Vous écoutez un peu tout le monde, vous lisez… Non mais si j’avais une seconde chance, je dirais : 'restons'."

John Redwood, député conservateur : "Une occasion d'améliorer notre économie et notre société"

John Redwood est conservateur et l’Europe, cela fait longtemps qu’il l’a en horreur. Cet ancien ministre de Margaret Thatcher est pressé de quitter l’UE, pour un futur radieux, selon lui.

John Redwood, député conservateur britannique. (Avec l'aimable autorisation de John Redwood)

"Je pense que nous avons maintenant beaucoup d’opportunités pour améliorer notre économie et notre société en revendiquant nos droits d'adopter nos propres lois et de prendre nos propres décisions, de dépenser notre propre argent pour nos propres priorités, d'élaborer des accords de libre-échange avec d'autres pays du monde où ils le souhaitent. Nous avons de bien meilleures relations commerciales avec les pays en pleine croissance qu'avec l'UE ces dernières années, de toute façon. Les politiques de la pêche et de l'agriculture auront beaucoup plus de sens pour le Royaume-Uni parce que ces industries sont gravement endommagées par la politique agricole commune qui nous a été imposée. Lorsque je regarde dans le passé ce qui s'appelait à l'origine le Marché commun, devenu le marché unique, je pense aussi que ça nous a été préjudiciable."

Dr Lee Jones, universitaire : "Un pas vers le rétablissement de la démocratie" 

Il y a des brexiters de gauche et d’extrême-gauche : le Dr Lee Jones en est un. Il travaille à l’université Queen Mary de Londres et surtout il a fondé un site internet thefullbrexit où il partage ses analyses avec d’autres chercheurs. Il est content de quitter l’Europe et sa vision politique étroite, dit-il. Il espère maintenant que le Brexit va permettre d’ouvrir une nouvelle voie.

Dr Lee Jones, universitaire et fondateur du site thefullbrexit.com. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

"Voulons-nous vivre dans un pays où les gens que nous élisons ont le dernier mot sur les lois qui régissent ce pays ? Voilà la question fondamentale. Comme toujours avec l'Union européenne. Nous n’aurons certainement pas le paradis des travailleurs au 1er jour de la sortie de l’Europe. Mais c’est un pas vers le rétablissement de la démocratie et la responsabilisation de la classe politique envers les gens ordinaires. Le Brexit, c’est une question de démocratie. Le gouvernement conservateur que nous avons actuellement est bien plus à gauche que le parti travailliste sur certaines questions. On constate que la démocratie est déjà en cours de reconstruction grâce au Brexit. Quitter l’Union européenne est une condition nécessaire. Parce que ça oblige les politiciens à revenir vers les gens et retrouver leur légitimité, leur politique auprès du peuple. Plutôt que dans des discussions entre eux à Bruxelles. C’est juste, c’est ce qu’il faut faire et c’est nécessaire."

Mandy Rossi, président du Green party dans le Kent : "Une triste situation"

Elle vit et travaille à Ashford dans le Kent. Là où passent plus de 7 000 poids-lourds chaque jour. Leur provenance ou leur destination : l’Union européenne. Elle sait l’importance des échanges entre l’Europe et le Royaume-Uni. Quatre ans et demi après le référendum, elle ne digère pas du tout ce choix, dicté avant tout par l’ignorance selon elle et elle redoute maintenant ses conséquences.

Mandy Rossi, président du Green party dans le Kent. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

"Je voudrais penser que nous allons conclure des accords qui seront bons pour tout le monde. J'aimerais penser que des gens très intelligents travaillent sur des systèmes et des processus qui vont faire fonctionner tout en douceur. J'aimerais penser qu’au cours des cinq prochaines années, les choses se règlent, s'améliorent. C'est ce que j'aimerais penser. J'espère. J'espère. J'espère vraiment. Mais j’ai de gros doutes... Au moment du référendum, les gens ne savaient pour quoi ils votaient vraiment. Aucun d'entre nous ne sait ce qu'est le futur. Alors comment pouvez-vous savoir pour quoi vous votez si vous ne savez pas ce que tout cela va signifier, à quoi ça va ressembler, quel impact cela va avoir sur votre vie quotidienne ? A l'école, on n’apprend rien sur les systèmes politiques et les institutions. Les gens ne comprennent pas ce qu'est un conseiller local ou la différence entre un conseiller local et un conseiller de comté, ou même comment un député s'inscrit dans tout ça. Il y avait un réel manque de compréhension. Voilà comment on se retrouve dans cette triste situation."

Biren Misra, consultant à Londres : "Une chance pour les non Européens"

Biren Misra est consultant en management. Il est de nationalité indienne et a refusé un poste aux États-Unis pour travailler à Londres. En tant que membre du Commonwealth, il se sent proche de son pays d’adoption mais a parfois le sentiment que la réciproque n’est pas vraie. Il voit le Brexit comme une façon pour le Royaume-Uni de s’ouvrir en dehors du cercle restreint de l’Europe.

Biren Misra, consultant en management. (avec l'aimable autorisation de Biren Misra.)

"En tant que travailleur Indien, ça ouvre de nouvelles perspectives. Cette sortie de l’Europe donne la possibilité à la diaspora indienne qualifiée de regarder le Royaume-Uni comme un pays où l’on peut faire carrière désormais ou au moins venir tenter sa chance. Jusqu’ici il y a l’obstacle de l’obtention du visa. Un problème que ne rencontre pas un Polonais par exemple. Parfois, il ne connaît rien au pays alors que moi j’ai une vraie culture britannique. Le programme d’immigration basée sur les capacités pourrait permettre à des Indiens diplômés comme moi de venir plus facilement. Cela pourrait créer les conditions d’une migration plus importante."

Michael Gray, avocat écossais : "On peut changer le futur de l'Écosse"

L’Écosse avait voté contre le Brexit mais en tant que membre du Royaume-Uni, elle est emportée hors de l’Union Européenne contre son gré. Si l’on se fie à plusieurs sondages récents, la majeure partie du pays veut désormais quitter le Royaume. C’est le cas de Michael Gray, ce jeune avocat europhile, va commencer 2021 avec un objectif en tête.

Michael Gray, avocat écossais. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

"Je me sens triste, un paquet de gens se sentent tristes. Parce que je vis dans un pays européen, dans une ville européenne. Il y a tant de gens qui viennent de partout en Europe et qui vivent ici. Ils se sentent citoyens. Ce sont mes amis, ma famille, mes voisins, les gens avec qui je travaille. On envoie un message négatif en se mettant en retrait par rapport à ces gens-là. Ce qui me fait garder espoir, c’est l’idée que l’on peut changer le futur de l’Ecosse. C’est pour ça que la question de l’indépendance retient autant l’attention des gens qui veulent agir de manière positive. On ne va pas pleurer. On va s’organiser politiquement et avancer vers l’indépendance. Les opinions changent en Ecosse. Et ça évolue rapidement. J’ai bon espoir que ce sera bien accueilli par les pays européens."

Marc Roche, journaliste : "Une relation privilégiée avec l'Europe"

Devenu citoyen britannique Il y a deux ans, Marc Roche publiait un livre Le Brexit va réussir. Un titre provocateur pour une démonstration sur la capacité du Royaume-Uni à s’épanouir hors de l’Europe. Aujourd’hui, le journaliste ne renie rien de ce qu’il a écrit mais les deux années de négociations chaotiques le poussent à revoir un peu l’agenda.

Marc Roche, journaliste et essayiste, devenu citoyen britannique. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

"Je continue de penser que le Brexit va réussir. Simplement, je changerais le calendrier. Sa réussite va être un peu plus longue que je ne l'avais prévu. Donc, au lieu de deux ans, je dirais 3 à 5 ans. L'Angleterre va tirer profit de ses atouts qui sont essentiellement les atouts traditionnels la City, les universités, le soft power, le système politique, le système migratoire, la société multiculturelle. Moi, je suis un remainer, un partisan du maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Simplement, j'ai accepté le verdict populaire donc j'ai accepté le Brexit. Ce que beaucoup de 'remainers' n'ont jamais accepté. Et en plus, j'estime qu'il va réussir parce que je pense que ce pays a des atouts uniques, liés à la fois à son histoire liée à sa géographie, à ses liens planétaires. Ces atouts vont l'emporter. Mais je tiens à préciser : dans le cadre d'une relation privilégiée avec l’Europe."

Dom Mc Court, boucher et éleveur : "Il y a tellement d'incertitudes..."

Les standards alimentaires, c’est l’un des sujets qui posent question dans le Royaume. Débarrassé des règles européennes, quelles normes vont désormais s’appliquer. C’est une interrogation qui taraude Dom Mc Court. Il est éleveur et boucher, il avait voté pour rester en Europe et ce départ l’inquiète.

Dom Mc Court, boucher et éleveur. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

"Il y a tellement d’incertitudes à ce stade… En ce qui concerne mes collègues ici à Londres, nous sommes très multiculturels. Nous avons des gens de plein de pays différents : Italie, France, Hollande, etc. Si les gens ne peuvent plus se déplacer librement et venir s’installer ici, c’est un problème pour nous. Parce que c’est comme ça que nous avons trouvé de grands professionnels de l’alimentation. Ils sont venus travailler ici et ils ont apporté cette culture du bon produit dans le secteur agro-alimentaire, ce qui est super. J'espère juste que nous allons conserver cette trajectoire vraiment positive pour la nourriture. Dans ce pays, ces dernières années, ça a été un peu une renaissance. Il faut que nous puissions maintenir cette attention. Essayer d'être aussi intransigeants que possible dans la recherche de la qualité. Et nous aurons besoin de diversifier, de diversifier et d'adapter."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.