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"Partir est un déchirement" : la déprime des eurodéputés britanniques anti-Brexit, sur le point de quitter Strasbourg

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un eurodéputé britannique lit un journal titré "Décidez-vous", le 13 mars 2019, à Strasbourg (Bas-Rhin). (FREDERICK FLORIN / AFP)

Certains ont déjà plié bagages, d'autres tentent encore d'arrêter le Brexit. Franceinfo a interrogé des eurodéputés britanniques dépités de devoir quitter le Parlement.

"Chers collègues, je ne vous demande pas de trouver une solution à nos débats nationaux. Je vous demande de laisser une lumière allumée pour que nous puissions trouver notre chemin pour rentrer à la maison." Alyn Smith a fait des adieux émus au Parlement européen, jeudi 28 mars, à l'occasion de débats sur le Brexit. L'eurodéputé du parti nationaliste écossais SNP a assuré que l'indépendance serait "la seule voie" pour que sa région réintègre l'UE.

Et il n'est pas le seul élu britannique qui quitte Strasbourg à regrets. Vendredi, le conservateur Richard Ashworth a été ovationné après un discours appelant les "peuples européens" à considérer le Brexit comme "une mise en garde""Ne prenez jamais [la paix et la prospérité] pour acquises, a martelé celui qui siège depuis quinze ans dans l'hémicycle européen. Chérissez-les, battez-vous pour elles et défendez-les chaque jour."

"Une immense tristesse"

Les 73 eurodéputés du Royaume-Uni étaient censés quitter leurs fonctions vendredi 29 mars. La décision de Bruxelles de repousser le Brexit au moins jusqu'au 12 avril leur a offert un peu de répit. Mais, à quelques jours de l'échéance, certains restent amers. "J'imagine que les eurodéputés du [parti eurosceptique] Ukip sont ravis, mais ce n'est pas mon cas. Le sentiment qui domine est une immense tristesse", confie le conservateur Daniel Dalton à franceinfo. "J'aime être eurodéputé, je crois en ce que je fais. A titre personnel, partir est un déchirement", explique son collègue Richard Ashworth.

Je regrette profondément le Brexit. Il restera dans l'histoire comme une énorme erreur, décidée pour beaucoup de mauvaises raisons.

Richard Ashworth, eurodéputé conservateur

à franceinfo

D'autres europhiles sont déjà nostagiques de leur vie au Parlement. "Vous pensez aux longues nuits, au travail sur des dossiers, à l'attente pour pouvoir prendre la parole dans des rencontres, aux réflexions avec des collègues d'autres partis et vous vous rendez compte que tout cela va vous manquer, confie la travailliste Theresa Griffin à The Parliament Magazine (en anglais)Je vais surtout regretter mes collègues, mon équipe, mes collaborateurs au Parlement, que j'ai appris à connaître au cours des cinq dernières années. Ainsi que le sentiment de communauté que l'on a lorsque l'on travaille dans une Union comme celle-ci." 

"Nous serons perdants de tous les côtés"

Qu'en pensent les eurodéputés pro-Brexit ? Contactés par franceinfo, aucun n'a donné suite. Lors d'un débat au Parlement, mercredi 27 mars, Nigel Farage, hérault d'un Brexit dur, a toutefois enjoint l'UE à ne pas accorder de nouveau délai à Londres. "Est-ce que vous voulez vraiment que le Royaume-Uni participe aux européennes et envoie un très grand nombre de députés partisans du 'leave' alors que vous luttez contre les populistes partout sur le continent ? Est-ce que vous voulez vraiment que je revienne ici ?" a-t-il lancé.

L'eurodéputé du Brexit Party Nigel Farage, lors d'un débat au Parlement à Strasbourg (Bas-Rhin), le 27 mars 2019. (FREDERICK FLORIN / AFP)

"Il est catastrophique que le Royaume-Uni ne soit plus représenté à Bruxelles et Strasbourg", le contredit l'eurodéputée des Verts Molly Scott Cato, interrogée par franceinfo. "Nombre de décisions et de législations européennes continueront d'avoir un impact sur les Britanniques, insiste Richard Corbett, élu du Labour. Mais nous perdrons notre voix au Parlement, dans les différentes commissions, nous n'aurons plus de juge à la Cour européenne de justice… Nous serons perdants de tous les côtés."

"J'espère que notre bilan perdurera"

Pour Richard Ashworth, les eurodéputés conservateurs qui soutiennent Theresa May ont "certainement des sentiments plus mitigés". "Ils sont pour le 'leave', mais ils savent que notre action ici a un impact", assure-t-il. Les élus interrogés par franceinfo estiment tous que le Royaume-Uni a "fait du bon boulot au Parlement""Lorsque je fais le bilan de mes quinze ans à Strasbourg, je suis fier, très fier", poursuit Richard Ashworth. "Une majorité d'entre nous a fortement contribué à réformer et améliorer l'UE, et le Parlement en particulier, renchérit Richard Corbett. J'espère que ce bilan perdurera malgré le Brexit." L'élu du Labour ne peut s'empêcher de lancer une pique aux eurosceptiques. "Les seuls à ne pas avoir fait grand-chose sont mes collègues de l'Ukip et du Brexit Party."

Selon les Britanniques, les élus des autres Etats membres s'attristent eux aussi de les voir partir. "Nous n'avons pas toujours été des partenaires faciles à vivre ou populaires, reconnaît Richard Ashworth. Mais je crois que c'est aussi pour cette raison que nous serons regrettés." Le conservateur décrit les élus du Royaume-Uni comme "pointilleux, tournés vers l'international, attentifs aux droits des consommateurs".

Nous apportions un point de vue différent.

Richard Ashworth, eurodéputé conservateur

à franceinfo

Tant qu'ils le peuvent, ces eurodéputés continuent d'apporter leur "point de vue" au Parlement. "Durant ces derniers jours, je partage mon temps entre les votes importants, par exemple sur les droits des consommateurs, et la question du Brexit", explique le conservateur Daniel Dalton. Son collègue Richard Ashworth s'est en revanche "trouvé dans une situation difficile depuis Noël". "Je suis normalement très engagé dans la commission parlementaire sur le budget, mais ce serait une faute morale de donner mon avis ou de voter sur des financements alors que le Royaume-Uni ne sera bientôt plus dans l'UE, estime l'élu. Je me suis donc délibérément tenu à l'écart." 

Contrats écourtés pour les assistants parlementaires

Ces élus europhiles continuent surtout de suivre le dossier du Brexit. Bien qu'il ait voté pour le "remain", Daniel Dalton "accepte le fait que ses électeurs ne veuillent plus d'eurodéputés". Le conservateur s'efforce donc de "les tenir au courant de l'avancée des négociations". D'autres, comme l'écologiste Molly Scott Cato et le travailliste Richard Corbett, "continuent de mener le combat contre le Brexit". "Je poursuivrai jusqu'à la dernière minute", assure l'élue. De son côté, la Nord-Irlandaise Martina Anderson multiplie les rencontres avec les responsables européens. Elle les "encourage à soutenir la réunification des deux Irlande", qui est selon elle "la solution" à l'épineuse question de la frontière entre les deux territoires.

La situation est d'autant plus pénible que la date du départ des Britanniques peut encore changer. "Nous étions censés finir [le 29 mars], finalement ce sera le 12 avril… ou fin mai", s'impatiente Martina Anderson. L'attente est particulièrement compliquée pour les assistants parlementaires. "Leurs contrats ont été écourtés pour se terminer en même temps que notre mandat, c'est inadmissible", dénonce l'élue du Sinn Féin.

Certains assistants vont pouvoir bénéficier d'une extension à la dernière minute, si nous restons plus longtemps que prévu. Mais beaucoup ont déjà postulé à un nouveau travail et abandonné leur appartement à Bruxelles.

Richard Corbett, eurodéputé travailliste

à franceinfo

Richard Ashworth a déjà vu toute son équipe s'éparpiller. "Cela fait six mois que je les encourage à chercher un autre emploi, explique-t-il. Je leur ai dit qu'après le 29 mars, je n'aurais plus les moyens de les aider ou de leur fournir une lettre de recommandation. Ils m'ont écouté et ont déjà tous retrouvé un contrat."

"Je préfère m'en aller discrètement"

Financièrement, les eurodéputés britanniques n'ont, eux, pas à s'inquiéter : ils toucheront des indemnités de "transition", équivalentes à un mois de salaire pour chaque année passée au Parlement. Reste la question de leur future activité. Une majorité des élus interrogés par franceinfo affirment ne pas avoir pensé à "l'après-Brexit", tant ils "restent concentrés sur leur mission d'empêcher" le divorce entre Londres et Bruxelles. En janvier, Molly Scott Cato avait affirmé en plaisantant qu'elle allait "écrire un blockbuster : Brexit, la comédie musicale", rapporte The Independent (en anglais). A présent, l'eurodéputée des Verts dit plutôt qu'elle "s'assiéra dans son jardin pour pleurer" si le Royaume-Uni sort bel et bien de l'UE. Puis elle s'attellera à "réparer la démocratie constitutionnelle dans [son] pays". Daniel Dalton attend, lui, de connaître les modalités du Brexit.

Ma femme est allemande. Est-ce qu'elle pourra vivre au Royaume-Uni ? Est-ce que nous pourrons rester à Bruxelles, en particulier en cas de 'no deal' ? Quand je le saurai, alors je verrai dans quels projets je me lance.

Daniel Dalton, eurodéputé conservateur

à franceinfo

D'ici là, les eurodéputés britanniques doivent commencer leurs cartons. "Mon bureau à Strasbourg est vide", indique Richard Ashworth, vendredi 29 mars. Daniel Dalton a lui aussi quitté ses locaux alsaciens, mais pas encore ceux de Bruxelles. "Il est impossible de faire tous les cartons avant de connaître la date finale du Brexit", déplore-t-il. Pas question en revanche d'organiser un "pot de départ""Nous avons seulement eu une petite réunion pour marquer les 40 ans de participation du Royaume-Uni au Parlement, mais rien en lien avec le Brexit", glisse sobrement Richard Corbett. "Plutôt que de marquer le coup, je préfère m'en aller discrètement", confie encore Richard Ashworth. "J'imagine que l'Ukip va célébrer cela, mais pas moi, lâche Daniel Dalton. Quitter Strasbourg est un événement doux-amer, pas une raison de faire la fête."

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