Brexit : la fin du programme Erasmus outre-Manche rebat les cartes pour les universités en Europe
C’est un phénomène qui passe presque inaperçu : l'arrêt du programme Erasmus par les Britanniques provoque un "big bang" académique. Les universités européennes tentent de séduire les étudiants qui désertent le Royaume-Uni, tandis que ce dernier cible des étudiants venus d’Asie.
Dan, un jeune Anglais qui a fait toutes ses études en France, rêve de devenir vétérinaire. Il pensait que le Brexit ne se traduirait pour lui que par quelques tracas administratifs. Comme tous les autres étudiants britanniques présents dans l’Union européenne, il pensait obtenir un visa long séjour pour pouvoir étudier dans l’UE à partir de la rentrée 2021.
Mais il se heurte à un problème insoluble : le concours national vétérinaire français n’est réservé qu’aux ressortissants de l’UE. Dan n’étant plus citoyen européen depuis le 1er janvier dernier, il faudrait qu’il obtienne la nationalité française pour poursuivre ses études. Or, celle-ci est accordée beaucoup moins rapidement qu’un visa, Dan a donc dépassé la date limite pour pouvoir s’inscrire au concours. "J'ai demandé un avis préalable sur l'état de mon dossier, mais on m'a répondu que ce n’était pas possible, déplore le jeune Britannique. Il a donc dû se résoudre à s’inscrire au sein d’une université privée à Cluj, en Roumanie. 'Même en attendant un an, je n'étais pas sûr d'obtenir la nationalité française, explique-t-il. Je risquais de me retrouver dans le même cas que cette année. On n'a pas pu trouver une solution suffisamment rapidement."
Depuis la fin d'Erasmus, un départ massif des étudiants
Dan n'est pas le seul à devoir quitter la France. Depuis que le Brexit a entraîné la suppression du programme d’échanges Erasmus, qui permettaient aux étudiants européens d’étudier sans frais au Royaume-Uni, les départs se succèdent.
Marielle André, qui accueillait des formateurs anglais à l'Institut régional de formation sanitaire et sociale de la Croix-Rouge de Tours, regrette cette disparition : "Quand on recevait nos collègues anglais, ils parlaient anglais avec nos étudiants, et les étudiants se rendaient compte qu’ils en avaient besoin, constate l’enseignante, qui participait à cet échange dans le cadre d’un projet de coopération Erasmus plus. Ça nous permettait nous, d'un point de vue professionnel, de développer d'autres compétences maîtrisées par nos homologues anglais et vice-versa. Ils vont avoir besoin de chercher ça ailleurs ou de rester plus autocentrés, ils ne vont pas avoir le choix."
Selon les responsables du programme Erasmus France, dans l’autre sens aussi, le départ des étudiants français du Royaume-Uni est massif. Il y a plus que 5 900 boursiers français dans le pays, c’est presque moitié moins qu’il y quatre ans. Cette baisse n’a cessé de s’amplifier, précise Laure Coudret-Laut, directrice générale d’Erasmus France : "Entre 2015 et 2018, on est autour de 13 000 participants aux échanges 'Erasmus plus' partant de France vers le Royaume-Uni. À partir de l’année 2018-2019, on observe un effet Brexit anticipé, on passe à 11 000 apprenants partant pour le Royaume-Uni." Soit près de 5 000 étudiants en moins en à peine quatre ans.
Des études à 23 500 euros l’année
Les étudiants français encore présents au Royaume-Uni, qui s’étaient engagés dans le programme Erasmus avant le Brexit, pourront aller jusqu’au bout de leur cursus, en principe sans frais de scolarité supplémentaires. Ils auront simplement besoin d’un visa. En revanche, si des Français veulent étudier en Angleterre dans les années qui viennent, ils devront le faire à leurs frais. Et cela risque de leur coûter très cher. "Les frais de scolarité des universités britanniques sont assez élevés, explique Laure Coudret-Laut. C'est autour de 20 000 livres [23 500 euros] pour l'undergraduate ["premier cycle"], en tout cas pour les grandes universités. Pour des Français qui ne connaissent pas des frais d'université élevés, c'est considérable." Sans parler des frais de logement et de nourriture.
La France et les Pays-Bas veulent capter plus d’étudiants
Les universités françaises tentent cependant de tirer profit de cette nouvelle donne en attirant vers elles les étudiants européens qui n’ont plus les moyens d’aller au Royaume-Uni. "C'est important de les faire venir dans nos cursus en France, explique Florent Bonaventure, directeur de la communication de l’organisme public Campus France. L'objectif initial de la stratégie dite 'Bienvenue en France' était d'attirer un total de 500 000 étudiants étrangers en France à l'horizon 2027, en renforçant l'attractivité en Europe, en Afrique et dans les grands pays émergents." Campus France mise sur le développement des programmes en langue anglaise.
"Les établissements français ont développé plus de 1 600 programmes de formation en anglais. Il y a une vraie offre d'enseignement à destination des anglophones qui viennent étudier en anglais et apprennent le français."
Florent Bonaventureà franceinfo
Mais la France n’est pas la seule à jouer cette carte-là. Les Pays-Bas aussi cherchent à tirer leur épingle de ce jeu post-Brexit. "Ils ont déjà constaté cette année une augmentation du nombre d’étudiants européens chez eux, analyse Florent Bonaventure. Ce pays offre une très large partie ses diplômes en anglais, avec des professeurs qui viennent de l'Europe entière. Il se pose un peu désormais comme un concurrent du Royaume-Uni."
Dans cette recomposition en cours, l’hexagone aussi pourrait accueillir plus d’étudiants venus d’Europe de l’Est, voire de Russie. Jusqu’ici, ceux qui étaient accueillis en France étaient avant tout francophones : 9 000 venant d’Afrique subsaharienne, et 5 500 du Maghreb. De l’autre côté de la Manche, pour compenser la perte des étudiant européens, les universités anglaises ciblent plutôt des profils asiatiques, indiens ou chinois notamment.
Chercheurs : la grande migration
Dans le milieu de la recherche aussi, ça bouge. Beaucoup de chercheurs européens qui travaillaient au Royaume-Uni sont déjà rentrés dans leur pays. Mais le mouvement avait commencé assez tôt. Nombreux sont les organismes qui ont relocalisé une partie de leurs personnels dès que le résultat du référendum sur le Brexit a été connu, ne sachant pas à ce moment-là si les Britanniques allaient continuer à coopérer dans le domaine de la recherche. "Plus de 2 000 chercheurs sont partis en 2016, parce que les conditions de recherche se détérioraient. C’est ce que la presse anglaise a appelé le 'Brexodus', se souvient Florent Bonaventure, de Campus France. Les établissements les plus touchés étaient les grandes institutions, comme Oxford, Cambridge, la London School of Economics, avec des chercheurs qui revenaient dans les établissements européens. Depuis, cette fuite s'est stabilisée."
Là encore, en réaction, la France s’organise pour essayer d’attirer des scientifiques britanniques. "L'un des contre-phénomènes du Brexit est l'intérêt pour les chercheurs du Royaume-Uni de venir s'installer en France, analyse Patrick Nédellec, directeur Europe recherche et coopération internationale au CNRS. L’université d'Oxford, à travers la recherche autour du cancer, réfléchit à une installation, ou en tout cas une possible implantation, à l'université de Montpellier. Tout l'enjeu est de créer une entité qui soit reconnue en France comme un de leurs laboratoires."
Ces programmes d’échanges seront cependant subordonnés à un accord d’association entre le Royaume-Uni et Bruxelles. Il vise à permettre aux Britanniques de continuer de participer aux programmes européens de recherche, et à autoriser la libre circulation des chercheurs entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Problème cependant : pour cause de Covid-19, ces négociations n’ont toujours pas commencé.
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