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La Commission de l'UE propose de laisser les Etats membres libres d'interdire la culture des OGM sur leur territoire

Elle cherche ainsi à débloquer les autorisations de culture dans l'Union européenne, et selon ses détracteurs, à les multiplier. Le commissaire à la Santé, le Maltais John Dalli, souhaite présenter son dossier à la Commission le 7 juillet.Les écologistes se montrent prudents tandis que l'industrie agrochimique évoque "un grand pas en avant".
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Des pommes de terre génétiquement modifiées (par BASF) Amflora (AFP - HO - BASF)

Elle cherche ainsi à débloquer les autorisations de culture dans l'Union européenne, et selon ses détracteurs, à les multiplier. Le commissaire à la Santé, le Maltais John Dalli, souhaite présenter son dossier à la Commission le 7 juillet.

Les écologistes se montrent prudents tandis que l'industrie agrochimique évoque "un grand pas en avant".

Victimes de la défiance de l'opinion publique et de leurs effets jugés néfastes sur l'environnement, les cultures d'OGM ont tendance à reculer dans l'Union européenne. Alors que 134 millions d'hectares de plantes transgéniques sont déjà cultivés dans le monde, seuls 100.000 ha le sont sur le territoire européen. "Le président de la Commission de Bruxelles, José Manuel Barroso, n'a jamais caché qu'il souhaitait mettre fin à cette exception", souligne Le Monde.

Le commissaire à la Santé et à la Politique des consommateurs, John Dalli, a lancé les premières consultations au sein de la Commission sur sa réforme, inspirée d'une proposition des Pays-Bas de 2009. Proposition ensuite reprise par José Manuel Barroso, lors de sa campagne pour un second mandat.

Techniquement, la Commission propose deux choses. D'abord interpréter de manière souple les règles en vigueur. Puis réviser la directive 2001/18 sur la dissémination des OGM dans l'environnement, en y ajoutant une clause de sauvegarde nationale qui aille au-delà des préoccupations liées à la santé ou à l'environnement.

Les propositions bruxelloises
Les nouvelles propositions de Bruxelles entendent "permettre aux Etats d'interdire des OGM sans être obligés de mettre en place une clause de sauvegarde", explique Le Monde. "Une clause dérogatoire ('opt-out') serait introduite, que les gouvernements pourraient invoquer, sans justification particulière, pour prohiber telle ou telle culture", poursuit le quotidien. Les interdictions pourront couvrir l'ensemble du territoire du pays, ou seulement des régions, et concerner un seul ou plusieurs OGM. Elles n'auront pas besoin d'être avalisées par la Commission comme c'était le cas jusqu'à présent.

Selon une série de documents obtenus par Reuters, l'exécutif communautaire espère ainsi dégonfler l'opposition aux organismes génétiquement modifiés en Europe en offrant à chaque Etat membre la possibilité d'interdire la culture sur son sol d'une semence approuvée au niveau européen.

"La Commission européenne considère que l'introduction d'une clause de retrait permettant aux Etats membres de décider de la culture des OGM (...) est nécessaire", est-il indiqué dans l'une de ces documents. Cette faculté, précise la Commission, ne doit cependant pas remettre en cause le principe d'approbation des semences au niveau européen ainsi que le libre-échange de ces produits au sein du marché intérieur.

"La liberté des Etats membres concerne uniquement la culture des OGM, mais pas le libre-échange des semences OGM autorisées qui doit demeurer sans entraves dans le cadre du marché intérieur", lit-on ainsi dans le texte mentionné ci-dessus. Actuellement, d'une manière générale, les clauses de sauvegarde que peuvent invoquer les Etats membres doivent être motivées par des raisons sanitaires ou environnementales. Dans le cas contraire, l'UE s'expose à des plaintes auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le texte passera-t-il ?
Avec leurs nouvelles propositions, les services de John Dalli espèrent que "les Etats membres (adopteront) une attitude plus positive lors de l'évaluation des risques et (éviteront) d'avoir recours à des clauses de sauvegarde pour répondre à des questions non scientifiques".

Selon une source européenne citée par Reuters, la Commission est optimiste sur les chances de ses propositions d'aboutir dans des délais raisonnables. Elle compte notamment s'appuyer sur les opinions divergentes des Etats membres sur ces questions pour faire accepter son projet. Pour autant, elle doit le faire passer auprès des Etats à la majorité qualifiée (chaque décision doit obtenir un minimum de 73,9% des votes pour être adoptée). Le texte doit ensuite être validé par le Parlement européen. Et c'est là où le bât pourrait blesser...

Car le PE, qui doit rendre des comptes aux électeurs et qui, en vertu du traité de Lisbonne, décide la législation européenne au même titre que la Commission (codécision), pourrait ne pas suivre. Il n'y avait qu'à observer le 8 juin dernier, dans les locaux bruxellois du Parlement, l'attitude très résolue de l'eurodéputé français José Bové (groupe des verts) contre les OGM pour comprendre que les services de José Manuel Barroso ne sont peut-être pas au bout de leurs peines. Lequel José Bové rappelle qu'il a "été en prison" pour s'opposer à la culture des plantes transgéniques...

Réactions
Très critique contre "l'indigeste menu OGM concocté par l'apprenti marmiton José Manuel Barroso", l'organisation écologique Greenpeace a salué "le droit pour les Etats et les régions de se déclarer libres d'OGM". L'ONG ne s'en montre pas moins méfiante: elle estime que derrière leur aspect "séduisant", les propositions de Bruxelles dissimulent un piège: "Le texte ne fait aucun mystère que l'intention est d'accélérer les autorisations". "Or l'évaluation des OGM n'est actuellement pas mise en oeuvre de façon satisfaisante", précise Greenpeace.

Les autorités françaises n'ont pas encore officiellement réagi. Le porte-parole du ministre de l'Agriculture, Bruno Lemaire, s'est refusé à tout commentaire et a affirmé ne pas avoir pris connaissance du document.

Pour le groupe agrochimique américain DuPont, cité par Le Monde, les propositions de la Commission constituent "un grand pas en avant", même si elles ne sont pas "idéales".

Le contexte politique
Trois demandes sont sur la table du commissaire à la Santé pour les maïs BT 11 du groupe suisse Syngenta, BT 1507 de l'américain Pioneer (filiale de DuPont), et Mon810 de l'américain Monsanto pour la reconduction de son autorisation.

Aucune nouvelle autorisation de culture d'OGM n'est prévue dans l'immédiat, a fait savoir John Dalli. Ce dernier a été échaudé par "les remous" causés par l'autorisation surprise en mars de la pomme de terre OGM Amflora du groupe de chimie allemand BASF. L'Amflora avait reçu le feu vert des autorités communautaires trois semaines après l'investiture de la Commission Barroso II. Nombre d'observateurs avaient alors vu dans ce calendrier le retour à une stratégie offensive de Bruxelles sur les organismes modifiés...

Plusieurs pays s'inquiètent de la contamination des cultures traditionnelles ou biologiques par la dissémination des semences OGM. Ils jugent que les avis de scientifiques pris en considération par Bruxelles pour les autorisations ne traitent pas de cet aspect.
"Il faut une expertise dans laquelle les gens ont confiance et des OGM adaptés aux spécificités de l'UE", explique un diplomate européen cité par l'AFP. "Les semences de Monsanto ne sont pas faites pour l'UE. Elles ont besoin d'immenses espaces sans problèmes de coexistence ni de parcellisation des terres cultivables", estime le même diplomate.

Sept pays, dont la France et l'Allemagne, ont interdit la culture du Mon810 en raison des risques de contamination des cultures traditionnelles et biologiques dans la zone de culture. Pour autant,
les gouvernements ne veulent pas fermer la porte aux OGM. "Peut-être demain apporteront-ils une solution en permettant de réduire les apports en eau et en intrants chimiques", avait expliqué début mars la secrétaire d'Etat française à l'Environnement, Chantal Jouanno. "Pour l'instant, je vois bien les intérêts financiers, mais pas l'intérêt pour la société", avait-elle ajouté.

D'une manière générale, la France se montre méfiante vis-à-vis des plants transgéniques. Durant la présidence française de l'UE, au 2e semestre 2008, elle avait fait adopter à l'unanimité des Etats membres une "feuille de route" pour modifier en profondeur le processus d'autorisation de ces plants ainsi que le fonctionnement de l'Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), rapporte Le Monde. Laquelle EFSA a contesté la validité scientifique des interdictions des Etats...

La situation actuelle des OGM dans l'UE
Seules deux variétés d'OGM sont actuellement autorisées à la culture dans l'Union européenne: le maïs Mon810 de Monsanto et la pomme de terre Amflora de BASF (utilisée par l'industrie papetière).

La licence décennale du mais Mon810 est en cours de renouvellement. Quant à la pomme de terre Amflora, elle a été autorisée début mars.

D'une manière générale, les cultures d'OGM, notamment victimes de la défiance des opinions publiques, sont en recul sur le Vieux continent. Les surfaces consacrées à la culture du Mon810 sont ainsi passées de 106.737 hectares en 2008 à 94.749 ha en 2009. Six pays seulement cultivent ce maïs génétiquement modifié : Espagne (76.000 hectares contre 79.000 en 2008), Portugal (5000 ha, contre 4000), République tchèque (6480 ha contre 8000 ha), Roumanie (3000 ha contre 6000 ha), Pologne (3000 ha) et Slovaquie (875 ha contre 1900 ha). La céréale transgénique est frappée par des clauses de sauvegarde en France, Allemagne, Italie, Autriche, Hongrie, Grèce et Luxembourg.

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