L'Estonie peut-elle être un modèle pour l'Europe en crise?
«Dans la mesure où l’Estonie est soudain devenue l’enfant modèle pour les défenseurs de l’austérité (…), j’ai pensé qu’il pourrait être utile de savoir de quoi l’on parle», écrit Paul Krugman dans un court article, ironiquement intitulé Rhapsodie estonienne et publié sur son blog du New York Times. L’économiste fournit un graphique statistique d’Eurostat sur l’évolution du «PIB réel» du pays sur la période 2007-2011, avec ce commentaire : on assiste à «une crise terrible, qui rappelle celle de 1929, suivie d’une reprise significative mais incomplète». En clair, l’Estonie n’est pas sortie de la récession. Et de conclure, quelque peu ironiquement : «Peut-on vraiment parler de triomphe économique ?»
Cette analyse n’a pas du tout plu au président estonien, Toomas Hendrik Ilves. Il s’agit là d’une prise de position «suffisante, arrogante et condescendante», a-t-il réagi sur Twitter. «Mais que savons-nous en fait [nous autres Estoniens, NDLR] ? Nous ne sommes que des Européens de l'Est, stupides et idiots», a-t-il renchéri ironiquement.
Récession et redressement
L’Estonie, ancienne république soviétique devenue indépendante en 1991, a rejoint l’UE en 2004 et adopté l’euro sept ans plus tard. Après des années de très forte croissance, le pays, qui compte 1,3 million d’habitants, a été rattrapé par la crise financière mondiale : en 2009, le produit intérieur brut (PIB) a connu une chute brutale de 14,3%, le chômage a bondi de 20%. Mais l’Estonie a réussi un remarquable rebond avec une croissance de 7,6% en 2011, couplée à une dette publique à 6%, niveau le plus bas parmi les membres de l’UE. Le taux de sans-emploi a été ramené à 11%.
Pour parvenir à ce résultat, les autorités de Tallinn ont adopté une rigoureuse politique d’austérité. Elles ont ainsi baissé les salaires, notamment ceux des fonctionnaires, de plus de 10% et instauré une plus grande flexibilité sur le marché du travail (procédures de licenciement rendues plus faciles…). Dans le même temps, les entreprises réduisaient massivement leurs effectifs. Appparemment, ces mesures ont été relativement bien acceptées par la population : les observateurs ont ainsi noté peu de grèves ou de manifestations. Un phénomène qui s’explique notamment par «l’absence de représentation syndicale forte».
Quoi qu’il en soit, les résultats sont là et l’économie s’est redressée. Au 1er semestre 2011, l’Estonie a vu ses exportations augmenter de 54% et son activité industrielle de 26%, ce qui a eu pour effet de doper la croissance. Autres facteurs de redressement : une législation «business friendly» et une imposition fiscale basse qui plaît aux investisseurs. Dans le même temps, avec la récession, les consommateurs se sont davantage tournés vers les produits locaux, ce qui a donné un coup de fouet aux entreprises estoniennes.
«Vertus de l’austérité»
Dans ce contexte, les milieux d’affaires internationaux applaudissent à la success story, y voyant «les vertus de la flexibilité et de l’austérité (sujet sensible alors que d’autres pays de la zone euro goûtent le même médicament)», comme le note The Economist. L’économiste républicain américain Daniel J. Mitchell parle même de «succès de l’austérité», sur le site libéral contrepoints.org (qui compte notamment parmi ses contributeurs les Français Alain Madelin et Guy Sorman).
Des compliments que vient doucher Paul Krugman. Mais selon Mitchell, ce dernier se livre à «un bidouillage de données», notamment parce qu’il se contente de donner des chiffres pour la période 2007-2011 et qu’il ne remonte pas au-delà.
L’Estonie, un exemple à suivre pour le reste de l’UE ?
Au-delà de la polémique idéologique, reste à savoir si l’Estonie peut être «un nouveau modèle pour la zone euro». Non, répond Sandrine Levasseur, économiste à l’Office français des conjonctures économiques (OFCE), qui dépend de Sciences Po Paris.
Pour elle, les succès estoniens s’expliquent par la conjonction d’éléments favorables qui ne peuvent pas être généralisés. Ainsi, «une stratégie de baisse des salaires ne permet [au pays, NDLR] de regagner en compétitivité par rapport à ses principaux partenaires que si elle est menée isolément. Si en Europe, et notamment dans la zone euro, tous les pays baissaient les salaires, le résultat en serait simplement une atonie de la demande intérieure sans effets bénéfiques sur les exportations des pays», explique-t-elle. Et d’ajouter : «On ose à peine imaginer l'impact sur la zone euro si l'Allemagne ou la France (soit des «grands» pays) avaient baissé de façon drastique leurs salaires au plus fort de la crise. Outre l'atonie de la demande, cela aurait inévitablement conduit à une guerre commerciale entre les pays ne profitant finalement à personne...»
L'introduction de l'euro en Estonie
LCP, décembre 2010
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