Jamais Heidemarie Schwerner n'aurait crû pouvoir tenir si longtemps sans argent
Pourtant, ce qui ne devait être qu'une expérience de douze mois est devenu son mode de vie depuis 15 ans.
Maquillage discret, pull en coton rose bonbon et collier de perles synthétiques: difficile d'imaginer que cette Allemande de 69 ans, aux traits élégants et au sourire chaleureux, n'a pas dépensé un sou depuis des années.
"Abandonner l'argent m'a apporté une qualité de vie, une richesse intérieure et la liberté", explique-t-elle.
Rien ne semblait la prédestiner à adopter un style de vie si radicalement éloigné de la société de consommation, hormis peut-être ses premières années.
A 2 ans, elle faisait partie du flot des expulsés par l'armée russe
Née pendant la Seconde guerre mondiale en Prusse orientale, ancien territoire allemand séparé du reste du pays par le couloir de Dantzig, elle s'est retrouvée à deux ans dans le flot des expulsés par les troupes russes.
Sa famille est arrivée démunie en Allemagne. "J'ai vu comment on était considéré comme des moins que rien quand on n'avait ni possessions ni argent", raconte-t-elle.
Au Chili, "j'ai vu la grande pauvreté", raconte-t-elle
A la fin des années 1960, elle passe un an au Chili. "Là, j'ai vu la grande pauvreté", se remémore cette ancienne institutrice.
De retour en Allemagne, elle a deux enfants, divorce puis s'installe à Dortmund (ouest) en 1982, où elle ouvre un cabinet de psychothérapie. "J'avais envie de comprendre ce qui se passe dans la tête des êtres humains. Mais ce n'était pas assez, je voulais faire plus pour le monde".
Créatrice d'un réseau de troc
Naît alors en 1994 l'idée de créer un réseau de troc, une originalité pour l'époque, qu'elle destine aux gens qui n'ont rien. Des retraités et des étudiants répondent à l'appel.
Heidemarie commence à garder des maisons momentanément inoccupées en échange de services ou d'objets. Et se rend compte que presque tous ses besoins sont couverts sans avoir à débourser un centime.
La vie sans argent
En 1996, elle franchit un pas décisif: elle abandonne emploi et location et son réseau de troc, fait don de tous ce qu'elle possède, résilie compte bancaire et assurance maladie et se donne un an pour expérimenter une vie sans argent.
Dans son entourage, c'est l'incompréhension. "Ma fille s'est fait beaucoup de souci, mes amis ont presque pleuré. Maintenant elle me soutient".
Heidemarie se fait héberger à droite et à gauche puis revient à Dortmund pour écrire un livre, qui sera traduit dans plusieurs langues.
"J'ai gagné beaucoup d'argent avec ce bouquin", glisse-t-elle, "j'ai tout donné à des passants en billets de cinq Deutsche Mark". Elle passe à la télévision et anime des séminaires, son histoire fait l'objet d'un documentaire.
Du troc au partage
Aujourd'hui, elle rédige son troisième livre dans une maison de Wilhelmshaven (nord) où elle est logée gratuitement. En échange, elle sort les poubelles et tond la pelouse.
Elle reverse sa retraite, environ 700 euros par mois, à "des connaissances qui en ont besoin" et refuse de penser à ses vieux jours ou d'aller chez le médecin.
Sa nourriture, elle la trouvait à Dortmund dans un magasin d'alimentation bio qui lui donnait les invendus. A Wilhelmshaven, elle reçoit parfois des légumes du jardin d'une amie et a démarché une association d'aide alimentaire.
"Bien sûr, je m'inquiète quand il n'y a rien dans le frigo. Au début j'avais peur tout le temps, mais ce que j'aime par dessus tout c'est ne pas savoir ce qui va se passer le lendemain".
Pour Heidemarie, l'objectif n'est pas tant de faire des émules que "d'aider les gens à réfléchir sur leur façon de vivre et leurs relations aux autres".
Aujourd'hui, elle ne se satisfait plus du troc et souhaite le "partage", un échange dans lequel "personne n'attend rien en retour". Dans deux mois, elle reprendra sa petite valise, son unique bien, pour une destination encore inconnue.
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