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Immigration: à quoi servent les «hot spots» que veut l'Europe?

La question des migrants hante l’Europe. Les débats sont de plus en plus vifs au sein de l’Union entre les pays d’accueil et les autres Etats qui ferment leurs frontières. Pour tenter de résoudre le problème, l’UE envisage de développer le système de «hot spots» pour, officiellement, «trier» les migrants aux marges de l’Europe ou à l’extérieur de l’Union. Explications.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
L'odyssée de l'«Aquarius», navire chargé de migrants, refusé par l'Italie, non accueilli par la France, finalement pris par l'Espagne... symbolise les difficultés de l'Europe face à la question migratoire. (PAU BARRENA / AFP)

Hot spots ou Plateformes régionales de débarquement, comme préfère les appeler la Commission européenne...ou même «centres fermés»... Quel que soit le mot employé, l'idée est de créer des lieux où sont regroupés les migrants pour régler les formalités administratives et offrir la possibilité à ceux qui le souhaitent de demander l'asile, seule façon légale de pouvoir prétendre à entrer dans les pays européens qui ont en général tous fermés leurs portes à l'immigration. Dans ces centres, l'Union Européenne apporte une aide logistique dans «l’enregistrement, l’identification, la prise d’empreintes digitales et le recueil de témoignages des demandeurs d’asile, ainsi que sur les opérations de retour.»

L'«Aquarius» symbolise les divisions de l'Europe
Une fois cette définition adoptée, reste éventuellement à l'appliquer dans un contexte politique difficile. En effet, la politique migratoire de l'Union, régie notamment par les accords de Dublin, est une pomme de discorde entre les différents Etats membres. Cette politique fait supporter aux pays situés sur les frontières extérieures de l'Europe ( sur les bords de la Méditerranée pour être précis) tout le poids des arrivées de migrants. Notamment la Grèce et l'Italie. Avec les résultats politiques enregistrés dans la péninsule, qui vient de marquer sa mauvaise humeur avec l'affaire de l'Aquarius


Au cours des dernières années, la nature des migrations a relativement évolué. A la suite d'un accord en 2016 entre l'UE et la Turquie, la route principale passant par la Turquie vers la Grèce a été coupée, limitant l’arrivée de migrants venant de zones de guerre (Syrie, Irak, Afghanistan…). Aujourd’hui, les arrivées – en baisse – se font essentiellement depuis la Libye (et des autres pays d’Afrique du Nord). Sur cette route, les migrants originaires d'Afrique sont devenus majoritaires.

L'arrivée des migrants se fait donc principalement en Italie. Et les tentatives européennes de répartir ces personnes en Europe ont toutes échoué. Au sein de l’Union, les débats sont de plus en plus vifs sur cette question. L’Italie a changé de gouvernement en partie pour cette raison. Angela Merkel est mise en cause dans sa propre majorité. La droite gouverne avec l'extrême droite en Autriche, les pays de l’Est européen ferment leurs frontières et la France bloque les migrants venant d’Italie tout en affirmant renforcer sa législation.

Des «hot spots» hors d'Europe?
En 2016, dans le cadre des accords avec la Turquie, l’Europe a mis en place neuf hot spots: cinq implantés sur les îles grecques et quatre en Italie. Ces centres sont chargés d’identifier les nouveaux arrivants et de séparer les demandeurs d’asile des migrants économiques. 

Aujourd'hui, l’idée de l’Europe semble être de limiter les traversées de la Méditérranée par les migrants. D’où le projet de faire le tri de ces derniers en terre africaine. Le prochain sommet européen, les 28 et 29 juin, pourrait travailler sur cette piste. «Nous sommes déterminés à faire progresser la réduction du nombre d'arrivées illégales dans l'Union européenne en particulier en renforçant la protection des frontières extérieures, en harmonisant les procédures d'asile et en intensifiant la coopération avec les pays de transit ainsi qu'avec les pays d'origine», affirme un projet de résolution européen, cité par Reuters.  

Chiffres 2018 etr 2017 de l'Organisation internationale des Migrations. (à gauche les chiffres de 2018, à droite ceux de 2017) entre le 1er janvier et le 17 juin. (OIM)

Paris a déjà avancé sur cette ligne. Pour «éviter que les gens qui seraient de toute façon déboutés de l’asile ne prennent des risques inutiles en continuant leur voyage», selon Libération.

«Nous développerons des missions de l'OFPRA qui iront les unes sur les hot spots italiens (...), les autres sur le sol africain dans les pays sûrs où nous pourrons organiser ces missions pour traiter les demandes des demandeurs d'asile», affirmait Emmanuel Macron. Depuis cette déclaration, trois missions ont été organisées au Sahel par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Ses agents, après une série d'entretiens et de vérifications, ont selectionné au total 458 personnes essentiellement en provenance d'Erythrée, du Soudan et de Somalie. Ils seront transportés par avion et pourront obtenir l'asile en France, notait TV5Monde.

Au-delà des questions humanitaires, il est vrai que les accords passés par l'Italie avec des forces libyennes ont réussi à faire baisser les passages vers l'Europe, selon les chiffres de l'OMI. Mais à quel prix quand on connaît le sort réservé aux migrants dans ce qui reste de la Libye. 

En tout cas, l'idée semble progresser. «Certains décideurs bruxellois considèrent désormais avec sérieux une solution évoquée récemment par l’Autriche et le Danemark: la création de camps dans des pays tiers – on a évoqué des pays des Balkans occidentaux, dont l’Albanie. Ils serviraient de lieux de rétention pour les déboutés du droit d’asile et de hot spots, où des migrants pourraient introduire leur demande en vue de séjourner dans l’Union», écrivait Le Monde du 19 juin. Le nom de la Tunisie est aussi évoqué. Idée qui semble déjà repoussée par Tunis. 
Réunis près de Berlin 19 juin 2018, avant le Conseil européen des 28 et 29 juin, Emmanuel Macron et Angela Merkel sonr restés relativement flous sur l'idée de "hot spots" en dehors de l'Europe. (LUDOVIC MARIN / AFP)


Viol les droits de l’Homme?
Selon un responsable du HCR, «un premier triage se ferait dans ces plateformes, notamment en Afrique du Nord, où le HCR, l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) et d’autres organisations pourraient aider les Etats pour que, très rapidement, ceux qui n’ont pas besoin de protection internationale soient aidés pour retourner dans leur pays d’origine, et que les autres soient évacués vers des centres, plus au sud, où ils entreraient dans des processus de réinstallation, les pays d’accueil venant chercher sur place des réfugiés.»

Des solutions que certains jugent illégales. François Gemenne, enseignant à Sciences-Po Paris, estime dans La Croix que «le système envisagé est une “sous-traitance” de l’asile, qui viole les droits de l’Homme puisqu’il place en détention des gens qui n’ont rien fait». Après le sommet informel du 25 juin, l'Union semble finalement rejeter cette option, même si la question est loin d'être tranchée... chaque Etat semblant jouer sa propre carte. 

De l'autre côté de la Méditerranée, sur les côtes africaines, l'idée de ces hot spots est loin de faire l'unanimité... si ce n'est contre elle. «Non aux hot spots au Maghreb ou au Sahel pour y "trier" les migrants en route vers l’Europe. Lors de la conférence sur la sécurité en Afrique organisée à Rabat par le think tank marocain OPC-Policy Centre (OCP-PC), l’idée défendue par Emmanuel Macron de centres d’examen dans les pays de départ ou de transit – sortes de postes-frontières européens avancés comme celui installé depuis octobre 2017 à Agadez (Niger) – a été rejetée par la plupart des participants, civils et militaires», raporte le journal suisse Le Temps

«Un hot spot n’a de sens que si l’on a les moyens de renvoyer les déboutés du droit d’asile, et si les pays d’origine sont associés. Sinon, à quoi va-t-on aboutir? A une montée des colères locales devant ces policiers européens venus "trier" les migrants, et à de nouvelles tentatives de passage des individus rejetés», y affirme l’ancien patron de la police des frontières marocaine et analyste à l’OCP-PC, Abdelhak Bassou  

Reste à savoir si ces plateformes de tri, au cas où  elles voient le jour, empêcheraient les déboutés du droit d'asile de vouloir, comme aujourd'hui, continuer leur route vers l'Europe. 

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