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Ecosse, Catalogne, Flandres : l'Europe face aux séparatismes

Dans l'Union européenne, l'automne est à l'heure des séparatismes avec le vote de l'Ecosse sur son indépendance le 18 septembre et la possibilité d'un référendum en Catalogne le 9 novembre. Economiques, historiques, politiques, quelles sont les raisons de ce phénomène?
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Campagne pour le «oui» au référendum pour l'indépendance de l'Ecosse. (ITIZENSIDE/THIBAUT GODET / CITIZENSIDE.COM)
Le Royaume-Uni, l'Espagne, la Belgique, mais peut-être aussi l'Italie ou d'autres, vont ils éclater ? La question peut se poser au sein de l'Union européenne avec le développement de certains mouvements centrifuges au sein des Etats de l'UE. Des mouvements qui ont déjà touché l'Europe de l'Est (ex-yougoslavie, Tchécoslovaquie) et qui semblent désormais gagner l'Ouest du continent.

Au Royaume-Uni, un deuxième sondage en quelques jours montre en ce début septembre
 une progression sensible du oui à l'indépendance de l'Ecosse, à deux semaines du référendum. Une étude YouGov a donné le «Oui» en tête pour la première fois. Il y a encore peu, un sondage du même institut à la mi-août accordait une avance de 14 points aux partisans de l'union.

Ce sondage devrait rendre plus tendue la fin de la campagne référendaire. «Le camp du oui peut désormais espérer être en position d'arracher une victoire spectaculaire et historique, alors que le camp du non se demande comment il a pu se retrouver tout à coup dans ce qui ressemble à un combat de dernière minute pour maintenir l'Ecosse au sein du Royaume-Uni», note John Curtice, professeur en sciences politiques à l'Université de Strathclyde (Glasgow).

Ecosse, Espagne, Belgique
L'Ecosse n'est pas la seule à avoir des velléités indépendantistes. En cette fin 2014, l'Espagne doit, elle, gérer la volonté indépendantiste de la Catalogne bien décidée à imposer son référendum en novembre malgré le véto madrilène. Le résultat écossais pourrait avoir un écho important en Espagne. Autre pays où les tensions séparatistes sont toujours fortes, la Belgique qui, le 2 septembre, n'avait toujours pas de gouvernement et avait vu lors des dernières législatives le parti nationaliste flamand arriver en tête.

Pourquoi ces trois mouvements indépendantistes, différents les uns des autres, rencontrent-ils une audience aussi forte aujourd'hui ? 
Les raisons sont nombreuses. Pour les uns, elles sont économiques, pour d'autres historiques ou politiques. Et les causes de ces mouvements peuvent être multiples. «L'Ecosse est un nationalisme ancien, identitaire, qui, contrairement aux autres, n'est pas un nationalisme de riches fatigués de partager avec le reste du pays. La Flandre, la Catalogne et l'Italie du nord sont par contre eux davantage dans cette démarche», note ainsi Vincent Laborderie, chercheur en relation internationale à l'université catholique de Louvain (Belgique).

Catalogne, manifestation pour l'indépendance le 11 septembre 2012. (LLUIS GENE / AFP)

Raisons économiques ?
La crise économique qui touche l'Europe depuis maintenant plus de six ans est-elle une des causes de ces volontés centrifuges ? «
Cette poussée séparatiste s’exprime logiquement en pleine crise économique européenne. En effet, toutes les régions concernées sont plus riches que la moyenne de leur pays, et, à ce titre, contribuent largement à la solidarité nationale. Mais si cette contribution est relativement indolore en période de croissance, elle devient beaucoup moins acceptable quand les budgets régionaux doivent être coupés, ce qui pousse les citoyens à remettre en cause les transferts nationaux», tranche le souverainiste Laurent Pinsolle

«En période de restriction budgétaire, certaines zones riches, comme les Flandres belges ou la Catalogne, ne cachent plus leur irritation de devoir payer pour d'autres provinces moins bien loties du pays», résumait Le Point. 

Il est vrai que les partisans de l'indépendance mettent toujours en avant les avantages économiques d'une séparation. Les pro-indépendance de la Catalogne insistent régulièrement sur le poids économiques de la région (20% du PIB espagnol) et en Ecosse le parti indépendantiste affirme qu'avec une séparation 
«les Écossais seront plus riches de 1 000 livres sterling par personne et par an dans une Écosse indépendante». Même chose pour la Flandre qui affirme sa puissance économique face à la Wallonie. La tendance se retrouve ailleurs en Europe, comme en Italie, avec la Padanie (le nord) qui estime payer pour le sud.

Raisons politiques ?
La volonté des groupes nationalistes de se séparer du pays repose souvent sur des raisons historiques. L'histoire agitée de l'Espagne explique largement la volonté séparatiste de la Catalogne. La jeunesse de l'Etat belge et la coupure linguistique expliquent aussi les tendances de la Flandre à faire bande à part. En revanche, l'Ecosse est dans le Royaume-Uni depuis plus de trois siècles. 

Certains se demandent si l'Europe n'est pas en partie responsable de l'explosion du séparatisme actuel.
 «Il y a trente ans, nous avions en partage avec les autres Espagnols une monnaie, des frontières et un service militaire. Plus rien de cela n'existe. Pour la génération des moins de 40 ans, les liens avec l'Espagne sont moins forts», observait, dans Le Monde, Jordi Alberich, directeur général de l'influent Cercle d'economia de Barcelone, proche des milieux d'affaires. 

Il est vrai que l'échelon national pèse de moins en moins lourd dans l'Union européenne. La politique monétaire n'est plus nationale mais déléguée à la Banque centrale européenne et la politique budgétaire est soumise à l'Union. Surtout dans la zone euro où les budgets nationaux sont maintenant observés par Bruxelles avant même d'être votés. Résultat : il est peu étonnant de voir que l'appui au pouvoir central n'est plus déterminant. 
«Les processus de supranationalité et de dérégulation économique et financière incitent au renforcement des frontières», affirme à Slate Anne-Marie Thiesse, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des identités régionales et nationales. «Tout cela peut valider des processus autonomistes devenant sécessionnistes par recherche d'une refondation du politique.»

Indépendantistes sardes lors d'une réunion à Corte en 2010. Des mouvements indépendantistes existent dans plusieurs pays européens, avec une base populaire plus ou moins large. 

Et l'Europe ?
Le plus d'Europe pourrait expliquer le séparatisme et la multiplication éventuelle des Etats. «
Ce n'est qu'en dépassant les frontières et le cadre national de la réflexion que l'Europe a pu parvenir à la prospérité et à la sécurité», écrivait le Financial Deutschland en 2012, semblant en partie justifier le séparatisme tout en ajoutant : «L'Europe devrait préserver sa diversité régionale – comme le fédéralisme allemand en offre la possibilité. De là à proclamer à chaque fois un Etat indépendant, il y a une marge. Une telle démarche torpillerait pour toujours l'aptitude de l'Europe à résoudre ses problèmes.»

D'ailleurs, les régions indépendantistes n'entendent pas quitter l'Europe une fois leur séparation accomplie. Au contraire. «70% des Catalans ne veulent pas quitter l'Union européenne», selon un sondage. Pour l'instant, Bruxelles estime que ces «nouveaux» pays devraient faire acte de candidature pour être membre de l'UE. Résultat, en Europe, on parle autant de d'«infranationalisme» que de «supranationalisme».

Du côté de Moscou, où on vit en direct le «séparatisme» de la Crimée et de l'est de l'Ukraine, on peut lire que c'est Bruxelles qui encourage le séparatisme pour lutter contre les Etats-nations : «
De l’avis de certains politologues, "l’épidémie" de séparatisme est encouragée par Bruxelles qui souhaite reprendre ainsi les leviers réels du pouvoir aux plus grands pays de l’Union. Dans le cadre du système actuel de prise de décisions à la proportionnelle, seulement 4 sur 5 grands pays européens (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie et Espagne) peuvent imposer leur volonté aux 23 pays de l’UE qui restent. En revanche, en les découpant en Etats «historiques» de petite taille, il est possible d’assurer une meilleure gouvernance de l’Europe unie. C’est alors que l’appareil de l’UE pourra enfin jouer un rôle réel dans la politique européenne». Si la Russie le dit...

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