Cet article date de plus de neuf ans.

Crise des migrants, attaques à Paris : quel rôle pour l’UE?

La crise des migrants, sur laquelle s’est greffée l’affaire des attaques terroristes à Paris, fait tanguer le bateau Europe. La résolution de cette crise passe par l’UE, a estimé le commissaire européen aux migrations, Dimitris Avramopoulos, lors d’une conférence de presse à Paris le 1er décembre 2015. Un commissaire qui se définit actuellement comme «l’homme le plus occupé de la Commission»...
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des réfugiés attendent de traverser le frontière entre la Macédoine et la Grèce près de Gevgelija (Macédoine) le 30 novembre 2015. (REUTERS - Ognen Teofilovski)
La Commission joue-t-elle vraiment son rôle dans cette crise ?
Elle a fait des propositions avec, notamment, l’accord (conclu le 22 septembre, NDLR) sur la «relocalisation» (répartition dans toute l’UE, NDLR) de 120.000 réfugiés. Maintenant, c’est une question de volonté politique au niveau des Etats membres. C’est à eux de mettre en œuvre une politique commune. C’est la fonction même de l’Europe qui est en jeu dans cette affaire. Si l’on assiste à une renationalisation de cette politique, c’est le début de la fin !
 
Quelles mesures concrètes ont été prises au niveau de Bruxelles ?
L’Europe n’était pas préparée à cette crise. Et elle n’avait pas de politique migratoire. Il y a eu l’accord sur les quotas. Les premiers transferts dans le cadre de la relocalisation sont un pas encourageant. Mais j’ai été déçu de la réponse donnée par certains Etats. Et cet accord a pour l’instant un caractère symbolique. Je suis sûr qu’à terme, tous les pays membres joueront leur rôle dans le processus. La France a contribué (à l’effort, même si, pour le moment, seulement 19 Erythréens sont arrivés début novembre dans l’Hexagone, NDLR). La situation pourrait s’améliorer grâce à l’accord avec la Turquie.

Justement, qu’en est-il exactement ?
C’est le bon moment pour impliquer la Turquie. Sans elle, on ne peut rien faire. Sur les trois milliards prévus dans cet accord, la Commission va payer 500 millions. Le reste doit être partagé. Mais la répartition n’a pas encore été décidée.

La Turquie est elle-même sous pression : elle accueille déjà deux millions de réfugiés sur son sol. Pour autant, l’argent prévu dans le cadre de l’accord est fait pour aider ces réfugiés, pas pour aider Ankara. D’autres mesures pour la «relocalisation» devraient être annoncées prochainement, mais je ne peux rien révéler pour l’instant.

Un gendarme turc prend en charge un groupe de réfugiés à Cesme (ouest de la Turquie) pour les conduire à des bus le 1er décembre 2015. Il s'agit de les empêcher de s'embarquer pour l'île grecque de Chios et de pouvoir ainsi arriver sur le territoire de l'UE. (REUTERS - Denizhan Guzel)

Autre aspect de votre politique, les «hotspots», centres de contrôle chargés de séparer réfugiés et migrants économiques à certaines frontières de l'UE. Où en est-on ?
Deux «hotspots» fonctionnent déjà : l’un à Lampedusa (Italie) et l’autre à Lesbos (Grèce). Très bientôt sera mis en place un réseau de ces points de contrôle dont le but est de distinguer les réfugiés des migrants. Je rappelle qu’actuellement, pour l’ensemble des pays membres, la moyenne de renvoi des clandestins dans leurs pays d’origine est de 40% (22% en France).
 
Il s’agit donc aussi de créer des bases légales pour lutter contre l’immigration clandestine, mais également d’aider l’immigration légale. Car l’Europe aura bientôt besoin de main d’œuvre venue de l’extérieur : on parle ainsi d’un déficit de 17 millions de personnes en âge de travailler.
 
Vous évoquiez à l’instant les «hotspots». Il n’en reste pas moins que deux des auteurs des attaques de Paris sont passés par la Grèce pour se rendre en France…
Ils ont traversé sept pays. Ils avaient été identifiés comme réfugiés dans une île grecque. Mais ils n’ont pas été interceptés. On se trouve là confronté au problème du partage des informations par les services de renseignement de chaque pays membre. Il n’y a pas de base de données commune au niveau européen. Il faut donc plus de partage d’informations. Mais il y a une résistance des Etats membres. Il y a un manque de confiance.
 
Il convient donc de traiter ce problème. Nous avons les outils, nous avons les moyens. Mais les autorités nationales devraient montrer davantage de confiance pour mettre en place une organisation centrale du renseignement en Europe.

A un autre niveau, pour lutter contre la radicalisation, il faut inciter les opérateurs internet à contrôler les sites litigieux, comme cela a été fait en matière de violence faite aux enfants.

Vous dites que l’UE a «les outils et les moyens». Prenons l’exemple de Frontex, l’agence de coopération aux frontières extérieures des Etats membres. En 2015, son budget a triplé pour ses opérations en Méditerranée. Mais ses effectifs doivent diminuer de 5% d’ici 2020. N’est-ce pas contradictoire ?
Ce n’est pas aussi simple ! Quand nous avons demandé aux Etats membres de nous fournir 700 personnes de plus pour renforcer Frontex, on nous en a accordées 240.
 
Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a annoncé la création d’un corps européen de garde-frontières. Evidemment, Frontex peut jouer un rôle très important. Mais je rappelle que la protection des frontières relève de la compétence des Etats.

Le commissaire de l'UE chargé de la Migration, des Affaires intérieures et de la Citoyenneté, Dimitris Avramopoulos, à Bruxelles le 9 novembre 2015 (REUTERS - Eric Vidal)

Que pensez-vous des déclarations du nouveau ministre polonais des Affaires étrangères, le 16 novembre, à propos des Syriens arrivant en Europe : «Des dizaines de milliers de jeunes  hommes sautent de leurs bateaux gonflables, avec leur iPad à la main, et au lieu de demander d'abord à boire ou à manger, ils demandent où ils peuvent charger leur téléphone portable. Ils pourraient aller combattre pour libérer leur pays, avec notre aide» ?
La Commission n’a pas de commentaire à faire. Mais mon opinion personnelle est que l’Europe doit rester ferme sur les principales valeurs qui la fondent : l’humanité, la justice sociale, les droits de l’Homme… Je rappelle que tous les Etats membres de l’UE appartiennent aussi à l’ONU et qu’ils ont signé la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Il faut donc une Europe encore plus unie et défendre cette grande réalisation que sont les institutions de l’UE. La crise des migrants est un crash test pour l’avenir de l’Union. Echouer, c’est prendre le risque de revenir aux mauvais jours de l’histoire du continent.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.