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Chemin des Dames: la «Chanson de Craonne» n'a pas plu à l'Armée...

Le président François Hollande s'est rendu le 16 avril 2017 à Craonne (Aisne) pour célébrer le 100e anniversaire de la sanglante offensive du Chemin des Dames. C’est après cette offensive que s’est popularisée la «Chanson de Craonne». Faisant allusion aux «troufions» qui «vont tous se mettre en grève», elle fut interdite par la hiérarchie militaire. Une censure qui a duré jusqu'en 1974 !
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des soldats et des officiers en train de discuter à Verdun le 1er octobre 1917. (AFP - Frantz Adam)

Puissance du verbe d’un seul texte… Non seulement la chanson de Craonne fut interdite. Mais en plus, le commandement militaire aurait promis la démobilisation et une récompense d’un million de francs-or à ceux qui dénonceraient le ou les auteurs du libelle !

Il faut dire que le texte de la chanson n’y va pas avec le dos de la cuillère :
«Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront,
Car c'est pour eux qu'on crève.
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur le plateau.
Car si vous voulez faire la guerre,
Payez-la de votre peau.»

Outre l’allusion à «messieurs les gros», «qui font leur foire» et dont «la vie est rose», en clair les planqués bien nourris, celle à la «grève» (des combats) en pleine guerre totale, n’a pas dû plaire aux gradés. Lesquels ont dû y voir une atteinte à la sécurité nationale. Le texte fait ainsi référence aux mutineries qui suivirent la désastreuse offensive Nivelle, lancée en avril 1917 pour tenter de reprendre la guerre de mouvement. Dans les lettres à leurs familles, les soldats décrivent la bataille comme une «boucherie» et un «sacrifice inutile». Officiellement, ces mutineries ont entraîné plusieurs centaines de condamnations à mort et l’exécution effective de dizaines de militaires (les historiens ne s’entendent apparemment pas sur les chiffres).

Les combats du Chemin des Dames
En toile de fond, les combats évoqués par le texte sont ceux qui se déroulèrent au Chemin des Dames, au sud de Laon dans l’Aisne. La chanson évoque «le plateau» de Californie qui surplombe le village de Craonne. Là où se livrèrent de très durs combats dans les premiers jours de l’offensive du général Georges Nivelle.

Durant la bataille du Chemin des Dames, en avril 1917, quatre militaires, dont un prisonnier allemand, portent un brancard avec un blessé à travers un paysage dévasté par la guerre. (AFP - Frantz Adam)

Même si elle a fait l’objet d’études historiques, l’histoire de la chanson reste mal connue. Une première version aurait été composée vers 1915 par un poilu du Midi. Une version, transmise clandestinement par le bouche à oreille, qui circule en se fredonnant d’un secteur du front à l’autre. Elle évolue donc en fonction des combats. Elle prend ainsi le nom de Chanson de Lorette, nom des affrontements qui se déroulent à Artois, autour de Notre Dame de Lorette au printemps 1915. En 1916, on la retrouve du côté de Verdun.
 
C’est en 1917 que le texte semble se stabiliser. Mais d’autres variantes circulent avec d’autres titres : Sur le plateau de Lorette, Les sacrifiés de Craonne, La vie aux tranchées
 
La lassitude des combattants
Quoi qu’il en soit, les paroles de la chanson expriment la lassitude des combattants. Elles font directement allusion à la vie quotidienne des poilus:
«Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve.»

Par la suite, ces paroles ont été retranscrites et publiées par le militant communiste Paul-Vaillant Couturier dans son livre La Guerre des soldats (Flammarion), publié en 1919 avec son ami Raymond Lefebvre. Il s’agit d’une version considérée comme définitive. Mais il existe au moins une autre version écrite un peu antérieure, comme celle du soldat Jules Duschesne, du 114e régiment d’infanterie. Par la suite, la chanson a notamment été chantée par Marc Ogeret et Maxime Leforestier. On la trouve aussi dans plusieurs films comme celui de Jean-Pierre Jeunet, Un long dimanche de fiançailles (2004).
 
Pour le reste, la Chanson de Craonne est passée anonymement à la postérité. Mais elle est chantée sur une musique (progressivement transformée au fur et à mesure des avatars du texte) qui, elle, a un auteur. En l’occurrence la musique d’une valse à succès, Bonsoir m’amour, datant de 1911, écrite par Charles Adhémar Sablon :
«Bonsoir m'amour, bonsoir ma fleur,
Bonsoir toute mon âme !
O toi qui tient tout mon bonheur
Dans ton regard de femme !»  
Le paradoxe d’une chanson exprimant le drame de la boucherie de la guerre, entonnée sur un air de romance à l’eau de rose...

Mis en ligne sur Youtube le 30 octobre 2013

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