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75e anniversaire de la libération d'Auschwitz : ces anciens camps nazis qui ont été rouverts dès 1945

Après la défaite des armées allemandes, les portails des camps de concentration et d'extermination n'ont pas tous été condamnés. Malgré l'histoire des lieux, plusieurs ont été reconvertis en centres de détention, notamment pour des Allemands.

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
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Des visiteurs au camp de concentration et d'extermination de Majdanek (Pologne), utilisé dès 1945 par la police politique soviétique (le NKVD) pour interner des Polonais opposés à l'URSS. (CELESTINO ARCE / NURPHOTO)

La communauté internationale commémore en ce début d'année les 75 ans de la libération des camps de concentration et d'extermination nazis. Plus de 25 leaders mondiaux, dont Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, se retrouvent mercredi 22 et jeudi 23 janvier à Jérusalem, au 5e Forum international sur la Shoah à Yad Vashem (Israël), tandis que le Premier ministre français, Edouard Philippe, se rendra le 27 janvier au camp d'Auschwitz-Birkenau (Pologne) au côté d'une cinquantaine de délégations officielles et d'au moins 200 anciens déportés.

C'est en effet le 27 janvier, jour de la libération du plus important camp de la mort nazi, que se tient la Journée internationale à la mémoire des victimes de l'Holocauste. Ce jour-là, en 1945, près de 7 000 déportés étaient libérés d'Auschwitz par l'Armée rouge. Les autres détenus avaient été assassinés sur place ou forcés à évacuer les lieux lors de funestes "marches de la mort". Au moins 1,1 million de personnes ont été exterminées à Auschwitz entre 1940 et 1945.

La majeure partie de ce vaste complexe concentrationnaire (qui comportait en fait trois camps) avait alors été laissée à l'abandon. Mais pas la totalité. Certaines installations d'Auschwitz ont été réutilisées, dès février 1945, pour interner notamment des milliers d'Allemands dits "ethniques" expulsés de Pologne, essentiellement des femmes, des enfants et des personnes âgées dont les familles étaient installées en territoire polonais depuis des siècles. Et plusieurs autres camps nazis sont restés, durant de longues années, des lieux de détention réutilisés par les vainqueurs, particulièrement les Soviétiques. 

Des nouveaux camps pour les prisonniers et les expulsés

Le 24 juillet 1944, les forces armées soviétiques sont les premières à pénétrer sur un lieu de mise à mort nazi, lors de leur contre-offensive face aux armées allemandes. Arrivées au camp de concentration et d'extermination de Majdanek, en Pologne, elles y découvrent moins de 700 détenus non transférés à Auschwitz, des chambres à gaz, des fours crématoires et d'autres composantes de la machine de mort nazie. Environ 80 000 personnes y ont été assassinées, selon le musée d'Etat de Majdanek.

Mais dès août 1944, la police politique soviétique (le NKVD) choisit d'y interner des Polonais membres de l'Armée de l'intérieur et des Forces armées nationales, tout autant opposées aux occupants allemands que soviétiques. Le 23 août, 250 d'entre eux sont ensuite déportés dans des camps de l'archipel du Goulag, en Union soviétique. Par la suite, le camp de Majdanek est rétrocédé à la Pologne communiste, qui y enferme des membres de la minorité germanophone polonaise (les Allemands "ethniques") durant de longs mois, voire des années, avant leur expulsion vers l'Allemagne, pour ceux qui ont la chance de survivre à la faim et aux maladies qui ravagent le camp.

Dans la zone d'occupation soviétique de l'est de l'Allemagne, la police politique soviétique établit également 10 "camps spéciaux" en réemployant des infrastructures pénitentiaires nazies (en allemand). Les baraquements présents en nombre – s'ils n'ont pas été détruits –, leur enceinte et leur configuration en font des lieux propices pour l'internement arbitraire d'Allemands, hommes, femmes mais aussi enfants, accusés (parfois après dénonciations) d'avoir joué un rôle dans les crimes nazis, ce qui n'est pas sans poser de questions d'un point de vue mémoriel. D'autant que les conditions de vie dans ces camps étaient abominables. Au total, dans ces dix camps de la zone d'occupation soviétique, plus de 122 000 Allemands ont été emprisonnés après 1945. Plus d'un tiers d'entre eux sont morts, selon les chiffres officiels.

Un mirador et un panneau "Zone interdite" du "camp spécial" soviétique de Sachsenhausen, en Allemagne, au printemps 1949. (Stiftung Brandenburgische Gedenkstätten / Gedenkstätte Sachsenhausen)

L'exemple le plus marquant est sans doute le camp de concentration d'Oranienburg-Sachsenhausen, situé au nord de Berlin, pour lequel le nombre de victimes du nazisme se compte en dizaines de milliers. Les installations sont réemployées comme camp spécial soviétique : 60 000 personnes y sont internées dans le cadre de la politique de dénazification. Parmi elles, d'anciens fonctionnaires nazis et membres de la SS détenus sans jugement, des officiers de la Wehrmacht mais aussi près de 7 000 Soviétiques.

Près de 12 000 personnes y périssent entre 1945 et 1950 du fait des conditions catastrophiques d'hygiène, du manque de nourriture et de médicaments, rapporte le mémorial. Un déporté se souvient : "Nuit après nuit, un tracteur acheminait des remorques [remplies de corps]", lit-on sur une stèle de la forêt avoisinante de Schmachtenhagen où étaient enterrés les morts (lien en allemand). "C'était toujours les mêmes hommes qui pouvaient travailler [là] parce que ce qui s'y passait devait rester secret. Les hommes qui enterraient les morts ne devaient pas être reconnaissables et le nombre de morts ne devait pas être connu."

Sur les lieux de l'ancien camp de concentration de Buchenwald, un autre camp spécial soviétique institué en 1945 fait 7 000 victimes allemandes jusqu'en 1950, tout particulièrement durant l'hiver 1946-1947. Hans Wagner, ancien détenu, se souvient notamment du manque de moyens médicaux : "En octobre 1945, le Dr Schmidt a fait une appendicectomie avec un couteau de poche ! Je ne sais pas si le patient a survécu. (...) Il n'y avait pratiquement aucun médicament", confie-t-il cinquante-et-un ans plus tard dans un ouvrage autobiographique.

Volkhard Knigge, directeur du mémorial de Buchenwald (Allemagne), s'adresse à d'anciens prisonniers du "camp spécial" soviétique et à leurs proches, le 15 septembre 2018. (Bodo Schackow / ZB / dpa Picture-Alliance / AFP)

Les Soviétiques ne sont pas les seuls à avoir tiré partie des infrastructures concentrationnaires nazies à des fins d'internement. Les Forces françaises libres ont elles aussi investi un camp de concentration, celui de Natzweiler-Struthof (Bas-Rhin) – le seul aujourd'hui présent sur le territoire français. Un centre d'internement administratif y est ouvert à partir de décembre 1944 : y sont internés tous les Allemands vivant dans la région ainsi que des Alsaciens soupçonnés de collaboration, avant leur jugement. 

La mortalité dans ce camp n'avait néanmoins rien de comparable avec celle des camps contrôlés par les Soviétiques en Allemagne. Un historien cité par L'Alsace estime même que les internements au Struthof ont sauvé des vies car ils ont permis d'éviter "les exécutions sommaires".  Le site devient, à partir de décembre 1945, un centre pénitentiaire, qui est resté en activité jusqu'en 1948

Des lieux pour rendre la justice

Les camps de concentration ont également été des lieux symboliques pour rendre la justice. Du 15 novembre au 13 décembre 1945, 40 anciens SS et kapos du camp de concentration de Dachau (situé en Bavière, en Allemagne) y sont jugés. Vingt-trois d'entre eux sont condamnés à mort puis exécutés en mai 1946. En tout, 465 procès ont lieu dans l'enceinte de l'ancien camp.

L'accusé Otto Foerschner témoigne au procès de Dachau, en Allemagne, à la fin de l'année 1945. (National Archives and Records Administration, College Park)

Les camps sont d'ailleurs des lieux de mises à mort symboliques pour ceux qui y ont exercé la terreur : le 16 avril 1947, c'est à Auschwitz-Birkenau même qu'est pendu l'ancien commandant du plus important lieu d'exterminationt nazi, Rudolf Höss.

Des centres d'hébergement pour les réfugiés

De manière plus étonnante, ces lieux de terreur sont parfois devenus des espaces de vie. La Süddeutsche Zeitung rapporte qu'entre 1949 et 1964, plus de 1 600 sans-abris et réfugiés ont été logés dans l'enceinte de l'ancien camp de concentration de Dachau : une école, une église ou encore un jardin d'enfants y sont construits. Ces réfugiés étaient des membres des minorités allemandes de Pologne et de Tchécoslovaquie expulsés de leur pays ou des Allemands expulsés des territoires allemands annexés par la Pologne en 1945.

De manière étonnante, cet accueil de réfugiés est toujours d'actualité : en 2014, une annexe de ce camp de Dachau qui servait aux SS de jardin aromatique est reconvertie en centre d'hébergement, notamment à destination de réfugiés afghans, syriens ou irakiens, non sans susciter des questionnements. Entre 1939 et 1945, ce sont en effet plus de 800 déportés qui ont perdu la vie dans ce jardin, détaille un article de la Süddeutsche Zeitung (article en allemand).

Une annexe du camp de concentration nazi de Dachau (Bavière, Allemagne) transformée en centre d'hébergement pour des sans-abris et des réfugiés, le 23 septembre 2015. (MICHAELA REHLE / REUTERS)

"A notre avis, il devrait y avoir, d’un côté, une exposition historique et d’un autre côté, un centre de formation continue, déclarait alors Gabriele Hammermann à la radio Deutschlandradio Kultur (article en allemand). Nous ne trouvons pas que c’est une belle marque d’accueil que de recevoir des gens dans ces conditions. C’est pour cette raison-là que nous trouvons que ce n’est pas une très bonne idée."

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