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Le phénoménal succès du livre «A l'Ouest, rien de nouveau»

«Peut-être le livre le plus important contre la guerre», juge la «Süddeutsche Zeitung» à propos de «A l’Ouest, rien de nouveau» (1929). Un roman sur la Première guerre, écrit par le journaliste Erich Maria Remarque. Le livre connut un immense succès: un million d’exemplaires vendus la première année, rien qu'en Allemagne. Jusqu'à aujourd'hui, il s'en serait vendu 30 millions d'exemplaires !
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Scène tirée du film All Quiet On The Western Front (A l'Ouest, rien de nouveau), film de Lewis Milestone (1930) (AFP - The Picture Desk - Kobal)
«Il est tombé en octobre 1918, un jour où tout était si tranquille et calme sur tout le front que le rapport de l'état-major tenait en une phrase, ‘‘A l'Ouest, rien de nouveau’’». Ainsi se termine le roman d’Erich Maria Remarque, de son vrai nom Erich Paul Remark. Ce jour-là, tout est certes «tranquille et calme». Mais c’est ce jour-là que disparaît le héros du livre Paul Bäumer, dernier survivant de son groupe de camarades avec qui il a connu pêle-mêle les tranchées, l’angoisse de la mort, les rats, la folie, les gaz…

Pour lancer l’ouvrage, son éditeur, Propyläen Verlag a prévu un vrai plan marketing avant l’heure : «campagne publicitaire, avec force encarts et panneaux», «publication en avant-première du livre sous forme de feuilleton» dans «le principal quotidien libéral, Die Vossische Zeitung, chéri par le milieu intellectuel berlinois», raconte L’Express.  

Un succès et des réactions considérables
Le succès est immédiat. Phénoménal. D’autant plus que dès 1930, il est porté au cinéma par le réalisateur hollywoodien Lewis Milestone. Lors de la sortie de All Quiet On The Western Front à Berlin, les nazis perturbent la soirée en jetant des boules puantes. Tandis que «du balcon, Joseph Goebbels (futur ministre de la Propagande d’Hitler, NDLR) clame que le film est une tentative de détruire l'image de l'Allemagne».

L'affiche du film All Quiet On The Western Front, de Lewis Milestone (1930)  (AFP - The Picture Desk - Kobal)

Le succès est également surprenant. Car il intervient plus de dix ans après la fin de la guerre. Alors que la veine des livres témoignages s’épuise : plusieurs centaines d’ouvrages de ce genre ont déjà été publiés au cours de la décennie précédente. Certains expriment l’héroïsme des combattants comme le conservateur allemand Ernst Jünger dans Orages d’acier (1920). D’autres, comme Remarque, témoignent de l’horreur des affrontements, tel le communiste français Henri Barbusse dans son autobiographie Le Feu (1916).

Le triomphe de A l’Ouest, rien de nouveau dépasse son auteur. «Sans l’avoir cherché, il est devenu le porte-parole de tous les soldats entraînés dans ce conflit», estime le biographe de Remarque, Hilton Tims, cité par L’Express.

Les réactions sont proportionnelles au succès : considérables. La droite nationaliste et les nazis y voient un témoignage du défaitisme. Un témoignage contredisant la thèse selon laquelle la vaillante armée allemande n’a pas été vaincue sur le champ de bataille mais trahie par les politiques (la fameuse légende du «coup de poignard dans le dos»). Pour le Völkischer Beobachter, quotidien du parti national-socialiste, l’ouvrage de Remarque falsifie le «vrai vécu de la guerre». Pour Jünger, le livre «est un camouflage, dans ce sens où il crée l’illusion que l’Allemagne est dominée par l’internationalisme et le pacifisme» (cité par L’Express).

Quant à la gauche et l’extrême gauche, elles lui reprochent de ne pas s’attaquer aux classes dirigeantes. De ne pas dénoncer les vraies causes de la guerre, selon elles, liées au capitalisme.

En 1939, Erich Maria Remarque part pour les Etats-Unis. Il séjourne notamment à Hollywood où il fréquente le gratin du cinéma. Notamment certaines des actrices les plus célèbres de l'époque, à commencer par Marlene Dietrich (sur la photo lors d'un dîner le 26 avril 1939) et Greta Garbo... (AFP)

Journaliste, jolies femmes et belles voitures
De fait, Remarque, né en 1898, est bien loin de tout cela. Celui qui, avant guerre, se destinait à devenir enseignant, a été incorporé en 1916, à l’âge de 18 ans. Selon une enquête fouillée de la Süddeutsche Zeitung, il n’est resté que six semaines sur le front, dans les Flandres. En août 1917, il est blessé et transféré dans un hôpital en Allemagne où il terminera la guerre. Dans ce contexte, il n’a peut-être pas vécu lui-même toutes les expériences qu’il raconte… Mais comme le dit justement Courrier International, cela «n’enlève rien à la puissance» de son livre. 
 
Au départ, rien ne le destinait à écrire un tel livre. Après guerre, il reprend l’enseignement, qu’il quittera rapidement. Dépressif, désabusé, il exerce différents métiers de subsistance. Devient journaliste sportif (il s’occupe notamment de courses automobiles). Dans le même temps, «il cultive ses trois hobbies : les jolies femmes, les bons vins et les voitures de sport» (L’Express). Il commence à écrire A l’Ouest, rien de nouveau en 1927. «Jamais, il n’a imaginé écrire sur la guerre, mais le livre s’impose à lui lorsqu’il prend conscience que l’origine de ses dépressions se trouve» dans ses semaines de guerre (L’Express). Un psychanalyste pourrait y voir la nécessité de verbaliser ses émotions… Par la suite, c’est sur les conseils de son épouse qu’il va chercher un éditeur.
 
En écrivant, Erich Maria Remarque n’avait apparemment aucune visée politique. Avec ses droits d’auteur, il s’achète une maison à Porto Ronco dans le Tessin (Suisse). Et s’adonne plus que jamais à sa passion des belles voitures.  

Au-delà des idéologies
Reste à comprendre pourquoi autant de gens se sont reconnus dans A l’Ouest, rien de nouveau. Au-delà de toute considération idéologique et nationale. A ses millions de lecteurs, et parmi eux sans doute de nombreux anciens combattants, le livre d’Erich Maria Remarque est apparu «comme le plus authentique, le plus fidèle à la réalité» (selon un article publié dans le site Comptoir Littéraire). Il se distingue des autres témoignages «en ce sens qu’il ne justifie ni n’encense la guerre», analyse l’universitaire suisse Urs Bitterli.

Erich Maria Remarque et l'actrice américaine Paulette Goddard (ancienne épouse de Charlie Chaplin) annoncent leur mariage le 21 octobre 1957. (AFP - STAFF)

«C’est un livre pacifiste, même si son auteur s’est toujours défendu d’appartenir à une idéologie ou à un parti», ajoute-t-il. Est-ce si sûr ? La réponse vient sans doute de l’auteur lui-même qui explique au début du roman : «Ce livre n’entend pas être une accusation ou une confession. Il ne doit être qu’une tentative de parler d’une génération détruite par la guerre même si elle a échappé à la guerre». Dans une langue claire et limpide, le récit raconte le conflit simplement et sobrement sans émettre de jugement. Il se contente de souligner l’horreur, la souffrance des hommes, l’absurdité du conflit. Tout en évoquant la fraternité régnant dans certaines tranchées. Et sans exprimer de haine vis-à-vis de l’adversaire.  

Un tel ouvrage ne pouvait évidemment pas cadrer avec les récits héroïques des nationalistes. A l’Ouest, rien de nouveau fut d’ailleurs interdit dès l’arrivée des nazis au pouvoir et brûlé en 1933 lors des grandes autodafés du régime «millénaire» national-socialiste. Son auteur s’installe en Suisse. En 1938, il est déchu de sa nationalité allemande au motif qu’il «avait traîné» dans la boue l’armée de son pays et présenté «une vision anti-germanique» des choses. L’année suivante, il émigre aux Etats-Unis où il obtient la nationalité américaine.

Il revient en Europe dans les années 60. Et meurt en 1970 à Locarno (Suisse). Quel fut le secret d'Erich Maria Remarque, écrivain presque par hasard? «Une capacité que peu d'hommes possèdent: celle de comprendre les émotions de l'existence», répond L'Express, citant des propos de Marlène Dietrich, héroïne de L'Ange bleu (film de Josef von Sternberg sorti en 1930). Dietrich que Remarque avait bien connue à Hollywood. Peut-on lui rendre un plus bel hommage?

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