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Cannes 2015 : «Saul Fia» ressuscite les Sonderkommandos

«Saul Fia » («Le Fils de Saul»), en lice pour la Palme d'or, revient sur le tragique destin des Sonderkommandos, ces juifs forcés de travailler pour les nazis dans les camps de concentration.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Photo du film «Saul Fia» (Photo du film)

«En 2015, personne ne devrait dire que les membres des Sonderkommando étaient des assassins. Ce n'est pas juste !» Ces mots sont ceux de Géza Röhrig, l’acteur principal de Saul Fia du réalisateur hongrois László Nemes, en compétition à Cannes pour la Palme d’or.
 
«Il faut clarifier les choses: le Sonderkommando est à 100% une victime (...). Il n'a pas participé à quelque meurtre que ce soit. Dans tous les cas, le Sonderkommando a été menacé de mort. Ils n'avaient pas d'autre choix que de faire ce qu'ils ont fait (...). Ils étaient tout autant victimes que toute autre personne présente à Auschwitz», poursuivait le comédien, qui incarne Saul Ausländer, membre d'un Sonderkommando, lors de la conférence de presse du film, le 17 mai. Une vingtaine des membres de ces commandos auraient été retrouvés vivants à la libération du camp en janvier 1945, rappelle-t-il. Le sujet abordé par László Nemes est très sensible au point que le film n'a pas obtenu le soutien financier de pays comme la France et Israël.

«Le Sonderkommando est à 100% une victime»
Le terme Sonderkommando renvoie à des «"équipes spéciales" chargées de diverses tâches sous le régime nazi (...). A Auschwitz, le Sonderkommando était une équipe de juifs employée dans les installations de mise à mort, en particulier à la crémation des corps, et régulièrement renouvelée après l’assassinat de la précédente», peut-on lire sur le site du Memorial de la Shoah. Ces équipes bénéficiaient «d'un relatif traitement de faveur», précise László Nemes, et ses membres étaient souvent exécutés au bout de «trois ou quatre mois».

Saul Fia, qui évoque ces documents, s’appuie sur des récits trouvés à Auschwitz-Birkenau. László Nemes les a découverts «dans un livre de témoignages publié par le Mémorial de la Shoah, Des voix sous la cendre, connu également sous le nom des Rouleaux d’Auschwitz». 
 
«Il s’agit de textes écrits par des membres des Sonderkommandos du camp d’extermination, enterrés et cachés avant la rébellion d’octobre 1944 (…). Ils y décrivent leurs tâches quotidiennes, l’organisation du travail, les règles de fonctionnement du camp et de l’extermination des juifs, mais aussi la mise en place d’une forme de résistance», indique le cinéaste hongrois dans le dossier de presse du film. 

 
Un film inspiré du livre «Des voix sous la cendre»
Cette documentation sera complétée par les témoignages de «Shlomo Venezia et Filip Müller, mais aussi celui de Miklós Nyiszli, un médecin juif hongrois affecté aux crématoriums». «Shoah de Claude Lanzmann, notamment les séquences des Sonderkommandos, avec le récit d’Abraham Bomba, reste une référence. Enfin, nous nous sommes également appuyés sur l’aide d’historiens comme Gideon Greif, Philippe Mesnard et Zoltán Vág», ajoute le réalisateur.
 
L'action de Saul Fia se déroule sur «une journée, une journée et demi» de la vie de Saul qui croit reconnaître, dans les dépouilles du camp de concentration, le corps de son fils. Son obsession sera désormais de faire enterrer son enfant dans la pure tradition juive.

«Faire un film au cœur de l'enfer de manière différente»
L'œuvre du jeune cinéaste se veut en rupture avec les films réalisés sur l'Holocauste. «J’ai toujours été frustré par les films sur les camps. Ils tentaient de construire des histoires de survie, d’héroïsme, mais ils reconstituaient surtout, selon moi, une histoire mythique du passé. Au contraire, les témoignages des Sonderkommandos sont concrets, présents, matériels», explique László Nemes. Le réalisateur a voulu «faire un film au cœur de l'enfer de manière différente». Eviter de faire «un film beau» aura été une préoccupation majeure pour l'artiste. 
 
Le résultat est une œuvre exceptionnelle (donc sérieux candidat à la Palme d'or), aussi bien dans la forme que dans le fond. László Némés se focalise sur son personnage qu'il suit au plus près (gros plan quasi permanent sur son visage), souvent de dos, tout en retranscrivant l'insoutenable atmosphère d'un camp grâce au son et au flou, qui entoure constamment les corps sans vie des déportés. Il relève ainsi totalement le défi que rappelle son directeur de la photographie, Mátyás Erdély : «Montrer ce qu'il n'était pas possible de montrer.»


Saul Fia raconte aussi la résistance : le film évoque «la seule révolte armée dans l'histoire» du camp d'Auschwitz qui est le fait des Sonderkommandos en 1944. Le long métrage revient également sur les efforts de la résistance polonaise «qui a introduit (à Birkenau) un ou plusieurs appareils photo chez les Sonderkommandos, pour témoigner de l’extermination». L'œuvre de László Nemes parle aussi d'entraide, de survie et de folie dans un environnement totalement déshumanisé. Pour l'interprète de Saul, pour rester «psychologiquement sain», le membre d'un Sonderkommando devait «cesser d'être un être humain», «être aussi indifférent que possible».

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