Allemagne : le président Erdogan en guerre (judiciaire) contre un comique
La vidéo de l’émission (celle-ci n’en contient que des extraits) a été supprimée du site de la ZDF, seconde chaîne publique allemande. Et Jan Böhmermann a annoncé qu’il interrompait provisoirement son émission, Neo Magazin Royale. Emission au cours de laquelle il avait lu le poème, sur fond de drapeau turc.
Dans ce texte, l’humoriste n’y va pas avec le dos de la cuillère. A tel point que le journal Die Welt l’a reproduit en rayant de noir les éléments qu’on dira… litigieux. Qu’on en juge par ces quelques extraits:
«Même le pet d’un cochon a une meilleure odeur.
Il est l’homme qui frappe des filles
Et porte des masques en caoutchouc.
Il aime b… des chèvres
Et opprimer des minorités.»
Par ce geste, l’humoriste entendait railler la réaction du pouvoir turc après la diffusion, sur la chaîne NDR, d’une chanson («Erdowie, Erdowo, Erdogan»: jeu de mot sur le nom Erdogan et les termes «wie», «comment», et «wo», «où» ; voir la vidéo ci-dessous) moquant le traitement autoritaire de la presse en Turquie. Ankara avait alors convoqué l’ambassadeur d’Allemagne. Avant la lecture, Jan Böhmermann avait expliqué qu’il entendait donner un exemple de «critique injurieuse». Tout en défendant la liberté de création et d’opinion.
Dès le 1er avril 2016, la ZDF annonçait dans un tweet que «la parodie sur Erdogan ne correspond pas à (ses) exigences en matière de qualité satirique».
La chaîne a cependant précisé que le texte n’était pas «pénalement répréhensible».
«Fantasme porno»
Mais c’est surtout dans la capitale turque que la lecture du poème n’a pas du tout, mais alors pas du tout, été appréciée. «Ce qui est présenté comme de l’humour n’est qu’un répugnant fantasme porno», a ainsi réagi le quotidien Star, proche du Parti de la justice et du développement (AKP) du président Erdogan. Et d’ajouter : cela «ne peut pas appartenir à la culture allemande». «Une insulte contre un président de la République, un représentant de l'Etat, est une insulte contre l'Etat tout entier», a expliqué de son côté le ministre turc de l'Economie, Mustafa Elitas.
A la suite de la diffusion de l’émission, les avocats du président Recep Tayyip Erdogan ont déposé plainte pour «insulte à un représentant d'un Etat étranger» (article 103 du code pénal), délit passible de trois ans de prison. Après une semaine de tractations, la chancelière Angela Merkel a annoncé le 15 avril que le gouvernement fédéral avait finalement donné son «autorisation» pour que le parquet engage une procédure contre Jan Böhmermann. Tout en jugeant obsolète l’article en question et promettant sa suppression en 2018…
Semblant devancer les critiques, la chancelière a tenu à souligner qu'autoriser cette procédure ne signifiait pas que l’humoriste était coupable ni que les limites de la liberté d'expression avait été atteintes. «Donner (cette) autorisation (...) n'est pas une condamnation a priori des personnes concernées ni une décision sur les limites des libertés», a-t-elle dit. Elle a assuré que la justice aurait «le dernier mot».
«Il ne fait pas de doute qu'il s'agit de la bonne décision», avait alors commenté de son côté le porte-parole de l’AKP. En clair: à Ankara, on a apprécié le geste de la chancelière.
«Aucun acte criminel n’a pu être prouvé»
Problème pour le président turc : le parquet de Mayence a annoncé le 4 octobre 2016 qu'il renonçait aux poursuites pénales contre Jan Böhmermann. Pour lui, «les résultats de l'enquête montrent qu'aucun acte criminel n’a pu être prouvé». «L'accumulation de descriptions totalement exagérées» montre qu'il s'agissait bien d'une satire et non «d'attaques sérieuses» contre Recep Tayyip Erdogan.
Mais ce dernier n’en démord pas. Il a donc fait appel. Décidé à aller jusqu’au bout, le dirigeant turc a donc, en parallèle, attaqué au civil : il a déposé une autre plainte pour injure en tant que simple personne privée, une procédure qui le nécessite aucune autorisation particulière. Il entend ainsi faire interdire toute rediffusion du texte satirique. L’affaire, qui pose un délicat problème de presse dans un pays démocratique, est donc loin d’être terminée…
Elle a lieu alors que le pouvoir turc s’acharne contre la presse critique : il a ainsi fait arrêter le 31 octobre 2016 le rédacteur en chef Murat Sabuncu et plusieurs journalistes de Cumhuriyet, principal quotidien d'opposition. Lequel assure sur son édition numérique en date du 1er novembre qu’il lutterait «jusqu’au bout».
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