Foot : l'Espanyol Barcelone, ce club bouc émissaire des indépendantistes catalans qui vit dans l'ombre du Barça
C'est l'histoire d'un club qui n'est pas aussi engagé que le Barça, et qui le paie au prix fort.
Le référendum catalan du 1er octobre a été l'occasion pour le FC Barcelone de réaffirmer son engagement pour le droit à l'autodétermination de la région. Plusieurs joueurs majeurs du club, comme Gerard Piqué et Sergio Busquets, se sont pris en photo dans les bureaux de vote. Le club a revêtu son maillot sang et or, aux couleurs de la province, pour le match qu'il disputait ce jour-là. Sur le tableau d'affichage, on pouvait lire, à côté du score, "Democracia !" alors que des électeurs étaient pris à partie par la police. Rien de tout ça du côté de l'Espanyol Barcelone, l'autre club de la ville, qui avait expliqué vouloir rester "en marge" de la politique. Une position bien difficile à tenir dans un contexte politique qui déchaîne les passions.
Dur d'être en marge de la politique
"Ton seul objectif, c'est le sport." Ce vieux slogan de l'Espanyol Barcelone lui vaut encore un procès en trahison aujourd'hui. Dans le communiqué diffusé avant le référendum, le club justifiait sa décision de se mettre "en marge" comme étant "une position courageuse pour éviter de raviver les tensions". Un point de vue pas vraiment partagé par les partisans de l'indépendance, qui ont toujours vu dans cette modération de l'Espanyol un relent d'allégeance à Madrid.
Atents i preocupats pel que ve passant a la nostra estimada terra, desitgem que tot se solucioni amb diàleg i responsabilitat de tothom.
— RCD Espanyol (@RCDEspanyol) 21 septembre 2017
Rien que le nom du club sonne suspect : "Espanyol", c'est-à-dire "Español" catalanisé au milieu des années 1990 "car toutes les institutions catalanes [avaient] depuis longtemps catalanisé leur orthographe", expliquait le porte-parole du club en 1998 dans Libération. Du suivisme, donc. A cette occasion, les propositions plus audacieuses de socios pour supprimer la référence à l'Espagne - comme "Olímpic de Barcelona" - sont restées lettre morte. Forcément, ce sont des Espagnols qui ont fondé le club en 1900. Ce que l'on sait moins, c'est qu'ils ont choisi ce nom en réaction au cosmopolitisme du Barça, créé par un Suisse, portant les couleurs du canton de Bâle et dont un des axes de développement a été de s'offrir des joueurs étrangers à prix d'or. L'Espanyol, comme son nom l'indique, s'appuie avant tout sur des joueurs du cru.
"On est vu comme un club sale, d'extrême droite"
Et pourtant, rien de plus facile pour les Culés (les supporters du Barça) d'accuser le voisin de collusion avec Madrid. En 1912, le roi accorde à l'Espanyol son soutien, ce qui lui permet d'ajouter l'adjectif "Real" à son nom : le Real Club Deporte Espanyol de Barcelona. En 1918, le club "blanc i blau" signe une pétition s'opposant aux visées indépendantistes de la Catalogne. Et dans les années 1930, un groupe de supporters s'acoquine avec les tristement célèbres Phalanges franquistes. Quand le Barça subit mille et une brimades du régime dictatorial (restrictions financières, pillage de ses meilleurs joueurs), la relative passivité du pouvoir à l'égard de l'Espanyol paraît suspecte. La légende noire du club est née.
Légende, car pour les défenseurs de l'Espanyol, il y a beaucoup d'exagération et de demi-vérités dans la réécriture de l'histoire politico-footballistique par les vainqueurs, en l'occurrence par le Barça, se désole un dirigeant d'une association de supporters dans le livre Understanding Football Hooligans. "L'image de l'Espanyol comme pro-franquiste est totalement fabriquée. Si on répète à longueur de temps que c'est un club de fascistes, politiquement incorrect, comment voulez-vous attirer des gens ? A leurs yeux, on est un club sale, d'extrême droite."
Mais si cette réputation est sans doute exagérée pour le club, elle l'est moins pour certains de ses supporters. Dans les années 1980-1990, les Brigadas Blanquiazules, un groupe de supporters néo-fascistes, font le coup de poing avec les gros bras du Barça, les Boixes Nois. Mais la bêtise et le racisme ne sont pas du seul ressort des plus excités des "blanc i blaus". Le gardien camerounais de l'Espanyol a bien été la cible de cris de singe au Camp Nou en 2009. "Le Barça a remis des décorations à Franco en 1971 et 1974. Alors, qu’ils ne viennent pas nous donner des leçons !" s'emporte, dans Le Temps, Robert Hernando, patron d'un groupe de supporters favorable à l'unité de l'Espagne.
Les "Viêt-congs" face à la grosse machine
En Espagne, le point Godwin revient souvent dans les conversations entre supporters. "S'il y a un fascisme ici, c'est bien celui de l'impérialisme du Barça qui tente de réécrire l'histoire en disant que nous avons été directement favorisés par Franco, fustigeait en 1998 Sergio Fidalgo, à l'époque dirigeant d'une association de supporters, dans Libération. Au contraire, dans les années 1960, nous sommes descendus en deuxième division." L'universitaire Gabriel Colomé souligne dans le Monde diplomatique qu'à cette période, l'Espanyol devient le club des immigrés, de ceux qui peinent à se fondre dans le moule catalan.
Impéralisme du Barça ? Aujourd'hui, le club calatan est outrageusement dominateur, vise la Ligue des champions quand son voisin moins bien loti espère surtout ne pas descendre en deuxième division. A l'Espanyol, on se contente de joies plus modestes, comme cette égalisation de l'attaquant Raul Tamudo à la dernière seconde dans le derbi barceloní de 2007, privant de titre le Barça. Un évènement encore célébré aujourd'hui sous le nom de "Tamudazo".
Face au Barça et son aura planétaire, l'Espanyol est resté une épicerie de quartier, que la presse espagnole a déjà comparée aux "viêt-congs" lors de matchs homériques face à ses voisins. Une presse pas spécialement bienveillante, d'ailleurs. Le journal sportif catalan Sport a pour mot d'ordre "Sempre amb el Barça" ("toujours avec le Barça") et déploie quinze journalistes pour ne rien rater des faits et gestes de Lionel Messi ou d'Andres Iniesta, contre un seul pour l'Espanyol. Les articles concernant le club se retrouvent au-delà de la page 40...
Club mal-aimé cherche "minorité merveilleuse"
Les pouvoirs publics ont choisi leur camp. L'ancien maire de Barcelone, Xavier Trias, a un jour déclaré qu'"avoir un gendre de l’Espanyol serait une honte pour lui". Une récente publicité de l'office de tourisme de Catalogne invitait les fans du monde entier avec le slogan "If you feel FC Barcelona, you feel Catalunya". Le patron de l'Espanyol a tonné : "Vendre au monde le fait que l’on doit sentir la Catalogne à travers un seul club, c’est rendre notre terre, ainsi que le sport catalan, très petit. Ridicule." Mais qui l'a entendu ? L'office du tourisme a-t-il tourné un second spot vantant les deux clubs ? Pas du tout. Peu après le communiqué à l'eau tiède de l'Espanyol sur le référendum, le gouvernement régional a demandé au club "de reconsidérer sa position rapidement". Comme si la neutralité était antinomique avec la catalanité.
Selon une étude, le deuxième club le plus soutenu en Catalogne serait même le Real Madrid. Il est vrai qu'on trouve plus facilement une tunique blanche qu'un maillot blanc et bleu dans les boutiques à touristes des Ramblas. L'Espanyol a décidé de faire de ce handicap une force, et a surnommé ses supporters "la minorité merveilleuse". Une minorité qui a bien du courage à être encore là, après un exil de treize ans dans le stade olympique de Montjuïc, battu par les vents et dont les gradins sont séparés du terrain par une piste d'athlétisme. Aujourd'hui, il faut 45 minutes aux fans pour rallier le nouveau stade depuis le centre de Barcelone. "La qualité première des supporters de l'Espanyol, c'est leur résistance", résume Hector Oliva, auteur du livre RCD Espanyol, Histoire d'un sentiment, sur le site du club. Effectivement.
Le club joue aussi la carte de la proximité, face aux stars inaccessibles du voisin d'en face. "Il y a plusieurs années, un incendie a ravagé le nord de la région. L'Espanyol est venu faire un match de solidarité contre une équipe amateur, raconte le journaliste Roman Martinez à Eurosport. Le Barça avait promis de faire un geste, de venir. Les gens l'attendent toujours…"
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