Espagne : si le chômage baisse, la crise reste violente
En 2008, la bulle immobilière espagnole explosait, entraînant l’effondrement de l’économie ibérique et une hausse vertigineuse du chômage. Six ans après, le pays continue à en subir les conséquences. Ainsi selon l'Institut national des statistiques, les saisies de logements habités ont augmenté de 13,5% au troisième trimestre de 2014 par rapport à la même période de 2013, s'établissant à 6787.
Alors s’il se dit que «l’Espagne reprend des couleurs» avec le recul du chômage, la hausse de la consommation, des ventes de voiture, la reprise du crédit et la stabilisation des prix de l’immobilier, la crise n’est pour autant pas terminée. Et nombre d’Espagnols se retrouvent dans des situations inextricables.
Derrière la porte en fer d'un rez-de-chaussée de Vallecas, quartier ouvrier de Madrid, ils sont une trentaine, en cercle, à écouter Veronica annoncer qu'elle sera expulsée en 2015. Ils prennent la parole à tour de rôle et se serrent les coudes face à la crise qui les cerne.
«Je vis dans un logement social depuis deux ans. Je payais 50 euros par mois. C'est passé à 400», raconte Veronica Hidalgo, grande femme pâle aux cheveux châtains de 26 ans, aux participants de cette réunion semblable à celles des Alcooliques anonymes. Son 46 m2, à Vallecas, en banlieue de Madrid, a été vendu par la région à une société privée qui a brutalement augmenté le loyer. Sans emploi et mère de deux enfants de quatre et huit ans, elle n'a que 323 euros de revenus mensuels. Faute de pouvoir payer, elle devrait être expulsée le 18 février 2015.
Trois mille logements sociaux ont ainsi été cédés à Madrid, dont nombre de locataires risquent, comme la jeune femme, d’avoir à affronter des difficultés insolubles. Veronica sait qu'elle ne pourra compter que sur «les cadeaux des églises», peut-être une aide de sa mère ou du père de ses enfants, également au chômage.
Des réunions comme celle-là, il s'en tient une une fois par semaine à Vallecas à l'initiative de l'association Stop Desahucios (Stop expulsions). Ses membres ont alerté la presse lorsque, en novembre 2014, une vieille dame de 85 ans, Carmen Martinez Ayuso, a perdu son logement après l'avoir apporté en caution pour que son fils puisse emprunter 40.000 euros.
L'affaire a suscité l'indignation générale en Espagne. Elle a rappelé que, même si la croissance a repris (+1,3% de hausse du PIB attendue pour 2014), beaucoup vivent encore violemment la crise qui a laissé un quart de la population active sans emploi.
«Quand on regarde la télévision, on finit par être en rogne», témoigne un des bénévoles de Stop Desahucios, Antonio Ortiz, 62 ans. «On me raconte une réalité que je ne connais pas. Que l'on sort de la crise. Cela doit être la crise des riches. Parce que pour les gens de base rien n'a changé», poursuit-il.
L'Espagne n'a «que» 23.000 SDF (entre 23 et 40.000 selon les estimations, NDLR) pour 44 millions d'habitants grâce aux liens familiaux encore forts, «aux pensions des grands-parents et à l'aide des enfants», assure Antonio.
«Pas de quoi se payer un logement»
Comme pour des dizaines de milliers d'Espagnols, le prêt hypothécaire à taux variable de l'appartement d’Antonio a grimpé, passant de 500 à 800 euros mensuels. Au même moment, il a perdu son emploi. C'est grâce à sa belle-mère, qui partage sa retraite de 460 euros avec la famille et à sa fille de 31 ans, qu'il a pu garder ce logement: son nouveau job de balayeur, deux jours par semaine, ne couvre pas toutes ses dépenses.
L’année 2015 s'annonce difficile pour de nombreux Espagnols. «Les gens ont épuisé toute leur épargne et les aides. Ils n'ont plus de possibilité de négocier avec les banques», explique Ivan Cisneros de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca, association d'aide aux personnes endettées. «Les gens retrouvent du travail, mais à temps partiel ou précaire. Ils n’ont donc pas de quoi payer un logement», ajoute-t-il. Dans ce contexte, le mouvement des expulsions ne se ralentit pas.
Pour Antonio Gonzalez Gordillo, député socialiste de la région de Madrid, spécialiste de l'urbanisme, le problème est d'autant plus aigu que le «matelas» des logements sociaux, qui peuvent servir à amortir les difficultés de la population, n'existe pas en Espagne. Un pays où l'on vouait jusque-là un culte absolu à la propriété immobilière.
A Madrid, sur 2,6 millions de logements, seulement 1% sont publics ou sociaux contre plus de 30 et 40% dans des villes comme Amsterdam, Berlin ou Vienne, affirme le parlementaire.
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