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La Catalogne, une région au cœur des réseaux jihadistes

Deux attentats à la voiture-bélier ont été commis à quelques heures d'intervalle en Catalogne, jeudi 17 août, faisant 14 morts et une centaine de blessés. 

Article rédigé par Elise Lambert, Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des policiers espagnols regroupent des civils à Barcelone, jeudi 17 août, après qu'un véhicule a foncé sur La Rambla. (LLUIS GENE / AFP)

La police espagnole tente, samedi 19 août, de remonter la piste des auteurs des attentats qui ont ensanglanté Barcelone et Cambrils jeudi. Selon un dernier bilan, ces deux attaques commises sur le sol catalan ont fait 14 morts et plus de cent blessésLes soupçons des enquêteurs se portent désormais sur une cellule d'une douzaine de personnes passée à l'acte précipitamment après l'échec d'un premier plan encore plus meurtrier.

>> Attentats en Catalogne : suivez l'évolution de l'enquête dans notre direct.

L'attentat de Barcelone a été revendiqué par le groupe Etat islamique, qui a déjà commis des attaques similaires à Nice, Londres et Berlin. Pourquoi la Catalogne est-elle visée ? Quels sont les réseaux jihadistes présents dans la région ? 

Un foyer de l'islamisme radical en Espagne

"La Catalogne est la principale région d’Espagne concernée par le jihadisme, avec Ceuta, Melilla et Madrid", explique à franceinfo Anna Teixidor Colomer, auteure de Combattants au nom d’Allah, de la Catalogne au Jihad. "Depuis les années 1990, le salafisme s’est beaucoup développé dans la région et a créé un terreau favorable à la radicalisation de certains habitants", poursuit cette journaliste de la chaîne catalane TV3. Près de 80% des centres de culte liés au salafisme (qui prône un islam rigoriste) en Espagne sont implantés en Catalogne, précise La Razón.

Selon La Vanguardia (en espagnol), qui cite le rapport 2016 sur la sécurité nationale, la Catalogne est la région abritant la communauté islamique la plus "radicale" et détenant le plus de liens avec des islamistes radicaux d'autres pays européens. Entre 2013 et 2016, 27,3% des personnes condamnées pour des activités liées à l'Etat islamique étaient détenues à Barcelone et 20,3% à Ceuta, enclave espagnole située au Maroc. Parmi ces personnes, 32,8% s'étaient "radicalisées" à Barcelone et 43,4% à Ceuta. En outre, 29,8% de celles-ci venaient de Catalogne et 22,1% de Ceuta, détaille un rapport (en espagnol) du think tank Real Instituto Elcano.

"Les personnes arrêtées en lien avec les filières jihadistes sont principalement de jeunes hommes parfois mineurs, précise Anna Teixidor Colomer. Ils sont naturalisés espagnols ou principalement issus de la deuxième génération de familles immigrées marocaines ou pakistanaises." Depuis les années 1990, les autorités catalanes ont encouragé l'arrivée de ressortissants non-hispanophones. En 2014, l'Afrique du Nord représentait 21,8% de l'immigration catalane, détaille L'Opinion.

Le lieu de nombreuses opérations antijihadistes

Cela fait plusieurs années que la région de Barcelone concentre une part importante des arrestations liées au terrorisme jihadiste. "En 1995, le premier jihadiste espagnol a été arrêté à Barcelone, puis condamné", rappelle Fernando Reinares, directeur du programme sur le terrorisme pour le think tank Instituto real Elcano. Depuis, le phénomène n’a fait que s’amplifier, affirme cet expert. Selon les données du ministère espagnol de l’Intérieur, entre 2012 et 2016, une trentaine d’opérations contre des cellules djihadistes ont été menées en Catalogne. Elles se sont soldées par l’arrestation de 62 personnes, détaille L’Indépendant.

Face à cette menace, l’unité de police régionale catalane est en première ligne. "En Catalogne, en plus de la Guardia Civil et de la police nationale, nous avons les Mossos d'Esquadra, particulièrement mobilisés sur les opérations terroristes et la lutte contre le jihadisme", décrit Anna Teixido Colomer. Depuis 2015, un programme opérationnel spécial de lutte antiterroriste (POEA), constitué de cinq équipes ordinaires et deux extraordinaires de Mossos, a même été mis en place pour surveiller les mouvances islamistes considérées comme potentiellement à risque, explique L’Indépendant

Des programmes de prévention ont aussi été lancés par la région de Catalogne pour détecter les comportements suspects dès l’école, et intervenir avec des équipes de spécialistes, de policiers et de psychologues.

Anna Teixido Colomer

à franceinfo

Le rapport 2016 sur la sécurité nationale précise que le nombre d’heures consacrées à ce travail doit même tripler et passer de 600 000 en 2016 à 1 600 000 en 2017. De nouvelles armes, fusils d'assaut et mitraillettes de haute précision, seront aussi mises à disposition des autorités.

Au centre de l'organisation d'attentats

Barcelone est au cœur de la planification et de l'organisation de plusieurs attentats jihadistes ces dernières années. Le 25 avril 2017, neuf personnes ont été interpellées dans la région de Barcelone par les Mossos, avec l’appui de la police nationale espagnole et de la police fédérale belge, note La Vanguardia. L'opération Apolo visait "un groupe jihadiste présumé avec des connexions internationales", révèle Jordi Jané, chargé de la sécurité au gouvernement régional de Catalogne, à la radio Rac1. Quatre personnes se sont avérées être liées à des suspects interpellés en Belgique dans le cadre de l'enquête sur les attentats de Bruxelles, perpétrés en mars 2016.

C'est aussi à Cambrils que Mohamed Atta, l'un des organisateurs des attentats du 11-Septembre, a rencontré le Yéménite Ramzi Bin al-Shibh, son contact avec Al-Qaïda, pour "finaliser l'attaque", rappelle La Vanguardia. Les deux terroristes s'étaient retrouvés à l'aéroport de Reus durant l'été pour préparer l'attentat et avaient logé durant plus d'une semaine dans trois hôtels différents de la station balnéaire. Mohamed Atta avait ensuite rejoint les terroristes chargés de s'écraser en avion sur les tours du World Trade Center, aux Etats-Unis. Le lien entre l'attentat et Cambrils n'a été établi qu'en 2004, grâce aux confessions de Ramzi Bin al-Shibh, prisonnier à Guantanamo. 

En 2010, des documents du département d'Etat américain publiés par WikiLeaks indiquaient que la Catalogne était considérée par Washington comme l'une des plaques tournantes du jihadisme européen, note El Pais. Notamment à cause de "l'implantation de la communauté marocaine et pakistanaise" à Barcelone, et à "l'effervescence d'activités liées aux islamistes" dans les villes de Tarragone, L'Hospitalet, Badalona et Reus. Trois ans plus tôt, les Etats-Unis avaient même créé une agence d'espionnage au sein du consulat américain à Barcelone pour lutter contre cette menace.

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