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Biodiversité : "On peut penser que le sort des éponges sous-marines ne nous concerne pas, mais elles servent à la recherche contre le sida"

Le spécialiste Florian Kirchner explique à francetv info pourquoi préserver la biodiversité est vitale. Entretien.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
De nombreuses espèces fournissent à l'homme quantité de médicaments et de vaccins, comme les éponges, utilisées dans la recherche contre le sida. (PETE OXFORD / MINDEN PICTURES)

La sixième extinction de masse est en marche. Soixante-cinq millions d'années après la disparition des dinosaures, une hécatombe d'espèces menace notre planète. Pour la première fois, elle n'est pas liée à un cataclysme, mais bien à l'activité humaine qui, depuis 500 ans et l'installation de l'homme dans chaque recoin du globe, n'a cessé de s'intensifier. Si la disparition de certaines espèces comme le rhinocéros blanc du Nord émeut le grand public, beaucoup d'autres meurent lentement, en silence.

Sommes-nous concernés, au quotidien, par la sauvegarde d'une grenouille asiatique, d'une plante tropicale ou d'un oiseau malgache ? Francetv info a demandé à Florian Kirchner, chargé de programme "Espèces" à l'antenne française de l'Union internationale pour la conservation de la nature, en quoi chaque Français joue aussi sa peau dans cette inéluctable extinction.

On sait que le panda en Asie ou encore l'ours polaire sont en danger. Plus près de nous, la France perd-elle aussi des espèces ?

En France métropolitaine, le pourtour méditerranéen est très affecté, car les milieux naturels ont été très urbanisés et cultivés, de l'Espagne au Liban. Du coup, beaucoup d'espèces y sont menacées. Il figure comme l'un des 34 points chauds à travers le monde, soit une zone à la fois très riche en espèces, et très dégradée. La France est d'ailleurs le seul pays au monde à être présent dans cinq de ces points chauds.

Dans l'outre-mer, se trouvent des territoires insulaires, riches de nombreuses espèces endémiques (que l'on ne trouve qu'en cet endroit). Les îles des Caraïbes, celles de l'océan Indien et la Polynésie, sont également des points chauds. La Nouvelle-Calédonie est un point chaud à elle toute seule ! Huit plantes sur dix y sont endémiques. Deux des oiseaux les plus menacés au monde se trouvent en France : l'échenilleur de La Réunion, aussi appelé le tuit-tuit, et le monarque de Tahiti. Il y en a moins de 100 aujourd'hui.

La France a-t-elle récemment perdu des mammifères ? 

Le phoque moine de Méditerranée a disparu il y a 40 ans. Si on le trouve aujourd'hui en Grèce, il a vécu sur les côtes de Provence, et en Corse jusqu'à 1976. Depuis, plus aucun phoque ne vit sur nos côtes méditerranéennes, en raison de l'urbanisation et de la fréquentation du littoral.

Le phoque moine de Méditerranée est en danger critique d'extinction, selon la liste établie par l'Union internationale pour la conservation de la nature.  (J.P. SIBLET / INPN)

Dans quelle mesure le changement climatique peut-il menacer des espèces en France métropolitaine ?

Nous nous inquiétons notamment pour les espèces qui vivent en altitude. Ces plantes, ces insectes ou ces reptiles vont devoir s'installer de plus en plus haut pour trouver un climat adapté. Sauf que, plus elles monteront, moins elles auront de place. La compétition va jouer et inévitablement des espèces vont s'éteindre. Ces effets se mesurent déjà dans les Andes, mais aussi dans les Alpes. Dans les Pyrénées, on craint pour la survie de deux espèces de lézards d'altitude qui sont endémiques à la France et à l'Espagne : le lézard d'Aurélio et le lézard du val d'Aran. Ils figurent d'ores et déjà sur la liste rouge française des espèces en danger.

Le lézard de Bonnal figure également dans la liste rouge des espèces menacées établie par l'UICN. (F. SERRE-COLLET / INPN)

Dans la liste rouge des espèces menacées en France, beaucoup se concentrent dans les eaux douces. Pourquoi ? 

Pour plusieurs raisons, les grands fleuves ont été canalisés et la qualité des eaux douces reste médiocre. Certaines pollutions sont marquées, comme les PCB (les polychlorobiphényles), les pesticides, etc. Prenons l'exemple de l'anguille, un poisson fragile dont on sait que les polluants affaiblissent son système immunitaire : dans des eaux polluées, elles sont plus facilement victimes des maladies qui les menacent. Enfin, comme pour les esturgeons et les autres poissons migrateurs, les barrages empêchent leur circulation dans les fleuves. Autant de paramètres qui mettent ces espèces en danger.

La France a vu une nette régression des zones humides. De nombreuses mares ont été comblées, des bras de rivière ont progressivement disparu, des zones humides près du littoral ont été asséchées pour construire des lotissements, des zones commerciales ou faire de l'agriculture. Cela a entraîné la disparition des espèces propres à ces milieux. Certes, ces infrastructures sont construites pour répondre à nos besoins, mais c'est leur nombre et leur étalement qui posent problème.

Les espèces qui y sont menacées sont-elles condamnées ?  

Dans ce tableau plutôt sombre, il y a en permanence des bonnes nouvelles. Grâce aux efforts de conservation, la loutre, autrefois menacée de disparition en France, a été sauvée. Dans les années 1970, on ne donnait plus cher de cet animal. Du jour au lendemain, elle est passée de nuisible à protégée, avec interdiction de la chasser. Quant aux cours d'eau, ils étaient dan années 1950 le réceptacle de nombreuses pollutions agricoles et industrielles. Les premières mesures environnementales prises pour les réguler ont bénéficié à la loutre. Même s'il faut encore travailler à limiter le rejet des pesticides dans les cours d'eau, la loutre n'est plus menacée en France et continue d'étendre son aire de répartition, au point de s'approcher de son aire historique.

D'autres efforts de réintroduction ont-il porté leurs fruits en France ?

Le lynx, qui avait disparu de France, est revenu spontanément dans le Jura français depuis le Jura suisse où il s'était retranché, avant d'être réintroduit dans les Vosges. Lui en revanche est encore menacé en France, car il y en a très peu : pas plus de 150. L'an dernier, les bouquetins ont été réintroduits dans les Pyrénées, à partir de l'Espagne, après avoir fait leur retour dans les Alpes, depuis l'Italie. Dans les années 1970, ils étaient l'emblème des associations écologistes qui militaient pour la création de parcs naturels en France. Le premier parc national, celui de la Vanoise, est notamment né de cette volonté de réintroduire le bouquetin dans les Alpes, alors qu'ils avaient été chassés jusqu'au dernier.

Le lynx boréal est également un animal protégé. (P.GOUDAIN / INPN)

L'homme doit-il aussi chasser des espèces invasives pour assurer la survie d'autres ? Le vison d'Europe, par exemple, est menacé par le vison d'Amérique. Pourquoi faut-il s'en alarmer ? N'est-ce pas une forme de sélection naturelle ? 

Si l'on perd une espèce locale au profit d'une autre, qui se répand sur la planète, on assiste à une perte nette pour la biodiversité, qui tend à s'homogénéiser. Un peu comme la mondialisation de la culture, on assiste une perte de richesse et de diversité. De nombreuses espèces introduites par l'homme (notamment via le fret aérien et maritime), ne deviennent pas invasives, comme la pomme de terre ou la tomate, qui nous viennent d'Amérique. Mais d'autres se révèlent problématiques quand, très proliférantes, elles entrent en compétition avec d'autres, ou ont des impacts économiques ou sanitaires. C'est le cas des écrevisses américaines, du frelon asiatique ou de plantes comme l’ambroisie et les jussies. 

Dans les îles, une espèce introduite peut entraîner la disparition de dizaines d'autres, précieuses, car parfois endémiques.

Et l'homme, que risque-t-il à voir la biodiversité s'appauvrir ? 

L'homme a besoin de la biodiversité qui l'entoure. Notre qualité de vie en dépend. A part l'eau et les sels minéraux, tout ce qu'on mange, c'est de la biodiversité. On parvient parfois à sauver des cultivées grâce à leurs cousines sauvages, plus résistantes; d'où l'intérêt de maintenir les espèces, même si d'autres, très proches, se portent bien.

Les espèces nous fournissent aussi quantité de médicaments et de vaccins. La majeure partie des molécules avec lesquelles nous nous soignons ont été synthétisées à partir de plantes ou d'animaux. Une substance aussi banale que l'aspirine provient de l'écorce du saule. Beaucoup d'anticancéreux viennent des plantes : de la pervenche de Madagascar, ou d'un if asiatique, aujourd'hui en danger d'extinction. A première vue, on peut penser que le sort des éponges sous-marines ne nous concerne pas, mais elles servent à la recherche de traitements contre le sida. La biodiversité est comme une pharmacopée, dans laquelle nous pourrions être amenés à piocher pour affronter les futures maladies qui pourraient apparaître ou les pandémies à venir. 

L'écorce de saule blanc possède des propriétés médicinales.  (P. GOURDAIN / INPN)

Partout dans le monde, les écosystèmes sains sont par ailleurs une des solutions à mettre en place face au changement climatique. Par exemple, pour atténuer nos émissions de CO2, nous avons besoin d'écosystèmes préservés capables de les absorber (c'est ce que font les forêts, mais aussi les océans). La biodiversité peut nous aider à nous adapter aux changements qui nous attendent : les températures vont grimper, le niveau des océans va augmenter, leurs eaux vont s'acidifier, tandis que les événements climatiques violents, comme les cyclones, les inondations ou sécheresses, vont être plus fréquents. Or, restaurer des zones humides permettrait de limiter les inondations, comme nous en vivons régulièrement en France, avec parfois des pertes matérielles importantes.

Pour se protéger des précipitations brutales, il n'y a rien de mieux que les versants boisés et les rivières non canalisées, avec des méandres et des bras morts qui peuvent absorber l'excès d'eau lors de pluies exceptionnelles. La biodiversité est en elle-même une solution à nos problèmes. 

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