Nucléaire : l’addition qu’on nous cache
L’électricité à bon marché en France, c’est déjà du passé. Dans les années qui viennent, EDF va devoir augmenter ses tarifs de 30 à 50% pour relever des défis énormes.
L’entreprise va financer la rénovation du parc des centrales nucléaires actuelles. Une ardoise estimée à 55 milliards d’euros. Elle va participer au plan de sauvetage d’Areva en rachetant une partie son capital, soit 2,7 milliards d’euros. A cela, il faut rajouter la construction de deux EPR en Grande Bretagne. Une facture estimée à 18 milliards d’euros ! Mais le démantèlement du parc des centrales nucléaires va aussi peser sur ses comptes.
Première et deuxième génération
Pour l’instant, aucune centrale n’a été entièrement démantelée. Neuf centrales de première génération sont à l’arrêt, et plusieurs chantiers sont en cours. Leur démolition est souvent un casse-tête. A Brennilis, en Bretagne, la centrale à eau lourde mise en service en 1967 et stoppée en 1985 est en cours de démantèlement. Depuis 30 ans, les incidents s'y sont multipliés. Le budget du chantier a déjà doublé. A Grenoble (Isère), dans un centre du CEA (commissariat à l’énergie atomique) déconstruit, la facture a explosé. On avait découvert des terres contaminées qu’il a fallu excaver. A Creys-Malville (Isère), la présence d’amiante a rendu le chantier plus complexe que prévu, donc plus onéreux.
58 réacteurs actuellement en service se ressemblent beaucoup. Il devrait donc être possible d’industrialiser les procédés de déconstruction. A Areva, une unité spécialisée a déjà mis au point des scanners capables de modéliser les centrales en 3D, en identifiant les niveaux de radioactivité de chaque zone. Le marché est énorme. D’ici à quinze ans, il y aura 300 réacteurs à démanteler dans le monde, ce qui représente un chiffre d’affaire de 200 milliards d'euros.
Des déchets bien encombrants
Le démantèlement n’est pas qu’une question de démolition. Il faut aussi stocker les déchets. Ceux qui sont faiblement radioactifs sont enfouis dans des décharges spécialisées. Mais dans 15 ans, leur volume aura triplé.
L’Andra, l’agence qui gère les déchets nucléaires, veut optimiser ses sites actuels et ouvrir une nouvelle décharge. Mais elle mise aussi sur une évolution de la réglementation. Aujourd’hui, tout déchet provenant d’une centrale, même s’il ne présente pas de radioactivité, doit être enfoui dans un centre spécialisé. L’Andra voudrait qu’on assouplisse cette règle. Pour Patrice Torres, directeur des sites de l’Andra, "cela permettrait de réutiliser une partie de ces déchets qui sont des déchets radioactifs d’un point de vue administratif, plutôt que réellement radioactifs."
Un enfouissement à hauts risques
Restent les combustibles des réacteurs, hautement radioactifs. Il existe un projet de centre de stockage souterrain nommé Cigéo, à Bure dans la Meuse, qui pourrait être opérationnel d’ici dix ans. Les déchets seraient isolés à 450 mètres sous terre. L’Andra attend un feu vert gouvernemental. Mais la semaine dernière encore, le 26 janvier 2016, il y a eu un mort dans un éboulement."Il existe des risques d’incendie, des risques d’effondrement, de perturbation du sol" , explique Jacques Repussard le directeur de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Il plaide pour une expérimentation limitée sur un site pilote. "Tout cela doit être vérifié en situation réelle et pas dans un laboratoire comme on a aujourd’hui à côté de Bure."
Un coût incertain et sans doute prohibitif.
Le problème est que personne ne peut raisonnablement chiffrer le coût de ces chantiers à venir. Cigéo était initialement estimé à 15 milliards d'euros. Il est aujourd’hui évalué à 32 !
Depuis 2006, EDF est censé provisionner de l’argent pour anticiper ces dépenses, mais plusieurs organismes de contrôle, dont la Cour des comptes, estiment que ces provisions sont sous évaluées. Et, selon Yves Marignac, le directeur de l’ONG antinucléaire Wise-Paris, "si le coût de ces chantiers a été sous-évalué, lorsqu’il faudra démanteler les cinquante-huit réacteurs actuellement en service, EDF ne pourra plus faire face. On sera alors dans un scénario où le passif devra être repris par l’Etat, tandis que les actifs devront être privatisés pour générer du cash. Le mur industriel et financier du démantèlement met en péril la survie même de l’entreprise."
En attendant, l’addition, nous la payons déjà. Le gouvernement freine les augmentations réclamées par EDF car elles sont risquées politiquement. Mais, même à dose homéopathique, elles finiront par s’imposer. Et notre facture par exploser…
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.