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Le Groenland, bientôt victime de ses ressources convoitées ?

Le réchauffement climatique n'accélère pas seulement la fonte des glaces arctiques, il rend aussi plus vulnérables les sous-sols riches en métaux rares.

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Les nations du monde entier lorgnent de plus en plus sur les ressources naturelles du Groenland. (SUPERSTOCK / SIPA)

ENVIRONNEMENT - Double peine pour le Groenland : déjà victime du réchauffement climatique, cette province autonome danoise, peuplée de 57 000 habitants, doit aujourd'hui gérer les convoitises des Etats attirés par ses ressources naturelles. Les étendues gelées et les eaux cristallines de l'Arctique vont-elles bientôt voir débarquer les derricks des compagnies pétrolières ? Le scénario devient chaque jour de moins en moins improbable. Explications. 

Une fonte accélérée des glaciers 

Mi-juillet, les scientifiques de la Nasa, l'agence spatiale américaine, ont d'abord refusé d'y croire : la calotte glaciaire du Groenland a fondu à une vitesse vertigineuse en 2012. D'habitude, seule la moitié de l'inlandsis - ou calotte polaire, ce vaste glacier recouvrant la surface de l'île - disparaît sous l'effet de la chaleur. Cette année, l'étendue dégelée a atteint 97%. Du jamais vu depuis trente ans.

 

Fonte de la calotte glacière entre les 8 et 12 juillet 2012, observée par des satellites de la Nasa. En rose foncé, les zones de fonte des glaces (détectées par deux ou trois satellites). En rose clair, les zones de fonte probable (détectées par au moins un satellite). (NASA / AFP)

Les scientifiques redoutent maintenant le bilan de l'été. "Avec les fontes supplémentaires à venir, le recul total de cette année va largement battre les vieux records", estime Marco Tedesco, chercheur au City College de New York et cité par Le Monde.frLes prédictions ne sont pas plus optimistes chez leurs collègues du National Climatic Data Center. Ils assurent que les glaces présentes dans l'océan Arctique devraient atteindre leur plus bas niveau à la fin du mois d'août. D'après les dernières mesures, prises le 13 août, la banquise mesure 5,1 millions de km². Ce sont 483 000 km² de moins qu'en 2007, date du précédent minimum observé dans le Grand Nord.

Les trésors convoités de l'Arctique

Qui dit dégel, dit terres plus exposées. La fonte de la banquise ouvre en effet la voie des mers. Dégagées de ses obstacles glacés, les routes maritimes deviennent plus faciles à pratiquer. Et il faut moins de temps pour poser le pied sur la banquise, note le site de TV5 Monde. Une banquise dont les sols se trouvent eux aussi altérés par la fonte des glaces. La couche de glace, qui peut atteindre 150 m d'épaisseur d'après le blog Eco(lo), s'est affinée et devient plus facile à exploiter.

Car le Groenland suscite donc les convoitises. Il faut dire que les sols de cette possession danoise renferment gaz et pétrole. Le forage d'hydrocarbures n'est déjà plus un mythe : "Aujourd'hui, une vingtaine de compagnies, dont Shell, GDF Suez ou le norvégien Statoil, ont obtenu l’autorisation d’explorer les côtes groenlandaises", indique ainsi La Croix.

En 2011, trois activistes de Greenpeace ont escaladé cette plateforme pétrolière alors qu'elle passait le détroit de Davis, à l'ouest du Groenland. Par cette action, ils entendaient bloquer le projet de forage en Arctique de la compagnie écossaise Cairn Energy.  (STEVE MORGAN / AP / SIPA)

Mais les terres de l'Arctique recèlent surtout neuf types de "terres rares", des métaux très recherchés pour la fabrication de produits high-tech (batteries de smartphones, aimants de voitures hybrides, écrans LCD…). La Chine a le monopole de ces matériaux au niveau mondial, mais les ressources du Groenland pourraient changer la donne, et l'Europe lorgne dessus. "L'UE met en avant le lien qu'elle entretient avec l'île, du fait de l'appartenance de celle-ci au Danemark, pays membre depuis 1973", explique La Croix. Début juin, la Commission européenne et le Groenland ont ainsi signé un accord de coopération sur les matières premières. 

Le Groenland dans un cercle vicieux ? 

Dans un rapport (PDF) rédigé en avril et cité par le Guardian (traduit par Courrier International), l'assureur britannique Lloyd's of London s'inquiète des conséquences de ces activités en Arctique. "Les schémas de migration des rennes et des baleines pourraient être affectés, souligne-t-il. Outre le rejet direct de substances polluantes dans l'environnement, les écosystèmes pourraient souffrir de nombreuses façons : construction de routes et de pipelines, pollution sonore des plateformes de forage, activité sismique, augmentation du trafic maritime et rupture de la glace."

Or, le Groenland voit dans cet intérêt massif des Etats une étape de plus vers son indépendance. En 2009, un référendum a élargi son autonomie vis-à-vis du Danemark. Pour l'île et ses habitants, dont les principales sources de revenus proviennent de la pêche et du tourisme, les ressources naturelles pourraient devenir une manne financière non négligeable. De quoi lui permettre une indépendance économique. 

Vue de Nuuk, un village de pêcheurs situé dans l'ouest du Groenland.  (SLIM ALLAGUI / AFP)

Mais la pression s'annonce énorme. "L'élite est réduite. La vie politique est gérée par 44 personnes seulement : 9 ministres, 31 parlementaires et quatre maires. Rien de plus facile pour une puissance extérieure que faire du lobbying et de s'imposer auprès des dirigeants groenlandais", explique Damien Degeorges, spécialiste du Groenland et de l'Arctique interrogé sur TV5 Monde. Dans ce contexte, l'image d'un Groenland défiguré par les forages ne serait qu'une question d'années ? Dans La Croix, l'anthropologue Jean-Michel Huctin tempère : "Leur modèle, c’est la Norvège, un Etat pétrolier, aux normes environnementales strictes, dans lequel on vit bien."

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