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"On se bat à coups de caillasses contre des grenades" : à Bure, tensions entre pro et anti-nucléaire sur le stockage des déchets

À Bure (Meuse), les opposants au projet de centre d'enfouissement des déchets nucléaires se retrouvent dimanche. Les tensions sont de plus en plus vives dans la commune, où opposants et riverains ont du mal à cohabiter, sous haute surveillance policière.

Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une cabane construite par des opposants au projet de centre de stockage de déchets nucléaires, dans le Bois Lejuc à Bure (Meuse), le 22 février 2017. (JEAN CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

C'est jour de réunion à Bure, dans la Meuse. Les comités de soutien locaux aux occupants de la forêt de Bois Lejuc se retrouvent dimanche 22 octobre. Depuis plus d'un an, cette forêt est investie par les opposants au projet de centre d'enfouissement de déchets nucléaires. La commune de Bure, 80 habitants, a en effet été choisie il y a 20 ans pour accueillir le projet. Mais, depuis quelques mois, le petit bourg situé à 64 kilomètres de Nancy est le théâtre de tensions entre soutiens au projet et opposants après plusieurs manifestations des anti-nucléaires, sur fond d'hyperprésence policière.

Le reportage de Sandrine Etoa-Andegue à Bure.

"Un caillou dans la chaussure" des pro-nucléaires

Le Bois Lejuc est l'épicentre du combat des anti-nucléaires. Cette forêt de 220 hectares est située à 3,5 kilomètres de Bure. "À 500 mètres d'ici, en dessous de nos pieds, ils veulent faire un réseau de galeries qui sera plus grand que le réseau de métro parisien, pour mettre des déchets nucléaires", explique l'un des occupants.

C'est une catastrophe sur tous les plans

Un des occupants du Bois Lejuc

à franceinfo

Ces jeunes, qui se font appeler Caillou, Cannelle ou Lierre, sont déterminés à faire annuler le projet de 25 milliards d'euros. "Physiquement, si on occupe ce lieu, on bloque les travaux. C'est ce qui se passe depuis plus d'un an. On les retarde", raconte une militante installée à Bois Lejuc. "Je nous vois vraiment comme le caillou dans la chaussure, c'est-à-dire qu'on est peu, on a peu de moyens mais avec ça on arrive à leur faire perdre beaucoup de temps et d'argent. C'est vraiment une victoire quotidienne." 

Une pression policière quotidienne

Caillou, longue barbe et treillis, parle lui de guerre avec les gendarmes mobiles qui patrouillent en permanence. "On sent la répression au quotidien ! Lors des deux dernières manifestations qu'on a fait ici, deux personnes ont failli perdre un pied à cause de grenades de désencerclement. Ce sont des grenades dans lesquelles il y a 25 grammes de TNT !", s'insurge-t-il. Pour lui, les affrontement entre forces de l'ordre et opposants sont déséquilibrés.

Ils utilisent des armements guerriers pour du soi-disant maintien de l'ordre. On se bat à coup de caillasses contre des grenades et potentiellement des flingues.

Caillou, opposant au centre d'enfouissement des déchets nucléaires

à franceinfo

Pourtant, cette hyperprésence policière n'est pas permanente d'après l'une des opposantes de Bois Lejuc. "Quand ils savent qu'il y a des journalistes qui viennent, et ils le savent toujours, il n'y a pas de contrôles. On ne les voit pas tourner. Dès que vous partez, ils reviennent." Version confirmée par Lisa, jeune agricultrice installée dans un village proche, avec son mari Georges.

L'ambiance est très répressive. On a des flics qui passent devant nos fenêtres absolument tous les jours, qui s'arrêtent, qui nous éclairent à l'intérieur, qui nous filment en permanence, qui rôdent autour de la maison

Lisa, agricultrice installée à Bure

à franceinfo

"Ce n'est pas que nous, c'est comme ça chez tous les gens qui sont identifiés comme étant opposants au projet." Pourtant, Georges se refuse à céder sous la pression policière. "C'est du harcèlement, ça nous donne envie de partir. Ils mettent la pression, c'est leur but qu'on s'en aille. C'est ce qu'ils cherchent et on va essayer de ne pas lâcher."

La loi du silence chez les pro-nucléaire 

Mais d'autres habitants de Bure ne tiennent pas le même discours. Pour eux, la pression vient des opposants au projet d'enfouissement. "On en a marre. Ils nous fatiguent, ils ne respectent rien", s'énerve un retraité qui ne tolère pas la maison de la résistance installée à une centaine de mètres de chez lui, à l'entrée de Bure. "Tout est à eux, ils sont libres de faire n'importe quoi et ça, nous, on ne le tolère pas." Il tempête : "On a eu une éducation et eux n'en ont pas. Ce sont des fainéants qui vivent aux crocs de la société."

La maison de la résistance au projet de centre d'enfouissement des déchets nucléaires est située à l'entrée de Bure (Meuse). (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

Beaucoup d'habitants n'osent pas dire qu'ils sont pour le projet, par peur de représailles. Hors-micro, ils parlent d'un climat invivable à cause des opposants, pointent les nombreux panneaux à vendre. Une conseillère municipale montre sa poignée de porte cassée et rappelle que les opposants ont revendiqué le saccage d'un hôtel-restaurant, pour un préjudice de 30 000 euros. Cet hôtel restaurant, c'est la cantine des salariés de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), l'établissement public chargé du projet d'enfouissement nucléaire.

"C'est un projet d'intérêt national", défend Mathieu St-Louis, chargé de communication sur le site de l'Andra. Il reconnaît cependant que le climat n'est pas au beau fixe dans la commune. "Avec les actes de violences qu'on observe depuis un certain temps, c'est évident que les populations locales commencent à trouver ça de plus en plus lourd. J'y inclus aussi ceux qui travaillent à l'agence. Ce n'est pas toujours simple de côtoyer des gens qui peuvent faire preuve d'autant de violence."

"Pourquoi ici ? Pourquoi pas ailleurs ? 

Le maire de Bure a soutenu le projet au début. Plus maintenant. Il estime avoir été roulé dans la farine et évoque les pressions du laboratoire souterrain Meuse/Haute-Marne de l'Andra. "Un rouleau compresseur", dit-il. Pour Michel Labat, peintre en bâtiment et opposant au projet, c'est trop tard. "Les maires des communes environnantes voyaient surtout l'argent, tout comme le département", s'énèrve l'artisan. "Le reste leur importait peu. Ils n'avaient pas réfléchi au fait que le laboratoire, c'était un enfouissement."

Il a l'impression d'être pris en otage par ce projet d'enfouissement des déchets nucléaires. "Pourquoi ici, pourquoi pas ailleurs ? On a l'impression qu'on est des indiens dans une réserve et qu'on va nous massacrer. Stop, il faut arrêter ! Ce sont nos élus qui ont créé la violence." Il appelle maintenant à Nicolas Hulot le ministre de la Transition écologique à sortir de son silence sur le sujet. 

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