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Témoignages COP26 : viticulteur, monitrice de ski, médecin… Comment la crise climatique bouleverse leur métier

Leur activité les place aux avant-postes du réchauffement climatique : cinq professionnels racontent à franceinfo comment ils s'adaptent à la multiplication des phénomènes météo extrêmes. 

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De la monitrice de ski à l'agriculteur, cinq professionels témoignent pour franceinfo des conséquences du réchauffement climatique sur leur vie. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"Le problème, c'est que nous n'acceptons la réalité du changement climatique que lorsqu'elle est là, et non pas lorsque la communauté scientifique l'anticipe", confiait le climatologue Jean Jouzel, interrogé cet été par franceinfo

Des récoltes qui demandent de plus en plus de travail et d'adaptation face aux aléas de la météo, des hivers trop doux pour assurer l'enneigement en moyenne montagne, des catastrophes qui se répètent et viennent siphonner la trésorerie d'une entreprise… De nombreux Français observent, voire subissent déjà les effets du réchauffement climatique au quotidien, à travers leur activité professionnelle. Franceinfo leur a donné la parole.

"Le réchauffement fragilise nos coquillages"

Jean-François, mytiliculteur en Charente-Maritime, constate une mortalité des moules de plus en plus importante car l'acidification et le réchauffement de l'océan fragilisent les coquillages.  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Jean-François, 64 ans, mytiliculteur à Saint-Pierre-d'Oléron (Charente-Maritime). "Depuis 2007, nous avons 30 à 60% de mortalité des moules chaque année, parce que le milieu se dégrade de plus en plus. L'acidification et le réchauffement de l'océan fragilisent nos coquillages. Le byssus, cette petite touffe de poils qui permet à la moule de s'accrocher, est affaibli et nous sommes obligés de mettre des filets autour des bouchots pour qu'elles ne se décrochent pas. L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) a montré que c'était lié au réchauffement climatique.

Nous avons également un problème avec les arrivées erratiques de l'eau douce. Nous passons par des périodes de sécheresse l'été et de fortes pluies l'hiver, cela fait augmenter ou baisser la salinité de l'eau de mer. Nos coquillages peuvent supporter des variations, mais pas brusquement. On voit également apparaître des espèces de poissons qui n'étaient pas chez nous il y a 30 ans et qui remontent vers le nord avec le réchauffement de l'eau. C'est le cas du baliste, un prédateur de la moule. La montée des eaux est aussi un problème. Il y a des parcs dans lesquels nous travaillions les pieds au sec. Aujourd'hui, il nous faut un masque et un tuba.

Il est de plus en plus difficile de s'adapter. Depuis une vingtaine d'années, la conchyliculture (la culture des coquillages) se décale vers le large pour s'éloigner des zones de pollution et atténuer les variations de température et de salinité. Des conflits d'usage avec les plaisanciers et les pêcheurs apparaissent. Et ce n'est pas la même chose de travailler à pied ou en bateau en pleine mer. Il faut adapter les outils de travail et faire des investissements lourds, dont on n'avait pas besoin avant. C'est pour cela que j'ai porté plainte contre l'Etat et rejoint "l'Affaire du siècle". Il faut essayer tous les leviers possibles pour que l'humain se réveille."

"Je ne peux plus dire que je vis du ski"

Fanny, monitrice de ski de fond dans le Doubs, voit la saison se rétrécir au fil des ans en raison du réchauffement climatique.  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Fanny, 45 ans, monitrice de ski de fond à Chapelle-des-Bois (Doubs). "Je me suis rendu compte qu'il y avait un problème avec le réchauffement climatique ces dix dernières années. Habituellement, la neige arrivait le 11 novembre. Maintenant, on ne sait plus quand elle arrive et quand elle repart. Il y en a plus en mars et beaucoup moins en janvier. Il n'y a plus de logique, on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé. Il y a six ans, on avait encore des semaines avec des températures à -30, -20 °C, aujourd'hui, cela ne dure que 24 à 48 heures. Or pour nous, ce froid sec offre de meilleures conditions. Aujourd'hui, nous avons des mois de février très chauds, qui nous contraignent à faire cours à l'ombre. Avant, on avait un mauvais hiver tous les cinq-dix ans, et de bons hivers le reste du temps. Désormais, c'est l'inverse.

Toute une partie de la clientèle ne vient plus skier. Et ceux qui viennent se décident au dernier moment, s'il y a de la neige. Pendant les vacances de Noël, on est passés de dix moniteurs à deux. Pour le mois de janvier, on navigue à vue. La question se pose de faire un métier complémentaire qui permettrait de se libérer quand il y a de la demande pour des cours de ski. Moi, je me dirige vers les cours de méditation, de yoga.

Mes revenus ont diminué depuis 2015. Avant, je pouvais payer mon appartement, aller deux fois par an au Népal. On bossait trois mois à fond et on vivait cinq-six mois sur ces revenus-là, sans problème. Ensuite, on faisait la saison d'été (de l'accompagnement en montagne) et on enchaînait. Maintenant, je ne peux plus dire que je vis du ski. On ne peut plus économiser. Je n'ai plus la liberté financière que j'avais. Le ski, c'est ma passion, mais on va devoir s'adapter, on n'aura pas le choix."

"Dès qu'il y a une alerte inondation, on évacue tout le restaurant"

Edouard, restaurateur dans le Var, a dû investir pour préserver son établissement des inondations qui le menacent.  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Edouard, 56 ans, restaurateur à Roquebrune-sur-Argens (Var). "Nous tenons cet établissement depuis 2009. C'est un restaurant traditionnel au bord du lac de l'Aréna avec des activités nautiques – pédalos, jeux aquatiques, etc. En 2010, on a vécu notre première crue. Il y avait 2,70 mètres d'eau dans le restaurant. En 2011, ça a été un peu moins fort, on a eu 1,45 mètre. Puis 2014, deux autres inondations, un peu moins élevées, et la dernière en 2019, où il y a eu 2,20 mètres d'eau. A chaque fois, on doit fermer pour tout nettoyer, racheter du matériel, tout réinstaller, reconstruire. Ça dure deux ou trois mois, et on redémarre.

Ça fait partie de notre économie maintenant. Les fermetures qui durent nous pénalisent financièrement. Une grosse inondation nous coûte 200 000 euros de matériel, en plus de la perte d'exploitation. Les assurances nous remboursent, mais elles sont de plus en plus frileuses et je les comprends. Alors on leur montre toutes les mesures de précaution qu'on prend aujourd'hui.

Le restaurant d'Edouard inondé le 7 novembre 2011 à Roquebrune-sur-Argens (Var). (BORIS HORVAT / AFP)

Vigicrues nous tient au courant des risques d'inondations. Dès qu'il y a une alerte, on ne fait pas l'autruche, on évacue tout vers un endroit sécurisé. On a investi dans des conteneurs et des camions. Je mets environ cinq heures pour débarrasser le restaurant. Et on s'adapte : j'ai installé un îlot-bar en plus, qui flotte. La dernière fois, il est monté à 7 mètres. Zéro dégât. Il faudra peut-être se tourner vers ce genre de choses dans le futur, imaginer des structures adaptées.

Tout cela reste inquiétant, quand on voit ce qui s'est passé en septembre dans le Gard ou dans les Alpes-Maritimes l'an dernier. C'est impressionnant ! Quand on a pris le restaurant, on savait que c'était une zone inondable, mais il n'y avait pas de crues si importantes, aussi régulièrement. Le dérèglement climatique est un gros problème et on est directement touchés. Il faut faire avec, sinon, on ne fait plus rien."

"Vigneron, j'expérimente des cépages plus résistants aux conditions extrêmes" 

Denis, vigneron à Sainte-Cécile-les-Vignes (Vaucluse), s'adapte pour faire face à la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, conséquences du réchauffement climatique.  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Denis, 47 ans, vigneron à Sainte-Cécile-les-Vignes (Vaucluse). "Depuis quelques années, on a des problèmes liés à la hausse des températures pendant la période estivale et à la baisse de la pluviométrie. Il y a de plus en plus de phénomènes météo extrêmes. Il fait plus chaud et sec, et quand il pleut, il pleut beaucoup. Cette année, il est tombé 150 mm pendant les vendanges, ce qui n'arrive jamais ou presque. Chaque année a un peu sa particularité, mais 2021, comme 2018 avant elle, a été compliquée. On a connu un démarrage de vigne retardé par un épisode de gel très important, avec des décalages de maturité des raisins, etc.

Je suis vigneron depuis 1998. En tant que paysans, on a toujours été obligés de s'adapter aux conditions, au marché, etc. Mais les choses évoluent tellement vite que cela nécessite une capacité d'adaptation très importante. On peut combattre la hausse des températures avec l'irrigation, donc on cherche à savoir comment irriguer en fonction du terroir et en fonction des objectifs qu'on se fixe, afin d'utiliser de façon la plus efficiente possible la ressource en eau.

On peut aussi mettre en place des cépages plus résistants aux conditions extrêmes. Pendant longtemps, c'était une évidence d'utiliser du grenache, du syrah, du carignan, du mourvèdre. Désormais, on expérimente avec les cépages pour voir s'ils sont adaptés aux nouvelles conditions climatiques en faisant des essais sur une très petite partie de notre exploitation. Ici, dans le Vaucluse, nous avons la chance d'avoir des cépages historiques, la counoise notamment, qui peuvent donner des choses intéressantes.

On travaille avec l'Institut rhodanien sur des sélections de levures qui produisent moins d'alcool pour pallier l'augmentation du taux de sucre, due à la chaleur. On étudie aussi ce que pourrait apporter l'agroforesterie dans le vignoble. En plantant d'autres espèces, on crée des zones de microclimat qui permettent d'apporter un peu d'ombre et de fraîcheur [au vignoble]."

"Les motifs de consultation changent pendant les périodes de canicule"

Alicia, médecin généraliste en Isère, milite pour que les futurs médecins soient formés aux impacts sur la santé du réchauffement climatique.  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Alicia, 37 ans, médecin généraliste à Heyrieux (Isère). "Je me suis intéressée aux questions environnementales d'un point de vue scientifique et, bien sûr, en tant que professionnelle de santé. Je me dis que, si on parvenait à enrayer le réchauffement climatique, on éviterait beaucoup de situations difficiles. En période de canicule, prendre en charge une personne âgée qui se déshydrate, dont l'état général se dégrade fortement, n'est pas simple. C'est dur de voir des personnes en souffrance pendant des événements que l'on a déjà vécus, que l'on vit et dont on sait qu'ils vont se répéter et s'aggraver si les politiques n'agissent pas.

On observe pourtant déjà les effets du réchauffement climatique, notamment pendant les périodes de canicule, où les motifs de consultation changent : on voit des aggravations soudaines de maladies chroniques, en particulier les insuffisances cardiaques ou respiratoires ; les personnes diabétiques décompensent aussi avec parfois des hospitalisations ou des ajustements de traitement. Certaines personnes âgées voient leur état général s'altérer : elles s'alimentent moins, sont très fatiguées, restent allongées ; le risque de chute ou de déshydratation augmente. Alors, on anticipe. Quand on sait qu'une canicule arrive, on peut alléger [les dosages de] certains médicaments. Dans la population générale, on voit beaucoup de grosses insomnies et de troubles anxieux. Enfin, chez toutes les personnes particulièrement exposées, qui travaillent en extérieur, il y a un risque de malaise.

Avec la pollution de l'air, les allergies explosent. Or, pollution de l'air et réchauffement climatique sont imbriqués, puisqu'il y a des pics de pollution aux particules fines en période de forte chaleur. C'est là que l'on voit le plus de problèmes respiratoires, l'asthme notamment, en particulier chez les enfants. Depuis deux ou trois ans, les jeunes, eux, sont de plus en plus nombreux à présenter des signes d'écoanxiété. Mes confrères et consœurs plus âgés nous le disent : cela n'existait pas avant, ou alors vraiment à la marge."

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