Grand entretien COP28 : "Il faut une mention de la sortie des énergies fossiles", défend l'ambassadeur pour le climat de la France

Article rédigé par Camille Adaoust, Marie-Adélaïde Scigacz - propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
L'ambassadeur climat de la France, Stéphane Crouzat, assiste aux négociations onusiennes à New York, le 20 septembre 2023. (BRYAN R. SMITH / AFP)
La COP28 se tient à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre. Stéphane Crouzat, ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique, détaille la feuille de route de la France.

C'est le haut lieu de discussions sur les politiques climatiques mondiales. Du 30 novembre au 12 décembre, la France envoie une cinquantaine de négociateurs à la COP28 de Dubaï (Emirats arabes unis). Parmi eux, Stéphane Crouzat, ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique, pour les énergies renouvelables et la prévention des risques climatiques. "Pour faire plus simple, c'est 'ambassadeur pour le climat', ça suffira", reprend-il en souriant.

Depuis son bureau d'une annexe du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, vue sur la tour Eiffel, ou dans les allées de la pré-COP à Abou Dhabi fin octobre, il a préparé la 28e conférence sur les changements climatiques (ou COP28) et dessiné, avec son équipe interministérielle, la position de la France dans ces échanges. "Le Giec nous a dit qu'il fallait un pic des émissions [avant la baisse attendue] entre 2020 et 2025 si on voulait rester dans la trajectoire de 1,5°C de réchauffement. Et on souhaite ne pas aller au-delà", expose-t-il. Entre trois acronymes – COP, PPCA, Agnu... – dont il est le spécialiste, il a expliqué à franceinfo les positions qu'allait tenter de tenir Paris dans les négociations. 

Franceinfo : Quel rôle va jouer la France dans cette COP ?

Stéphane Crouzat : Dans les COP, l'Union européenne ne parle que d'une seule voix, puisqu'on ne fait valoir qu'une seule politique climatique dans le cadre des COP. On aime croire et dire – avec raison – que l'Union européenne fait partie des leaders de la cause climatique. C'est-à-dire qu'on est, parmi les pays développés, ceux qui ont une des trajectoires de réduction des émissions les plus robustes : moins 55% d'ici 2030 et la neutralité climatique d'ici 2050. Sur le plan financier, on fait beaucoup aussi. A l'échelle européenne, on estime qu'on est au rendez-vous de la promesse qui avait été faite [en 2009, par les pays développés, pour financer la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement] sur les 100 milliards par an, puisqu'on est à 27 milliards de dollars en 2020. On pense donc qu'on est vraiment à la pointe de l'ambition sur ces questions. 

Différents jugements ou rapports établissent toutefois que la France n'est pas en accord avec ses objectifs climatiques. Ces condamnations mettent-elles en difficulté l'exercice de négociation ?

Oui, on est sous le coup de procédures. Tant mieux d'une certaine façon, parce que ça nous mobilise tous pour agir davantage et mieux. La France fait autant que possible et on essaie justement d'atteindre ces objectifs. On a quand même des résultats très nets : on a réduit notre consommation énergétique de 12% simplement avec le concept de sobriété, ce qui est remarquable, et nos émissions diminuent de 4% cette année et de 2,7% l'année dernière. On est donc sur une tendance de respect de nos objectifs. Et à l'échelle européenne, pertinente dans les négociations de la COP, notre paquet très fort "fit for 55" nous donne une trajectoire très claire, une feuille de route très robuste.

La COP28 sera l'occasion de faire un premier bilan de l'accord de Paris. Quel sera-t-il, d'après vous ? 

Malheureusement, on est tous d'accord sur le fait qu'on n'est pas du tout là où on devrait être. Ce qu'on veut, lors de cette COP, c'est informer les parties sur ce qu'il faut faire, le plus vite possible. Cette décennie est critique : il nous reste vraiment une fenêtre d'opportunité qui se réduit de jour en jour pour rester à 1,5°C de réchauffement. Avec l'Union européenne et beaucoup de pays très ambitieux dans la volonté de réduire les émissions mondiales, nous disons qu'il faut absolument un pic d'émissions [avant la baisse attendue] avant 2025. Le Giec nous l'a dit, il faut ce pic entre 2020 et 2025 si on veut rester dans la trajectoire de 1,5°C. Et on souhaite ne pas aller au-delà.

Après le bilan de l'action passée viennent les perspectives d'actions futures. Cette COP pourrait être celle qui traitera de la sortie des énergies fossiles. Que souhaitez-vous voir apparaître exactement dans l'accord final ? 

Il faut une mention de la sortie des énergies fossiles. Est-ce qu'on aura du "unabated fossil fuels", c'est-à-dire une sortie des énergies fossiles sans dispositif de capture de carbone ? Est-ce qu'on va avoir du "phase down" [une baisse progressive] ? Est-ce qu'on parlera uniquement des émissions ? Les Saoudiens et les Emirats, par exemple, disent : "Ecoutez, ce n'est pas la source qui importe, ce sont les émissions." Si c'est le cas, ça mettra sur la table la question du stockage de carbone, de toutes sortes de technologies qui pourraient permettre de continuer à utiliser les énergies fossiles tout en réduisant les émissions. Nous, ce qu'on défend, c'est clairement un message de sortie des énergies fossiles. "Unabated" probablement, puisque c'est la position qu'a mise en avant le Conseil environnement de l'UE le 16 octobre dernier. 

En effet, le captage et le stockage du carbone (CCS) promettent d'être un sujet très débattu. Comment la France et, plus largement, l'Union européenne voient-elles cette solution, indispensable mais loin d'être suffisante, selon le Giec ?

Les pays du Golfe sont extrêmement intéressés par le sujet. Pour nous, bien sûr que le CCS est important, mais pas pour continuer à utiliser le pétrole et le gaz comme si de rien n'était. On n'y arrivera jamais. Ça pourra servir pour ce qu'on appelle les émissions résiduelles : des consommations très énergivores, des industries qu'on n'arrivera pas à électrifier, par exemple. Mais on veut que ce soit très, très ciblé et résiduel.

Lors des discussions, on dira aussi que c'est une solution immature. On ne peut pas se fonder sur ces solutions technologiques. Il faut d'abord travailler à réduire la source. Alors on verra comment on atterrit dans l'accord final... Parce que c'est ce qui fait l'incroyable complexité de ces négociations : comme on n'a jamais réussi à s'entendre sur les modalités de vote, il faut qu'il y ait consensus, c'est-à-dire que tout le monde ne soit pas suffisamment opposé pour bloquer formellement quelque chose. 

Lors de précédentes COP, des accords annexes entre des groupes de pays se signaient en marge des négociations officielles. La France prévoit-elle de porter des projets similaires à Dubaï ?  

En effet, il y a tout ce qui est négocié par les parties dans le cadre de la Convention et de l'accord de Paris, mais il y a aussi toutes les initiatives diverses et variées. C'est très important aussi. Nous, par exemple, on veut lancer un "Buildings breakthrough" [une percée sur le bâtiment]. Ce secteur représente le tiers des émissions mondiales et il y a de plus en plus de bâtiments construits avec la croissance démographique, donc il est nécessaire d'avoir des bâtiments durables. On veut lancer cette initiative pour faire en sorte que tous les pays coopèrent.

Le président de la République portera aussi le sujet du charbon. C'est la plus polluante des énergies fossiles et le nombre de centrales va continuer d'augmenter : il y a 500 gigawatts dans les tuyaux [en comparaison, les centrales mondiales actuelles ont une capacité de production de 1 980 gigawatts, selon le rapport annuel du Global Energy Monitor]. Il faut qu'on essaye de mobiliser encore davantage la communauté internationale sur l'arrêt du charbon.

Par ailleurs, les Emirats sont très soucieux d'avoir des engagements quoi qu'il arrive à la COP, quel que soit le résultat des négociations. Il y aura donc plusieurs initiatives lancées par le pays hôte. Après, on leur dit que c'est très bien qu'il y ait ces "pledges" [engagements annexes]. Par exemple, sur le triplement de la capacité des énergies renouvelables d'ici 2030 et le doublement du taux d'efficacité énergétique. Mais on leur dit aussi que ce serait encore mieux que tout cela fasse partie de la décision finale de la COP.

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