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COP27 : que vont devenir les États et les populations voués à être engloutis par les eaux ?

Article rédigé par Ariane Schwab
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le projet Oceanix City pourrait accueillir 10 000 habitants. (OCEANIX / BIG - BJARKE INGELS GROUP)

D’ici la fin de ce siècle, quelque 600 000 personnes vont se retrouver "réfugiés climatiques apatrides" et des centaines de millions d'autres SDF, en raison de l’élévation du niveau des eaux. Sans habitat ou sans pays, quel avenir les attend ? Le sinistre compte à rebours est lancé alors que les chefs d'État sont réunis en Égypte pour la COP27, toujours à la recherche de solutions pour lutter contre le réchauffement climatique.

À cause du réchauffement climatique, les océans vont gagner près d'un mètre supplémentaire autour des îles du Pacifique et de l'océan Indien d'ici la fin du siècle, selon les projections des scientifiques. Si cela reste certes en-dessous du point culminant des petits États insulaires les plus plats, la multiplication des tempêtes et des vagues-submersions aura toutefois raison des îles et atolls, les rendant inhabitables. Qu’adviendra-il alors des États et des populations qu’ils abritent ? De colloques en conférences internationales, les cris d'alarme se succèdent et la COP27 en Égypte est à nouveau l'occasion pour ces petits pays insulaires de plaider leur cause.

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Hormis le mythe platonicien de l’Atlantide, cette île mythique de la taille d’un continent qui aurait brutalement sombré au-delà de Gibraltar quelque neuf millénaires avant J.C., la situation est inédite. Des États ont certes déjà disparu au cours de l'Histoire, absorbés ou divisés par les guerres, mais aucun n’a encore été totalement rayé de la carte par une catastrophe naturelle. Pourtant, ce sinistre scénario semble inévitable pour au moins cinq États insulaires d’ici la fin du siècle, selon les experts qui étudient les effets du réchauffement climatique.

Un pays rayé de la carte par la nature, un cas d'école

Le niveau moyen des mers et des océans a augmenté d’environ 23 cm depuis 1880 mais leur hausse s’est fortement accélérée ces 25 dernières années. D’après la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), d’ici à 2050, il aura gagné 30 cm de plus et 77 cm d’ici 2100, selon le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). Combiné aux catastrophes naturelles qui vont se multiplier, les îles vont devenir inhabitables avant d’être avalées. Sont ainsi condamnées, selon le Giec, les Maldives (océan Indien), Kiribati et Tuvalu (Polynésie), les îles Marshall et Nauru (Océanie).

Selon la Convention de Montevideo sur les droits et les devoirs des États de 1933, un État souverain est constitué d'un territoire défini, d'une population permanente, d'un gouvernement et de la capacité à interagir avec d'autres États. Quid du statut d'Etat quand le territoire disparaît ? Que reste-t-il aux yeux de la communauté internationale à ces Etats sans terres pour continuer à exister ?

Pour anticiper ce scénario catastrophe, la  "plus grande tragédie qu'un peuple, qu'un pays, qu'une nation puisse affronter", selon les termes de l'ancien président des Maldives Mohamed Nasheed, plusieurs gouvernements du Pacifique ont lancé en septembre l'initiative Rising Nations. L'idée : "Convaincre les membres de l'ONU de reconnaître notre nation, même si nous sommes submergés par les eaux, parce que c'est notre identité", a déclaré le Premier ministre des Tuvalu Kausea Natano. Un "droit à une existence permanente" pour les petits États insulaires, défendu dès 2015 lors de la COP21 à Paris. 

Comment fonctionneraient ces États-Nations 2.0 ? On pourrait avoir le territoire quelque part, la population ailleurs et le gouvernement à un troisième endroit, suggère Kamal Amakrane, directeur du Centre pour la mobilité climatique à l'Université Columbia. Cela nécessiterait d'abord une "déclaration politique" de l'ONU, puis un "traité" entre l'État menacé et un État dit  " hôte", prêt à accueillir le gouvernement en exil dans une sorte d'ambassade permanente. Sa population aurait alors une double nationalité. Le processus politique doit être lancé  "dès que possible" pour préserver les futurs États inhabitables, appelle  Kamal Amakrane.

L'an dernier, lors de la COP26, le ministre de Affaires étrangères de l’archipel des Tuvalu, Simon Kofe, avait enregistré une déclaration les pieds dans l'eau pour marquer les esprits. Cette année, lors d'une conférence de presse en septembre, il a évoqué l’idée d’un "jumeau numérique"  hébergé dans le métavers pour permettre à l'archipel de maintenir son statut d'État.

Petite subtilité tout de même : la Convention de Montevideo ne précise pas si, quand on parle de territoire, c’est de la terre ferme ou aussi du territoire maritime qu’il est question. Or, pour la République insulaire de Kiribati, par exemple, le détail est loin d’être anodin. Minuscule en termes de surface terrestre, elle possède en revanche l'une des zones économiques exclusives (ZEE) les plus grandes au monde avec ses 33 îles éparpillées sur 3,5 millions de km2 dans le Pacifique, ce qui rendrait sa disparition compliquée. Les membres du Forum des îles du Pacifique, dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande, s’en sont déjà inquiétés. Ils ont proclamé dans une déclaration d'août 2021 que leurs zones maritimes "continueraient à s'appliquer, sans réduction, nonobstant tout changement physique lié à la hausse du niveau de la mer".

Des villes flottantes autonomes pour accueillir les populations ?

Selon les projections du Giec, ce sont des millions de personnes qui risquent de perdre leur lieu de vie, voire donc aussi leur pays et leur identité pour quelque 600 000 futurs "réfugiés climatiques apatrides". Les États littoraux se sont tous lancés dans des travaux d'aménagements pour tenter de contenir les eaux. En marge de la COP27, l'archipel des Tuvalu a rappelé lundi 7 novembre travailler à un plan avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) : "Te Lafiga o Tuvalu" (le refuge de Tuvalu). Pour l'heure, il ne s'agit que de modélisation mais le plan est ambitieux, prévoyant une élévation des sols de la capitale sur 3,6 kilomètres carrés et une relocalisation des habitants et des infrastructures stratégiques comme les hôpitaux ou les écoles .

Mais ces aménagements ne feront sans doute que retarder le pire. D'après le rapport de l'Organisation météorologique mondiale publié le 6 novembre, l a fonte des glaciers est spectaculaire. La Suisse a par exemple perdu 6% de glace entre 2021 et 2022 et globalement, les glaciers alpins ont perdu entre trois et quatre mètres d'épaisseur en 2022. 

En 1995, le film  Waterworld  avec Kevin Costner projetait un tel monde, transformé en immense océan. Pour survivre, les humains avaient bâti avec les débris de l’ancien monde des villes flottantes.  "Les humains sont ingénieux, ils trouveront des moyens flottants pour continuer à vivre là", assure l'ancien président des Maldives, Mohamed Nasheed, évoquant des villes flottantes. 

Vivre sur l'eau ? Le concept suit son chemin malgré quelques doutes sur sa viabilité. Et justement, aux Maldives, le gouvernement va mener une expérience pilote : en janvier sera lancé le chantier de Maldives Flotting City (MFC), une ville flottante composée d’un assemblage de plateformes proposant au total 5 000 maisons pouvant accueillir quelque 20 000 personnes et vendues autour de 250 000 euros l’unité, 150 000 euros pour un appartement [selon les données de la Banque mondiale, le salaire mensuel moyen aux Maldives en 2019 s'élevait à 806 dollars contre 906 dollars en moyenne dans le reste du monde]. 

L’installation prendra place à l’intérieur d’un lagon de 200 hectares protégé des vagues par une barrière de corail, à 10 minutes de bateau de la capitale Malé. Conçu par les architectes néerlandais de Waterstudio et réalisé par l’entreprise Dutch Docklands, le projet a concouru en mars dernier au salon mondial de l'immobilier (Mipim) à Cannes (Alpes-Maritimes). "Pas un luxe mais une nécessité", a insisté auprès de l’AFP Paul van de Camp, le promoteur du projet, alors que 80% du territoire est à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer. Le président maldivien estime que ce projet pourrait être achevé d’ici 2027.

Un autre projet a été dévoilé le 26 avril 2022 au siège des Nations Unies, celui d’une ville flottante durable dont le prototype sera testé dans la ville portuaire de Busan (Corée du Sud). Cette Atlantide 2.0 imaginée par l’architecte danois Bjarke Ingels et la start-up Oceanix a été baptisée Oceanix City. Livrable en 2025, elle relève plusieurs défis : être durable et autosuffisante.

L’Oceanix City de Busan sera composée de six plateformes hexagonales modulables de deux hectares pouvant accueillir chacune 300 personnes. Extensible, la ville pourra abriter jusqu’à 100 000 personnes, selon l’architecte. Chaque "quartier" a un rôle assigné, nourriture, habitat, recherche etc. dans le but d’une parfaite autonomie. Jardins et serres sont prévus pour cultiver les fruits et légumes ainsi que des fermes sous-marines… toute la nourriture est produite sur place. Un matériau durable, le biorock, sera utilisé pour la construction. On s’en sert déjà pour réparer les dommages causés aux récifs coralliens car non seulement il absorbe les minéraux de l'eau de mer pour fabriquer naturellement un revêtement de calcaire plus résistant que le béton classique, mais il est également autosuffisant et se répare seul au fil du temps. L’eau sera récupérée de la pluie ou de la mer, désalinisée, recyclée en circuit fermé, l’énergie sera fournie par des panneaux solaires, des mini-éoliennes et des bouées flottantes, chargées de convertir l’énergie des vagues en électricité. Côté mobilité, seuls les vélos, drones et véhicules 100% propres seront autorisés. Enfin les déchets seront automatiquement collectés et acheminés pour retraitement via des réseaux de tuyaux. Coût estimé : près de 630 millions d'euros. Ces villes "ne sont pas consommatrices de ressources, mais au contraire, permettent de régénérer l’Océan", affirme Marc Collins Chen, co-fondateur et PDG d’Oceanix.

En obtenant le soutien d'ONU-Habitat, le Programme des Nations unies pour les établissements humains, Marc Collins Chen veut s'assurer que son projet ne sera pas phagocyté par les promoteurs immobiliers. "Il est impossible que cette initiative se transforme en un scénario dans lequel les riches regardent les pauvres suffoquer sur la plage", insiste-t-il.

La question du financement des "pertes et préjudices" causés par les impacts du réchauffement est l'un des point brûlants de la COP27 en Égypte car les États les plus menacés n'ont pas les ressources pour financer seuls des solutions comme les villes-flottantes. Ils réclament donc le soutien financier des pays riches, responsables du réchauffement climatique. La menace des eaux ne pèse pas seulement sur quelques États insulaires. La vie de près de 1,4 milliard de personnes vivant sur les littoraux est menacée. Plus de 280 millions de personnes risquent de devenir des "réfugiés climatiques". En France, c'est près d'un demi-million de personnes qui seront sans doute contraintes d’abandonner leur lieu de vie, principalement en Nouvelle-Aquitaine et dans les Hauts-de-France.

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