Les maires écologistes peuvent-ils s'opposer au déploiement de la 5G dans leur commune ?
Plusieurs nouveaux maires écologistes souhaitent s'opposer au déploiement à venir du réseau 5G dans leur commune. Le principe de précaution semble un moyen d'action incertain. En revanche, le non-respect du Plan local d'urbanisme ou l'atteinte aux paysages naturels et urbains peuvent être invoqués par les élus.
La "vague verte" menace-t-elle le déploiement de la 5G ? Alors que plusieurs grandes villes (Lyon, Bordeaux, Strasbourg ou encore Besançon) vont être dirigées par des nouveaux maires étiquetés Europe Ecologie Les Verts (EELV), leur programme interroge, notamment autour de cette technologie de communication.
La 5G devrait supplanter l'actuelle 4G d'ici à 2023 pour permettre un bond technologique, avec de nouvelles (très hautes) fréquences et davantage d'antennes, en offrant aux utilisateurs des délais de transmission bien plus réduits sur internet : une "ultra connectivité", revendique (PDF) l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). L'ouverture commerciale est attendue pour la fin 2020, une fois que le gouvernement aura donné son aval.
Mais les nouveaux maires écologistes ne sont pas tous enthousiastes à l'idée de voir des antennes-relais pour la 5G dans leur commune. "Je trouve totalement inadmissible qu'on puisse imposer la 5G", s'est emporté sur RTL le nouveau maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, qui souhaite impulser "un vrai débat" face aux "dangers de la 5G". "Je pense qu'il faut mettre cette discussion sur la table et que les Bordelaises et les Bordelais n'apprennent pas du jour au lendemain que leur territoire est couvert par la 5G."Un raisonnement que partage la nouvelle maire de Besançon Anne Vignot, interrogée par France 3 Bourgogne Franche-Comté.
"Le déploiement de la 5G à Besançon, aujourd'hui, est remis en cause" dans la mesure où "on ne connaît pas encore les risques que l'on pourrait encourir", a déclaré l'écologiste. L'élue compte invoquer le "principe de précaution parce qu'on avance très souvent sur la technologie sans savoir ce qu'on fait", soutient-elle.
Le secrétaire national d'EELV, Julien Bayou, soutient ces positions, lui qui souhaite également un moratoire sur la question de cette évolution technologique, ainsi qu'il l'a expliqué sur France Inter mercredi 1er juillet. Est-il cependant possible pour les maires, à leur échelle, de s'opposer au déploiement de la 5G dans leur commune ?
Les maires jugés incompétents par le Conseil d'Etat
D'après trois décisions du Conseil d'Etat prises en octobre 2011, cela est impossible. Tout d'abord, l'institution juge que "pour réglementer de façon générale l'implantation des antennes-relais de téléphonie mobile", "seules les autorités de l'Etat désignées par la loi" sont compétentes, à savoir aujourd'hui le secrétaire d'Etat chargé du Numérique, Cédric O, l'Arcep, ainsi que l'Agence nationale des fréquences (ANFR). Cette triade est également jugée responsable des "mesures de protection du public contre les effets des ondes" émises par les antennes-relais.
En 2011, ces décisions étaient rendues à la suite de trois arrêtés municipaux pour réglementer l'implantation d'antennes de téléphonie mobile. Le Conseil d'Etat a ainsi précisé les contours du pouvoir des maires : "Un maire ne saurait donc réglementer par arrêté l'implantation des antennes-relais sur le territoire de sa commune, sur le fondement de son pouvoir de police générale", a jugé l'institution. L'édile peut cependant être "informé, à sa demande, de l'état des installations radioélectriques exploitées sur le territoire de sa commune".
Le principe de précaution mobilisable ?
Impossible, en théorie, de s'opposer au déploiement des antennes-relais. Mais est-il possible de recourir au "principe de précaution", inscrit dans la Constution à travers la Charte de l'environnement, comme le souhaite la nouvelle maire de Besançon Anne Vignot ?
Il n'est pas mobilisable pour ce qui concerne les réseaux 3G et 4G car "en l'état des connaissances scientifiques", le Conseil d'Etat a jugé en 2012 que l'"exposition aux champs électromagnétiques émis par les antennes-relais" ne présentait aucun élément circonstancié établissant "un risque" pour le public. Un an plus tôt, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) avait jugé (PDF) qu'il n'existait "aucune preuve expérimentale solide" qui permettait d'établir "un lien de causalité entre l'exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes" décrits par les personnes se présentant comme électrohypersensibles. L'Académie nationale de médecine est allée dans le même sens en 2014, expliquant que "nous ne disposons physiologiquement d'aucun système sensoriel sensible à ces ondes".
Toutefois, pour l'avocat spécialisé en droit de l'environnement David Deharbe, "le principe de précaution reste certainement utilisable. [...] La 5G va être un renouvellement [...] C'est une technologie dont on n'a pas encore la preuve qu'elle n'est pas dangereuse." Et dont on n'a pas la preuve, non plus, qu'elle est dangereuse...
Car voilà le problème : il y a "un manque important, voire une absence de données" sur les effets biologiques et sanitaires potentiels de la 5G, souligne l'Anses. En septembre 2017, déjà, plus de 170 scientifiques internationaux ont, dans un appel (PDF), "recommandé un moratoire sur le déploiement de la 5e génération" afin que des scientifiques indépendants puissent étudier les dangers potentiels de la technologie sur la santé et l'environnement.
L'Organisation mondiale de la santé semble moins inquiète, si l'on en croit un texte publié en février dernier sur son site internet (en anglais), qui affirme qu'"à ce jour, et après de nombreuses recherches, aucun effet néfaste sur la santé n'a été mis en lien avec l'exposition aux technologies sans fil".
Tant que l'exposition générale reste en dessous des recommandations internationales, aucune conséquence pour la santé publique n'est attendue.
L'Organisation mondiale de la santé
Face aux critiques, le gouvernement a réagi fin juin 2020, au sortir de la Convention citoyenne pour le climat, en lançant une mission qui travaillera tout l'été pour évaluer les risques sanitaires et écologiques, révèle Le Parisien. Par ailleurs, les ministres de la Santé et de l'Environnement ont écrit au Premier ministre pour lui demander d'attendre les résultats d'une évaluation de l'Anses (annoncés pour la fin du premier trimestre 2021) avant d'autoriser le déploiement de la 5G, indique le JDD.
De son côté, Me David Deharbe identifie un canal d'action possible pour les maires et les associations anti-5G : l'expertise judiciaire, ordonnée avant un procès ou pendant une procédure. "L'avantage, c'est qu'on aura un débat devant le juge avec des arguments, un temps où l'on [pourra] discuter des différentes études. Mais faut-il encore que tout le monde ait intérêt à le faire", nuance l'avocat.
De maigres moyens de lutte contre la 5G pour les maires
Plusieurs moyens, déjà éprouvés par la 3G et la 4G, sont à la disposition des maires qui souhaitent contrer le déploiement d'antennes-relais. Ils peuvent prendre des arrêtés d'opposition après le dépôt de la déclaration de travaux effectué par les opérateurs, dans un délai d'un mois. "Mais dans ce cas-là, les opérateurs attaquent devant le tribunal administratif s'ils considèrent que le motif invoqué n'est pas valable", tempère David Deharbe. Tel que l'a affirmé le Conseil d'Etat, la seule construction d'antennes-relais ne peut constituer une raison suffisante.
Autre voie de recours possible : s'il existe un Plan local d'urbanisme (PLU) dans la commune, le projet d'antenne-relais se doit de le respecter, notamment en ce qui concerne la hauteur des installations ou la nature de certains espaces comme les zones naturelles ou agricoles. Dans le cas contraire, le maire peut faire appel au juge administratif pour trancher.
Enfin, le Code de l'urbanisme protège les paysages naturels et urbains ainsi que les monuments. Les maires peuvent donc contester l'installation d'antennes à proximité de sites classés. "C'est d'autant plus facile s'il existe des éléments de protection de ce paysage remarquable comme des monuments historiques. Et on peut agir même s'il n'y a pas de PLU", note David Deharbe. Une voie qui a été utilisée dans la commune de Saméon (Nord), où le juge des référés du tribunal administratif de Lille a reconnu qu'un projet d'antenne était "de nature à porter atteinte à son environnement par son volume et sa localisation".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.