#AlertePollution : des taux de métaux lourds "néfastes pour la santé" détectés dans la terre du parc floral de Paris
Inquiet pour la santé des employés et des enfants qui viennent y jouer chaque jour, un jardinier du parc floral de Paris a alerté franceinfo sur la plateforme #AlertePollution.
"Des milliers de petites mains ont gratté la terre et y ont peut-être rencontré des produits chimiques." Pierre* est jardinier au parc floral de Paris depuis une quinzaine d'années. Inquiet d'entendre des rumeurs sur une possible pollution des sols aux métaux lourds, il a contacté franceinfo à travers l'opération #AlertePollution. "Des analyses de sol pour des travaux d'aménagement récents ont mis en évidence des taux très importants de plomb, zinc et mercure dans le sol autour de l'aire de jeux qui accueille des milliers d'enfants par an, révèle-t-il. On travaille dessus et on n'a pas eu plus d'informations que ça."
Contactée par franceinfo, la mairie de Paris, gérant de ce parc d'une trentaine d'hectares qui accueille chaquée année un million de visiteurs dans le 12e arrondissement, explique en effet avoir procédé à des analyses, début 2018, dans le cadre d'un "projet d'aménagement d'une parcelle de ce site en 'forêt jardin'". Le lieu devait accueillir des arbres fruitiers, des arbustes à baies et diverses plantes. "Même s’il n’était pas programmé que les fruits issus des plantations soient proposés à la consommation, les terres de cette parcelle ont fait l’objet d’un prélèvement de quatre échantillons adressés pour analyse au laboratoire d’agronomie de la Direction des espaces verts et de l’environnement de la Ville de Paris", détaille l'administration. Une procédure habituelle dans ce genre d'aménagement, mais qui a mis en évidence des substances inquiétantes.
Cuivre, plomb et mercure au-delà des limites
Les quatre échantillons ont été prélevés le 21 mars 2018 dans une zone boisée, bordée de bancs et située en face du Jardin insolite. Le secteur est particulièrement apprécié des familles : on y trouve, non loin, un parcours d'accrobranche, une aire de jeux et nombre de petits chemins.
Consultées par franceinfo, les analyses menées par la Ville de Paris dans cette zone ont détecté des taux de cuivre (171 parties par million), de plomb (162,3) et de mercure (1,24) au-delà des valeurs limites réglementaires imposées par l'arrêté du 8 janvier 1998. Elles ont aussi mis en évidence des taux de cadmium (0,75) et de zinc (250) supérieurs aux valeurs indicatives issues de la note de la Cellule interrégionale d’épidémiologie (Cire) en Ile-de-France du 3 juillet 2006, comme le montre la fiche de l'un des échantillons ci-dessous.
"Le personnel mange les légumes des potagers"
"Notre parc a les labels écologiques, mais en dessous il y a de la terre potentiellement dangereuse", s'agace Pierre. Le jardinier se dit aujourd'hui particulièrement inquiet pour sa santé et celle de ses collègues. Tomates, salades, courgettes… "Depuis des années, le personnel du parc mange les légumes des potagers", notamment lors de la pause déjeuner. "L'un de ces potagers est situé juste en face de la zone polluée, dans le Jardin insolite. Depuis qu'on a appris que le sol était pas terrible, on a changé nos techniques. On évite de planter en pleine terre", explique Pierre. Il raconte que les salariés ont même construit des petites buttes "avec de la bonne terre" pour faire pousser leurs légumes.
"Ces taux sont, en absolu, néfastes pour la santé", affirme Jean Lefèvre, médecin et porte-parole de l'Association santé environnement France (Asef), interrogé par franceinfo sur ces résultats. En cas d'"exposition chronique nécessitant un contact prolongé", le plomb est "cancérigène" et peut être nocif pour le système nerveux, le sang et les reins. Le cadmium est lui aussi cancérigène et comporte des risques de "toxicité rénale et osseuse". Enfin, le mercure est dangereux pour les reins et le système nerveux. Ces trois métaux sont également des "perturbateurs endocriniens", ajoute le médecin.
Les enfants particulièrement exposés
Plus alarmant, Jean Lefèvre souligne que les enfants sont "plus sensibles" à la présence de ces éléments. C'est pourquoi le laboratoire chargé des analyses précise dans son rapport de mars 2018 transmis à la mairie que "la présence éventuelle de jeunes enfants (< 6 ans) sur le site nécessiterait une évaluation quantitative des risques sanitaires." Interrogée sur ce point, la mairie n'a pas indiqué si ces analyses complémentaires étaient en cours.
Pour le porte-parole de l'Asef, "il semble évident que les enfants ne doivent pas jouer au niveau des zones polluées". Car, comme le précise Santé publique France, les plus petits sont largement exposés à la pollution des sols. Par l'ingestion de terre "lors de jeux à même le sol" ou à travers des "objets qu'ils portent à la bouche", mais aussi par "l'inhalation de poussières émises par les sols pollués".
De la terre saine déposée sur le site
D'où peuvent provenir les substances détectées ? Pierre avance une piste : "Le parc floral a été construit sur l'ancienne cartoucherie de Vincennes." Cette fabrique de petit matériel pour l’artillerie occupait, entre 1874 et 1945, un total de 22 hectares sur cette partie du bois de Vincennes. La cartoucherie s'étalait jusqu'à l'espace événements à l'ouest et jusqu'à la billetterie de l'espace jeux au nord.
Cette activité militaire a-t-elle pu laisser des traces ? "Il est difficile de savoir si la pollution des sols constatée est liée à cet ancien usage ou à la qualité des terres apportées sur le site au moment de l’aménagement du parc floral" à la fin des années 1960, répond la Ville de Paris à franceinfo. "Ces terres provenaient de l’ancienne ceinture maraîchère parisienne sur laquelle ont été épandues des eaux usées ou des boues, elles-mêmes contaminées il y a longtemps", explique la Ville.
Depuis, la ville met en œuvre un contrôle systématique de la qualité des terres utilisées dans les parcs et jardins, mais ce n’était pas le cas à l’époque de la création du parc floral.
Ville de Parisà franceinfo
De son côté, Pierre dénonce le manque d'information donnée aux visiteurs comme aux employés. "On l'a appris de bouche de jardinier à oreille de jardinier. Au début, c'est l'un de nos supérieurs qui l'a dit pendant une discussion. Il a parlé de 'terre pourrie' qu'il fallait changer. Puis on les a vus changer la terre. Mais il n'y a eu aucune réunion d'information", déplore-t-il.
A peine les résultats reçus, la mairie a toutefois décidé d'abandonner son projet de permaculture sur le site concerné. "Le sol en place a [également] été remodelé et recouvert d’un géotextile pour isoler les éléments de pollution", précise-t-elle à franceinfo. De la terre propre a été déposée "sur une épaisseur de 60 cm".
De quoi rassurer Jean Lefèvre, car l'essentiel est de ne pas être en contact avec ces sols chargés de métaux lourds. Il modère toutefois : "La mise en place d'un géotextile et d'une couche de terre saine avec couverture végétale peut être suffisante, sous réserve d’un entretien et d’une surveillance." Pierre, lui, n'est pas si serein. "Qui nous dit que 50 mètres plus loin, la terre est propre ? D'après moi, il n'y a pas eu d'analyse sur toutes les parcelles du jardin."
* Le prénom a été changé
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