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L'universitaire Marie-Orange Rivé-Lasan sur les tensions en Corée

La Corée du Nord a évoqué l’éventualité d’une «guerre thermo-nucléaire», alors que l’ONU estime qu’un «petit incident pourrait déclencher une situation incontrôlable». Y a-t-il risque d’un conflit ouvert, comme celui qui a ensanglanté la péninsule de 1950 à 1953 ? La réponse de Marie-Orange Rivé-Lasan, maître de conférences à la section d’études coréennes de l’université Paris-Diderot (Paris VII).
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des femmes soldats nord-coréennes lors d'un défilé militaire à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord, le 10 octobre 2010. (Reuters - Petar Kujundzic)
Le climat est actuellement très tendu entre Pyongyang et Séoul. Comment interpréter l’attitude de la Corée du Nord ?
Il y a d’abord une question de calendrier. Le 11 avril, c’est le premier anniversaire de l’intronisation de Kim Jong-un comme nouveau premier secrétaire du Parti du travail. Le 13, c’est sa prise de fonction à la tête de la Commission de défense nationale, plus haut organe de l’Etat. Et le 15 avril, c’est la date anniversaire du fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-sung. Pour le régime et son jeune chef, c’est donc une période symbole. Ils s’efforcent ainsi d’affirmer leur leadership pour des raisons de politique intérieure. En brandissant les menaces extérieures et la défense des intérêts du pays, ils mettent celui-ci en état d’alerte pour repousser toute contestation et montrer qu’ils se situent dans la continuité. Cela permet aussi de faire certaines purges.

Soldat sud-coréen à un poste de contrôle de la zone démilitarisée entre les deux Corées, le 3 avril 2013. (AFP - JUNG YEON-JE)

Pour Kim Jong-un, dirigeant de 30 ans sans expérience du pouvoir, il s’agit peut-être aussi d’un subterfuge face à certaines dissensions, notamment au sein de l’armée. Certains vieux généraux ont eu du mal à accepter sa nomination. L’un d’eux a d’ailleurs été démis l’été dernier. Avec une rhétorique guerrière, le nouveau leader affiche les réussites du régime en matière nucléaire et spatiale. Il remet l’armée au premier plan, il la remobilise. D’une certaine façon, il la recentre sur son activité militaire première. Car il ne faut pas oublier le poids des militaires dans l’économie. Ils gèrent de nombreuses entreprises : les généraux sont souvent des businessmen !
 
Il faut également tenir compte de l’attitude de la Corée du Sud avec l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle présidente, Park Geun-hye, partisane d’une ligne dure face à Pyongyang, dont la  propre mère a été assassinée par des agents du Nord. Ce qui, évidemment, ne présage pas d’une ouverture. Sous la présidence de Roh Moo-hyun (2003-2008), on avait assisté à un certain adoucissement entre les deux Corées. Mais par la suite, avec l’arrivée au pouvoir de Lee Myung-bak (2008-2013), tout s’est arrêté.

Tout cela explique pourquoi Kim Jung-un a besoin de remobiliser son opinion. Le lancement d’un satellite en décembre, le nouvel essai nucléaire de février ont été vécus en interne comme des succès. Les réactions internationales très vives qui ont suivi ont servi le régime : celui-ci a intérêt à ce qu’on parle de la Corée du Nord comme d’un Etat dangereux. En quelque sorte, cela répond à l’objectif qu’il s’était fixé en 2012, l’année du centenaire de la naissance de Kim Il-sung : celui de montrer l’image d’un pays «puissant» et «prospère».

Quand une vidéo nord-coréenne montre l'incendie d'une ville américaine

afpfr, 5-2-2013

Mais paradoxalement, la Corée du Nord vit aussi très mal ces sanctions. Car celles-ci l’empêchent de faire du commerce d’armes et d’acheter à l’extérieur les produits de luxe dont le pouvoir a besoin pour s’assurer la loyauté d’une classe aisée. Dans le même temps, Pyongyang aurait apprécié des félicitations pour ses réalisations nucléaire et spatiale au lieu d’essuyer des critiques.
 
Y a-t-il un vrai risque de dérapage ?
Je pense qu’il y a un écart entre la violence des propos et le réel calme de la situation actuelle. Pyongyang se contente de hausser le ton en affirmant son droit d’accéder au rang de puissance nucléaire et spatiale. Evidemment, un dérapage est toujours possible. Mais il faut voir que le tir de missile, en décembre dernier, a été quasiment annoncé. Et depuis la fin de la guerre, les Nord-Coréens ne sont jamais passés à l’acte sauf lors du bombardement de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong.

Comment la situation intérieure pourrait-elle évoluer dans le pays ?
Il y a des éléments contradictoires. D’un côté, on assiste à une stratégie de la tension. De l’autre, il convient d’être attentif à certains signes de détente. Ainsi, lors de ses vœux de Nouvel an, en janvier 2013, Kim Jong-un a parlé de «paix».

De plus, il a nommé comme Premier ministre Pak Pong-ju qui avait déjà exercé cette fonction de 2003 à 2007. Celui-ci avait initié des réformes économiques, notamment la mise en place de marchés privés, avant d’être limogé. Après son départ, il y avait eu une reprise en main en 2009 avec une réforme monétaire qui avait vivement mécontenté la population.

Avec son retour, on assiste peut-être ainsi à la reprise de l’ouverture économique et au début d’une période plus pacifique. Certes, le complexe industriel de Kaesong, où travaillent 53.000 Nord-Coréens, a été fermé. Mais il peut être rouvert.
 
Ce pays a le potentiel pour se développer économiquement, sans aide extérieure. Le problème reste de convaincre la vieille garde et de remettre en cause ses privilèges. Ce qui explique que quand cela peut coincer, on entende un discours belliqueux. 

La Corée, une péninsule coupée en deux
afpfr, 10 avril 2013

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