: Reportage "On ne voulait pas laisser notre patrie et les tombes de nos proches" : en Arménie, les premiers réfugiés venus du Haut-Karabakh racontent l'enfer de leur fuite
Un ballet ininterrompu de bus emmène les familles dans le centre d’accueil de Goris. La Croix-Rouge leur donne quelques vivres, une fillette se précipite sur les bonbons. "Il faut l’excuser, dit sa mère. Cela fait 10 mois qu’elle n’en a pas vu." Ils font partie du premier groupe de réfugiés du Haut-Karabakh, qui est entré dimanche 24 septembre en Arménie, en empruntant le corridor de Latchin. Près de 400 personnes ont pu fuir l'enclave.
Des véhicules privés, mais aussi des bus affrétés par le gouvernement arménien ont récupéré à la frontière des femmes, des enfants et des personnes âgées qui avaient trouvé refuge dans l'aéroport de Stepanakert lors de l'attaque de l'armée azerbaïdjanaise mardi 19 septembre. Ils ont été emmenés à Goris, la première grande ville après la frontière.
Et tous racontent la même histoire, la fuite dès l’attaque des Azerbaïdjanais. "On est sortis sous les tirs d'artillerie", narre ainsi Boris, 81 ans, en s'appuyant sur une béquille en bois. Il vient du village de Khanabat. "On est sortis sous les tirs d’artillerie. C’est vrai qu’ils n'étaient pas entrés dans le village, mais ils étaient sur les hauteurs et ils tiraient. Les roquettes passaient au-dessus de nos têtes. Si on n’était pas sortis du village, on serait tous morts."
"Le maire nous a annoncé qu’on avait capitulé, que nos armées se retiraient et que chacun devait sauver sa tête."
Boris, 81 ans, venu du village de Khanabatà franceinfo
Angela, elle, servait justement dans l’armée. "On a rendu les armes, on a brûlé les grosses pièces d’artillerie. On a rendu les munitions, les casques. J’ai été obligée d'enlever mon uniforme. Et ce sont des inconnus qui m’ont donné ces vêtements, dit-elle en désignant son pantalon de survêtement rouge. ils nous ont dit de tout laisser, pas de couteau, pas de ciseaux. Même les ciseaux à ongles, j’ai dû les jeter. Et je suis passée."
À l'aéroport, "deux pains et deux boîtes de conserve" pour six
Angela raconte surtout l’attente à l’aéroport. "C’était horrible", confie la soldate. "Pendant plusieurs jours, des nouveaux-nés étaient à même le sol, aucun toit, ni tente sur nos têtes. Pour six personnes, on avait deux pains par jour et deux boîtes de conserve pour se nourrir."
Svletana, elle, a fui le village d'Haterk. Elle y tenait la pharmacie. Elle porte une veste élégante, et serre son sac à main. C’est tout ce qu’elle a pu emporter. "Ils ont lancé un missile Grad, les drones tournaient, on tremblait. On cherchait à sortir en passant sous les arbustes pour s’abriter."
"On n’a rien pu prendre. Rien. Pas un souvenir, pas une photo pour montrer à nos petits-enfants notre lieu de naissance, notre patrie."
Svletana, qui a fui le village d'Haterkà franceinfo
"On ne voulait pas partir, laisser notre patrie, les tombes de nos proches", ajoute Svletana. Elle pleure en parlant de sa maison, de son jardin dont elle prenait soin. "Nous avons vécu tellement de guerres. Et maintenant, nous voilà sur les routes comme des misérables. Personne ne peut comprendre s’il ne l’a pas vécu."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.