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Chypre : prélever l'argent des épargnants pour sauver le pays, une fausse bonne idée ?

La taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires annoncée comme partie intégrante du plan de sauvetage de l'île est inédite. Certains tirent la sonnette d'alarme sur la crise de confiance qu'elle pourrait provoquer. Francetv info liste les pour et les contre.

Article rédigé par Marion Solletty
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Devant une agence bancaire de Limassol (Chypre), le 16 mars 2013. (PAVLOS VRIONIDES / AP / SIPA)

C'est une première qui fait du bruit : le plan de sauvetage de Chypre approuvé samedi 16 mars par le FMI et la zone euro inclut une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires, prélevée directement sur les comptes des épargnants. 

Elle sera de 6,75% pour les dépôts de moins de 100 000 euros et de 9,9% au delà de ce seuil, et devrait permettre de dégager 5,8 milliards d'euros. Ajoutée à un prêt de 10 milliars d'euros du FMI et de la zone euro, cette somme permettra de recapitaliser les deux principales banques du pays, en difficulté, et de maintenir l'Etat chypriote à flot.

Chypre est le cinquième pays de la zone euro à faire l'objet d'un plan de sauvetage, mais le seul à se voir imposer cette mesure radicale. Certains économistes tirent la sonnette d'alarme sur les implications possibles de ce remède de cheval. Pourquoi les autorités européennes ont-elles choisi cette voie ? Quels risques présente-elle ? Francetv info liste les pour et les contre.

Pourquoi l'UE et le FMI défendent cette mesure

Les explications données par les dirigeants du FMI et de l'UE dans les heures suivant l'annonce du plan permettent d'éclairer un peu le choix du prélèvement direct sur les dépôts. Deux arguments dominent, l'un pragmatique, l'autre politique et économique.

Un prêt intégral serait trop lourd pour l'Etat. Premier élément mis en avant, financer l'ensemble des besoins par le prêt aurait représenté une charge financière trop importante pour l'Etat chypriote. "Pour le FMI, il fallait s'assurer que la dette soit pérenne et qu'elle soit pleinement financée", a ainsi expliqué Christine Lagarde, directrice générale de l'institution, citée par Les Echos

Un tel engagement financier aurait par ailleurs obligé l'Etat chypriote à prendre des mesures d'austérité pesant lourdement sur ses citoyens, à l'instar des autres pays aidés, comme la Grèce ou l'Espagne. 

L'arbitrage est lié aux spécificités de l'économie chypriote. Paradoxalement, parce qu'elle touche aussi les comptes bancaires des citoyens étrangers, la mesure avancée serait donc plus équitable, a expliqué en substance Olli Rehn, commissaire européen aux affaires économiques, également cité par Les Echos"Avec ce prélèvement exceptionnel, nous instaurons une contribution proportionnée entre les résidents et les non-résidents pour sauver le système bancaire chypriote".

Cet argument repose sur une particularité du secteur financier chypriote, qui a notamment prospéré grâce à sa clientèle étrangère, russe en particulier. A tel point que son poids est aujourd'hui disproportionné par rapport à l'économie du pays : les actifs du secteur bancaire représentent plus de sept fois le PIB du pays, selon l'analyse des données du FMI réalisée par l'économiste Jacob Funk Kirkegaard, à comparer à deux à trois fois le PIB pour la plupart des autres pays européens.

Le choix du prélèvement sur les dépôts bancaires permet "que la répartition de la charge soit équitable et que le secteur bancaire, actuellement hypertrophié, soit réduit au fil du temps", résume Christine Lagarde.

Pourquoi certains économistes s'inquiètent

Dans ces conditions, quel est le problème, me direz-vous ? La réponse est simple, et elle est illustrée par les files d'attentes qui se sont constituées devant les banques chypriotes dès que la nouvelle s'est répandue dans le pays. 

Une contrepartie guère convaincante. Pour faire passer la pilule, le ministre des Finances chyprioteMichael Sarris, a annoncé que les déposants recevraient en échange de leur contribution forcée des parts dans les établissements bancaires.

Mais cette compensation ne fait guère illusion : vu la santé actuelle des banques concernées et la profonde restructuration qui les attend, ces parts ne vaudront sans doute pas grand chose.

Un précédent nuisant gravement à la confiance. Le danger est clair : voir les citoyens chypriotes, mais aussi européens, perdre la confiance dans les banques, dont ils savent désormais qu'elles peuvent ponctionner sans préavis leurs économies. Et le fait qu'elles agissent sur mandat des pouvoirs publics n'est qu'une maigre consolation. 

Pour les économistes, l'inquiétude s'étend au-delà des frontières de Chypre. "La question la plus intéressante est de savoir comment réagiront les épargnants dans le reste de l'Europe", souligne ainsi l'économiste Karl Whelan sur Forbes (en anglais). Et notamment en Espagne et en Grèce, où une destabilisation des banques liée à des retraites massifs aurait, vu le poids beaucoup plus important de ces pays, des conséquences lourdes sur toute la zone euro.

Certes, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a souligné qu'il s'agissait d'une mesure "spécifique" à Chypre, et ses concepteurs qu'elle ne serait mise en oeuvre qu'une seule fois. Mais, dans une crise où les dirigeants européens ont usé et abusé de la méthode Coué, "leurs promesses ne valent pas grand chose", souligne l'économiste.

Une remise en cause des fondements de la zone euro. Les conséquences du choix effectué à Nicosie sont donc potentiellement profondes, comme l'explique le professeur d'économie Alexandre Delaigue sur le blog Classe éco.

"Qu'est-ce que c'est qu'une monnaie unique? C'est le fait qu'un euro vaut la même chose partout", explique-t-il. Mais "l'accord chypriote signifie que si tous les euros sont égaux, certains sont plus égaux que d'autres, et que les euros dans une banque chypriote valaient moins que les euros dans les autres pays". Pour lui, c'est en quelque sorte "la fin de la zone euro" telle qu'elle a été originellement conçue : elle "n'est désormais plus une zone à monnaie unique, c'est un système dans lequel des pays différents ont des monnaies différentes tenues par une parité fixe".

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