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Chypre est sauvée, mais la troïka a du plomb dans l'aile

Les autorités européennes et le FMI sont sérieusement critiqués au lendemain de l'accord trouvé à Bruxelles. Négociations bancales, leadershiper défaillant.. Retour sur les failles révélées par la crise chypriote.

Article rédigé par Marion Solletty
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Trois représentants de la troïka à l'issue des négociations sur le plan de sauvetage de Chypre, le 25 mars 2013 à Bruxelles (Belgique) : de gauche à droite, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, et le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn. (JOHN THYS / AFP)

Un Etat au bord de la faillite, une contagion qui menace, des négociations jusqu'au bout de la nuit et, finalement, un accord à l'arrachée. Le scénario qui s'est joué dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 mars pour la survie de Chypre semble désormais familier. Sa chute aussi : l'annonce d'un accord permettant de "mettre fin aux incertitudes concernant Chypre et la zone euro".

Mais derrière l'apparente répétition d'un schéma rodé pendant les crises grecque ou irlandaise, se cache un mécanisme qui s'est sérieusement enrayé. La première mise en cause est celle qui est à la fois le pompier et le gendarme de la crise de la zone euro : la troïka, que forment le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et l'Union européenne (UE). Anatomie d'un passage à vide.  

Au cœur de la crise : un manque d'unité flagrant

Dans la résolution de la crise chypriote, il y a eu un premier tomber de rideau trompeur. Samedi 16 mars, l'UE, le FMI et Chypre annoncent un accord sur un plan de sauvegarde "durable, pérenne et dans l'intérêt de l'économie chypriote", selon les mots de Christine Lagarde, directrice générale du FMI. Mais l'annonce est sitôt faite que ces trois qualificatifs paraissent usurpés.

En cause : la fameuse taxe sur les dépôts bancaires, censée dégager les 5,8 milliards d'euros qui viendront s'ajouter aux 10 milliards fournis par le FMI et la zone euro. Cette mesure inédite, qui touche tous les épargnants, déclenche la fureur des Chypriotes et de sérieuses interrogations parmi les économistes.

"La Troïka imprime les euros et achète les nations." Des militants communistes chypriotes protestent contre le plan de sauvetage européen, le 24 mars 2013 à Nicosie (Chypre). (PATRICK BAZ / AFP)

Plus ennuyeux, elle est mal assumée par les Etats membres. Dès lundi, 48 heures à peine après l'annonce de l'accord, plusieurs gouvernements de la zone euro ouvrent la voie à des aménagements, voire critiquent à mots couverts le projet pourtant adopté en leur nom. Si Chypre veut "protéger les petits dépôts, il faut l'écouter", déclare ainsi le ministre des Finances français, Pierre Moscovici. "C'est la position que j'ai défendue, face à des positions beaucoup plus dures", ajoute-t-il dans ce qui ressemble fort à une volonté de se désolidariser de certains de ses confrères.

Même atmosphère à Berlin, où chacun semble vouloir renvoyer à son prochain la responsabilité de la taxe honnie : le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, rejette la responsabilité de la taxation des petits épargnants sur le gouvernement chypriote et la BCE. Jörg Asmussen, membre du conseil exécutif de l'institution et son représentant dans les négociations, rétorque que "ce n'est pas la BCE qui a poussé" pour cette option...

En coulisses : un mauvais compromis...

Pour l'observateur extérieur, à qui la taxe sur les dépôts bancaires a été présentée comme une contrepartie exigée de Chypre par la troïka, c'est à n'y plus rien comprendre.

En réalité, le schéma de la taxe tel qu'initialement présenté est le résultat de deux exigences difficiles à concilier. D'un côté, le FMI et certains Etats européens refusent un scénario dans lequel les banques chypriotes bénéficieraient d'un sauvetage sans contrepartie, alors même qu'elles s'étaient montrées peu regardantes sur l'origine des fonds qui leur avaient permis de prospérer. De l'autre, le gouvernement chypriote veut justement alléger autant que possible le fardeau sur les fortunes qui s'y sont installées, de peur de les voir fuir l'île.

Le résultat : le plan qui prévoit une taxe pesant sur tous les dépôts, y compris ceux des épargnants les plus modestes, est si peu acceptable qu'il est rejeté par le Parlement de Chypre seulement trois jours après avoir été négocié par son gouvernement. Dans la bataille, la troïka perd une bonne dose de crédibilité. 

...et des leaders sérieusement remis en cause

Parmi les trois têtes de cette hydre d'un nouveau genre, deux au moins ont chancelé. La posture de Christine Lagarde est ainsi directement critiquée par certains officiels européens, cités par le Financial Times (article payant, en anglais). Solide sur le fond mais trop rigide sur la forme, la directrice générale du FMI manquerait du sens politique de son prédécesseur, Dominique Strauss-Kahn, aux manettes au début de la crise de l'euro. Selon le FT, l'épisode chypriote aurait même laissé un sérieux froid entre les équipes du FMI et celles de la Commission européenne, plus enclines au compromis. 

Mais le leadership européen est celui qui a le plus souffert : le ministre des Finances néerlandais, Jeroen Dijsselbloem, successeur du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker depuis fin janvier à la tête de l'Eurogroupe (qui réunit les ministres des Finances de la zone euro), connaît là un baptême du feu cuisant. Tenu pour responsable du mauvais arbitrage rendu lors de ce premier round, il doit céder le premier rôle au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, lors du deuxième tour de négociations qui aboutit au nouvel accord. 

Les observations, postées sur Twitter, des nombreux journalistes présents sur place, dont celui de France 2, en attestent.

Fait rare, le Néerlandais écope pendant la semaine d'une mise en garde à peine voilée de son prédécesseur, qui fait état de ses "graves inquiétudes" concernant le premier plan. Et d'ajouter en plaisantant que ce dernier était forcément déficient, puisque c'était "le premier élaboré sans son aide". A Bruxelles, on rit sans doute jaune...

A l'arrivée : des dommages tous azimuts

Le processus, si laborieux qu'il soit, finit par aboutir : selon les termes de l'accord adopté lundi 25 mars, les dépôts inférieurs à 100 000 euros seront épargnés au prix d'une liquidation ordonnée de la deuxième banque du pays, qui pèsera essentiellement sur ses clients les plus riches.

Mais cette débâcle n'est pas sans conséquences pour les deux principaux intéressés, Chypre et la zone euro. La première ne peut espérer sauvegarder un modèle économique porté par son industrie financière : les plus gros clients des banques, qui devraient essuyer des pertes de l'ordre de 30% des sommes déposées, risquent fort de leur tourner le dos à tout jamais. 

Quant à la zone euro, elle a sérieusement entamé un capital durement acquis : la confiance de ses citoyens. "Même si finalement les petits déposants échappent au couperet, la remise en cause de la sacro-sainte garantie des dépôts bancaires [garantie européenne des dépôts inférieurs à 100 000 euros] ne sera pas oubliée", souligne ainsi l'économiste Charles Wyplosz dans une tribune publiée sur le site Telos. Sans compter le contrôle des capitaux, institué à Chypre pour éviter la fuite des fonds entreposés dans l'attente de la mise en œuvre du plan. Une mesure qui  contrevient aux principes fondateurs de la zone euro, rappelle notamment le think tank européen Bruegel. Pour Charles Wyplosz, la troïka a fait preuve dans cet épisode d'une "totale impréparation", laissant la zone euro "grandement fragilisée"En affaires, cela s'appelle un marché perdant-perdant.

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