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Mondiaux d'athlétisme à Pékin : l'attractivité de la Chine par le sport
Géant endormi de l'athlétisme, la Chine compte bien profiter des Mondiaux organisés sur son sol, à Pékin du 22 au 30 août, pour montrer au monde ce dont elle capable, grâce en particulier à l'apport de techniciens étrangers. Cela contribue à améliorer son attractivité.
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Temps de lecture : 7min
«Alors que les drapeaux flottent dans le vent, la Chine travaille à la réalisation d'un objectif majeur, l'augmentation de sa puissance douce. Non seulement grâce aux médailles d'or remportées par les athlètes chinois, mais par l'organisation réussie des Jeux, la Chine espère avoir amélioré son prestige et son attractivité aux yeux des autres pays», écrivait déjà Josephe Nye, le théoricien du concept de Soft Power, lors des Jeux Olympiques de 2008.
La «puissance douce», ou «soft power», théorisée par l'analyste américain Joseph Nye, c'est l’art d’influencer le monde par la persuasion, et donc par la culture, les idées, le numérique, les valeurs, au lieu de le faire par la coercition militaire ou diplomatique traditionnelle, le «hard power».
Ce concept développé dans les cercles militaro-diplomatiques américains, a été bien intégré par la Chine. «Il faut construire une superpuissance culturelle», clamait Xi Jinping lors du 17e Comité central du Parti communiste en octobre 2011. «La Chine dévoile un nouveau concept de soft power : le sport olympique», confirme Alisée Pornet, directrice du programme Géopolitique de l'Asie de l'institut Open Diplomacy.
«Il y a encore peu, les Jeux d’hiver étaient organisés par des pays développés. Que la Chine les accueille à leur tour, c’est un symbole. C’est également un moyen pour elle de dire qu’elle reste présente dans la course des leaders régionaux, entre la Corée du Sud en 2018 et le Japon en 2020» souligne Pim Verschuuren, chercheur à l’IRIS sur les questions sportives dans les relations internationales, dans une interview pour le Huffington Post.
Et sans les JO de 2008, il n'y aurait pas eu les jeux d'hiver programmés dans la capitale chinoise en 2022. Ces premiers jeux furent l'occasion pour la Chine de prouver qu'elle est capable d'organiser un évènement sportif d'envergure.
Quand l'athlétisme chinois s'éveillera
Il y a d'abord les chiffres, sévères : seulement six médailles (une en or, une d'argent et quatre de bronze), ramenées de Londres 2012 par des athlètes chinois. Une goutte d'eau dans le bilan olympique, au regard de la 2e place finale du pays asiatique au tableau des médailles (88 médailles dont 38 en or, 27 en argent et 23 en bronze).
Il y a ensuite un constat, amer : les figures de proue de l'athlétisme chinois se comptent sur les doigts d'une main dans l'histoire : Ni Chi Chin et Zhu Jianhua à la hauteur, et Liu Xiang, champion olympique 2004 du 110m haies et ancien recordman du monde, officiellement retraité depuis avril dernier.
Et il y a enfin l'histoire de certaines disciplines, qui témoigne qu'un immense travail reste à faire : depuis la création des Mondiaux en 1983, la Chine, qui compte 1,4 milliard d'habitants, n'a jamais réussi à placer un seul représentant homme ou femme en finale de sprint. Aucun en 14 éditions pour le 100, 200 et 400 m !
Faire appel aux connaissances des occidentaux
La course de fond a en revanche connu un âge d'or en 1993 en Chine. Un âge d'or à oublier, où les titres et les records du monde, toujours d'actualité, ne peuvent masquer les forts doutes autour de «l'armée de Ma» Junren, l'entraîneur qui disait donner à ses élèves une décoction à base de sang de tortues...
Alors, afin de briller enfin en athlétisme de manière honorable, les autorités chinoises ont pris le taureau par les cornes. Depuis plusieurs années, Pékin fait appel à des talents étrangers pour encadrer ses espoirs et accélérer leur croissance. C'est le cas pour la longueur et le triple saut, avec le recrutement de l'Américain Randy Huntington, ancien entraîneur de Mike Powell, recordman du monde du saut en longueur (8,95 m).
C'est aussi le cas pour la perche avec le Français Damien Inocencio, ancien entraîneur de Renaud Lavillenie lorsque celui-ci est devenu champion olympique à Londres. «En 2011, les Chinois étaient venus nous voir à Clermont. Ils ne comprenaient pas pourquoi un gars de 1,76m comme Renaud pouvait franchir 6 mètres alors que leurs perchistes de 1,90m en étaient loin», se rappelle le technicien, devenu entraîneur en chef de l'équipe de perche de Chine en 2014.
Transmettre une passion
«Il faut leur transmettre une passion, car les athlètes chinois n'ont pas cette culture de l'athlétisme que nous pouvons avoir en Europe ou aux Etats-Unis», explique-t-il. «Mon boulot est donc de donner à la Chine des clés pour que dans dix ans, ils soient très bons. Il y a une vraie volonté d'avoir des résultats sur les JO. Les championnats du monde de Pékin arrivent un peu tôt», note-t-il.
L'Italien Renato Canova, 70 ans, s'occupe du demi-fond. Un autre Italien, Sandro Damilano, de la marche. Les lanceurs de javelot peuvent picorer des conseils auprès de l'Allemand Uwe Hohn, recordman du monde de l'ancien javelot-planeur. Un de ses compatriotes guide les lanceurs de poids.
Les sauteurs en hauteur ont effectué des stages aux États-Unis, pour le plus grand bien, par exemple, de Guowei Zhang, 2e meilleur performeur mondial de la saison (2,38 m).
Finalement, seul le sprint reste encore le domaine réservé de techniciens chinois, mais les résultats sont aussi en progrès. Su Bingtian vient ainsi de porter le record de Chine du 100 m à 9 sec 99/100e, le 30 mai dernier à Eugene (Oregon), devenant de facto le premier Chinois de l'histoire sous les 10 secondes.
Au-delà du sport : un «soft power» efficace ?
En sport comme ailleurs, le travail chinois paye. L'inscription des étudiants étrangers en Chine a triplé, passant de 36.000 à 110.000 au cours des dix dernières années, et le nombre de touristes étrangers a également augmenté de façon spectaculaire, passant à 17 millions par an, avant même les Jeux olympiques. En outre, la Chine a créé quelque 200 Instituts Confucius à travers le monde pour enseigner la langue et la culture chinoise. Et tandis que la radio La Voix de l'Amérique a réduit ses émissions chinoises de 19 à 14 heures par jour, les émissions en anglais de Radio Chine Internationale sont passées à 24 heures par jour.
Quoi qu'il en soit, la «puissance douce» chinoise n'égale pas celle des Etats-Unis, qui investissent énormément pour leur rayonnement culturel à l'international. Avec le mastodonte qu'est Hollywood, et la forte attractivité des grandes universités américaines, la Chine fait face à un concurrent féroce. Et même si son influence est croissante ces dernières années, il s'agit, malgré tout, d'un pays fortement touché par la corruption, l'absence de structures démocratiques et de fortes inégalités. Comme l'écrit si bien Joseph Nye, «Espérons que les dirigeants chinois apprennent l'importance de la liberté d'expression comme condition du soft power.»
La «puissance douce», ou «soft power», théorisée par l'analyste américain Joseph Nye, c'est l’art d’influencer le monde par la persuasion, et donc par la culture, les idées, le numérique, les valeurs, au lieu de le faire par la coercition militaire ou diplomatique traditionnelle, le «hard power».
Ce concept développé dans les cercles militaro-diplomatiques américains, a été bien intégré par la Chine. «Il faut construire une superpuissance culturelle», clamait Xi Jinping lors du 17e Comité central du Parti communiste en octobre 2011. «La Chine dévoile un nouveau concept de soft power : le sport olympique», confirme Alisée Pornet, directrice du programme Géopolitique de l'Asie de l'institut Open Diplomacy.
«Il y a encore peu, les Jeux d’hiver étaient organisés par des pays développés. Que la Chine les accueille à leur tour, c’est un symbole. C’est également un moyen pour elle de dire qu’elle reste présente dans la course des leaders régionaux, entre la Corée du Sud en 2018 et le Japon en 2020» souligne Pim Verschuuren, chercheur à l’IRIS sur les questions sportives dans les relations internationales, dans une interview pour le Huffington Post.
Jeu trouble des Instituts Confucius, instruments politiques de Pékin http://t.co/59xmpnVC9J#géopolitique #softpower #Asie #Chine #culture
— Pascal Lorot (@PascalLorot) July 7, 2015
Et sans les JO de 2008, il n'y aurait pas eu les jeux d'hiver programmés dans la capitale chinoise en 2022. Ces premiers jeux furent l'occasion pour la Chine de prouver qu'elle est capable d'organiser un évènement sportif d'envergure.
Quand l'athlétisme chinois s'éveillera
Il y a d'abord les chiffres, sévères : seulement six médailles (une en or, une d'argent et quatre de bronze), ramenées de Londres 2012 par des athlètes chinois. Une goutte d'eau dans le bilan olympique, au regard de la 2e place finale du pays asiatique au tableau des médailles (88 médailles dont 38 en or, 27 en argent et 23 en bronze).
Il y a ensuite un constat, amer : les figures de proue de l'athlétisme chinois se comptent sur les doigts d'une main dans l'histoire : Ni Chi Chin et Zhu Jianhua à la hauteur, et Liu Xiang, champion olympique 2004 du 110m haies et ancien recordman du monde, officiellement retraité depuis avril dernier.
Et il y a enfin l'histoire de certaines disciplines, qui témoigne qu'un immense travail reste à faire : depuis la création des Mondiaux en 1983, la Chine, qui compte 1,4 milliard d'habitants, n'a jamais réussi à placer un seul représentant homme ou femme en finale de sprint. Aucun en 14 éditions pour le 100, 200 et 400 m !
Faire appel aux connaissances des occidentaux
La course de fond a en revanche connu un âge d'or en 1993 en Chine. Un âge d'or à oublier, où les titres et les records du monde, toujours d'actualité, ne peuvent masquer les forts doutes autour de «l'armée de Ma» Junren, l'entraîneur qui disait donner à ses élèves une décoction à base de sang de tortues...
Alors, afin de briller enfin en athlétisme de manière honorable, les autorités chinoises ont pris le taureau par les cornes. Depuis plusieurs années, Pékin fait appel à des talents étrangers pour encadrer ses espoirs et accélérer leur croissance. C'est le cas pour la longueur et le triple saut, avec le recrutement de l'Américain Randy Huntington, ancien entraîneur de Mike Powell, recordman du monde du saut en longueur (8,95 m).
C'est aussi le cas pour la perche avec le Français Damien Inocencio, ancien entraîneur de Renaud Lavillenie lorsque celui-ci est devenu champion olympique à Londres. «En 2011, les Chinois étaient venus nous voir à Clermont. Ils ne comprenaient pas pourquoi un gars de 1,76m comme Renaud pouvait franchir 6 mètres alors que leurs perchistes de 1,90m en étaient loin», se rappelle le technicien, devenu entraîneur en chef de l'équipe de perche de Chine en 2014.
#Pékin2015, des Mondiaux sous haute pression http://t.co/n4vgK1ypR1 #athletisme
— France tv sport (@francetvsport) August 21, 2015
Transmettre une passion
«Il faut leur transmettre une passion, car les athlètes chinois n'ont pas cette culture de l'athlétisme que nous pouvons avoir en Europe ou aux Etats-Unis», explique-t-il. «Mon boulot est donc de donner à la Chine des clés pour que dans dix ans, ils soient très bons. Il y a une vraie volonté d'avoir des résultats sur les JO. Les championnats du monde de Pékin arrivent un peu tôt», note-t-il.
L'Italien Renato Canova, 70 ans, s'occupe du demi-fond. Un autre Italien, Sandro Damilano, de la marche. Les lanceurs de javelot peuvent picorer des conseils auprès de l'Allemand Uwe Hohn, recordman du monde de l'ancien javelot-planeur. Un de ses compatriotes guide les lanceurs de poids.
Les sauteurs en hauteur ont effectué des stages aux États-Unis, pour le plus grand bien, par exemple, de Guowei Zhang, 2e meilleur performeur mondial de la saison (2,38 m).
Finalement, seul le sprint reste encore le domaine réservé de techniciens chinois, mais les résultats sont aussi en progrès. Su Bingtian vient ainsi de porter le record de Chine du 100 m à 9 sec 99/100e, le 30 mai dernier à Eugene (Oregon), devenant de facto le premier Chinois de l'histoire sous les 10 secondes.
Au-delà du sport : un «soft power» efficace ?
En sport comme ailleurs, le travail chinois paye. L'inscription des étudiants étrangers en Chine a triplé, passant de 36.000 à 110.000 au cours des dix dernières années, et le nombre de touristes étrangers a également augmenté de façon spectaculaire, passant à 17 millions par an, avant même les Jeux olympiques. En outre, la Chine a créé quelque 200 Instituts Confucius à travers le monde pour enseigner la langue et la culture chinoise. Et tandis que la radio La Voix de l'Amérique a réduit ses émissions chinoises de 19 à 14 heures par jour, les émissions en anglais de Radio Chine Internationale sont passées à 24 heures par jour.
Quoi qu'il en soit, la «puissance douce» chinoise n'égale pas celle des Etats-Unis, qui investissent énormément pour leur rayonnement culturel à l'international. Avec le mastodonte qu'est Hollywood, et la forte attractivité des grandes universités américaines, la Chine fait face à un concurrent féroce. Et même si son influence est croissante ces dernières années, il s'agit, malgré tout, d'un pays fortement touché par la corruption, l'absence de structures démocratiques et de fortes inégalités. Comme l'écrit si bien Joseph Nye, «Espérons que les dirigeants chinois apprennent l'importance de la liberté d'expression comme condition du soft power.»
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