Liaison Europe-Asie : la nouvelle route de la soie est sur les rails
Votre jean est peut-être venu de Chine par le train. Le groupe Geodis, la filiale fret de la SNCF, en a acheminé en juin lors d'un premier chargement pour le fabricant Kaporal. Les conteneurs partis de Wuhan (la capitale de la province de Hubei, dans le sud-est chinois) ont mis dix-huit jours pour parcourir 11.300 kilomètres en traversant sept pays : Chine, Kazakhstan, Russie, Biélorussie, Pologne, Allemagne et France. Sur cette nouvelle «route de la soie» ferroviaire, Geodis va effectuer trois chargements par semaine pour la marque.
Vingt conducteurs et huit locomotives
C'est en avril 2016, le 21 exactement, qu'a eu lieu l'événement : l'entrée en gare de Vénissieux-Saint-Priest, en banlieue de Lyon, du premier train de marchandises parti le 6 avril de Wuhan. Après une pause à Duisbourg, en Allemagne, qui reçoit depuis deux ans du fret en provenance de Chine, le convoi attendu vers 8 heures du matin est arrivé à 11h20. Seulement trois petites heures de retard pour une aussi longue distance!
Pour réaliser ce «véritable défi technique et humain», comme l'explique le directeur du réseau SNCF Auvergne/Rhône-Alpes (vidéo ci-dessous, publiée sur le site des Echos), il a fallu faire appel à une vingtaine de conducteurs et changer huit fois de locomotive en quinze jours de voyage. Et aussi transborder trois fois les marchandises (l'écartement des rails n'est pas le même entre la Chine et le Kazakhstan, ni entre la Biélorussie et la Pologne) contenues dans 41 conteneurs : du matériel informatique, électronique, des produits chimiques, des pièces automobiles...
Malgré ces difficultés techniques, cette liaison ferroviaire entre la Chine et la France présente de nombreux avantages. Le temps de transport est de douze à dix-huit jours, soit bien moins que par la voie maritime, préférée jusque-là pour acheminer la majeure partie des marchandises : le bateau met environ deux mois. Quant au coût, le transport par le train revient 80% moins cher que par avion. Plus rapide et plus économique : tout bénéfice pour les entreprises. Trois liaisons Wuhan-Lyon sont prévues par semaine. Le train chinois repartira en sens inverse avec des produits d'importation : véhicules, vin, cosmétiques et produits agricoles fabriqués en France.
Lyon et Wuhan, sœurs siamoises
Pourquoi Lyon ? Les liens historiques avec la Chine de la deuxième métropole de France remontent justement à la mythique route de la soie. C'est après deux missions commerciales en Chine que les soieries lyonnaises développées sous François Ier prennent, au XIXe siècle, un essor décisif, nous apprend le site du Nouvel Institut franco-chinois. Cet institut, créé en 1921, était «l'unique université chinoise hors de ses frontières» ; il a été rénové avec la mission de «donner une impulsion nouvelle à l'avenir des relations entre Lyon et la Chine». Et en 2014, c'est Lyon et l'IFC que le président chinois Xi Jingping choisit comme première étage de son voyage officiel en France.
Aujourd'hui, 80 entreprises chinoises (comme la société de télécoms Huawei ou le groupe électroménager Haier) sont installées en Rhône-Alpes. Selon une spécialiste des investissements chinois en Europe et en France citée par Libération, «leur stratégie est d’acheter des entreprises qui traversent des difficultés financières» après avoir déjà développé une technologie de pointe. «Ensuite, ils investissent massivement et ça repart.» Pour WAE (Wuhan Asia-Europe Logistics), l'entreprise chinoise qui organise le convoi ferroviaire Wuhan-Lyon, les infrastructures lyonnaises «ressemblent beaucoup à celles de Wuhan».
Inversement, «un tiers des investissements français en Chine est réalisé à Wuhan», précise-t-on à la mairie de Lyon. Des firmes comme Alstom, Citroën et Schneider Electric sont présentes dans cette ville qui a une longue histoire d'échanges avec la France. Wuhan est un grand centre industriel, où sont regroupées des marchandises venues des régions environnantes par bateau sur le Yangzi Jiang, par le train ou par la route.
«Ceinture économique» et flou stratégique
Cette nouvelle liaison entre la Chine et Lyon s'inscrit dans un grand projet stratégique dévoilé par le gouvernement chinois en 2015 : «One Belt, one Road», «Une ceinture, une route» (rebaptisé depuis «Belt and Road», «Ceinture et route»), qui veut mettre en place de nouvelles liaisons ferroviaires et maritimes avec plusieurs pays d'Europe. Il s'agit de former, à terme, «un cercle économique avec la route maritime reliant la Chine et l'Europe», explique un responsable ferroviaire chinois interrogé par la chaîne chinoise CCTV et cité par ViceNews. Des trains relient déjà seize villes chinoises et autant de villes européennes comme Madrid (la plus longue liaison ferrovaire du monde : 13.000 kilomètres !), Barcelone, Rotterdam ou Bologne.
Le projet du gouvernement chinois pour reconstruire la route de la soie comporte «un volet terrestre avec trois axes — vers la Russie, vers l'Asie de l'Ouest et vers la péninsule indochinoise —, mais aussi toute une partie maritime en coopération avec des ports birmans, indiens et pakistanais. Ce plan prévoit également des mesures politiques, numériques et culturelles, dans le but de créer un vaste espace de coopération "marqué par l'harmonie et l'amitié"», détaille ViceNews. Pour la Chine, l'enjeu est de renforcer sa place dans le commerce mondial. Et accessoirement de faire diversion sur certaines questions, celle des Ouighours du Xinjiang (que traverse la nouvelle «route de la soie») par exemple, en développant économiquement le Xinjiang.
Sur les pays partenaires (le projet s'adresse même à l'Afrique) et le tracé de cette «ceinture et route» règne un flou stratégique. La date de sa mise en œuvre n'a d'ailleurs pas été planifiée, mais ce serait à l'horizon 2050, si l'on en croit les spécialistes.
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