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Le pape François ou les limites de la normalité

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le pape François salue la foule peu après son arrivée à Rio de Janeiro (Brésil) lundi 22 juillet, où il doit assister aux Journées mondiales de la jeunesse. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Une erreur de parcours a mené le souverain pontife dans une rue bondée et survoltée, à Rio, à la veille des JMJ. Un peu plus tard, pour contourner une manifestation, il a dû monter à bord d'un hélicoptère.

L'histoire aurait pu mal tourner. Le pape François se rend au Palais du gouverneur, pour y rencontrer la présidente du Brésil, Dilma Roussef, lundi 22 juillet, en marge des Journées mondiales de la jeunesse de Rio (Brésil). Il troque la papamobile blindée contre une petite Fiat grise de série, lui qui taclait les prêtres "dans une belle voiture", au mois de juin. Mais lors du trajet, un policier se trompe de route, entraînant le convoi dans une rue bondée, au grand dam de la sécurité. En prise directe avec ses ouailles, le pape François, lui, garde le sourire. Un peu plus loin, rebelote, une manifestation bloque le passage. Cette fois, le pape prendra un hélicoptère.

Une foule immense salue le pape à son arrivée à Rio de Janeiro (Francetv info)

Depuis son élection, le pape François multiplie les gestes pour imposer l'image d'un pontife proche du peuple. Mais l'incident brésilien montre les limites de l'exercice. "Un pape est obligé de tenir compte des exigences de sa fonction. Il n'est plus prêtre et doit faire des concessions", résume Bernard Lecomte, auteur des Derniers secrets du Vatican (éd. Perrin) contacté par francetv info. La normalité de François est-elle en sursis ?

François, proche du peuple, affole la curie

Tout commence le jour-même de l'élection, le 13 mars. Jorge Mario Bergoglio apparaît au balcon de la basilique Saint-Pierre dans un simple habit blanc, et choisit son nom en référence à Saint François d'Assises, figure ascétique par excellence. Le ton est donné. Le pape fraîchement élu va chercher ses bagages à la résidence romaine, sans oublier de régler la note. Puis il lave les pieds de détenus d'une prison de Rome. A Lampedusa, il se mêle aux immigrés et défend leur condition. Lundi dernier, enfin, il embarque tout sourire dans l'avion, sa sacoche et ses papiers sous le bras. "En Amérique du Sud, des articles de presse expliquent qu'il a téléphoné lui-même à de vieux amis, vendeurs de journaux ou prêtres", explique à francetv info Hervé Yannou, auteur de Jésuites et compagnie (éd. Lethielleux). Cette spontanéité peut entraîner quelques soucis diplomatiques. Au terme de ses pérégrinations cariocas, lundi, le pape a rencontré la présidente brésilienne, Dilma Roussef, avec une heure de retard.

"Avec Benoît XVI ou Jean-Paul II, le chemin était tout tracé pour les services de sécurité, reprend Hervé Yannou. Ils apparaissaient à tel moment, à tel endroit." Les agents doivent désormais s'adapter, quitte à gommer – un peu – la simplicité réclamée par le pape. Et cela commence par le logement. François a boudé l'appartement pontifical, situé au 3e étage du palais apostolique. "Il n'était pourtant pas des plus luxueux", estime Bernard Lecomte. En lieu et place, il a élu domicile à la maison Sainte-Marthe, qui accueille traditionnellement les cardinaux de passage. "Je vis à la vue de tous et je mène une vie normale (...). Cela me fait du bien et cela évite que je sois isolé", expliquait-il en mai. Ce symbole fort, salué par Bernard Lecomte, entraîne toutefois de lourdes adaptations. "On voit bien les limites du genre. Cette institution est devenue une forteresse. Il a fallu agrandir toute une suite pour que le pape puisse recevoir des groupes. La chapelle, ouverte jusqu'ici, est maintenant surveillée par des gardes."

Le prêtre d'antan confronté à son nouveau rang

Chef spirituel et chef d'Etat, François n'est plus un simple prêtre. Avec ce déplacement au Brésil, "c'est peut-être la première fois qu'il se rend vraiment compte [des exigences de sécurité]", résume Bernard Lecomte. Les Journées mondiales de la jeunesse sont un événement gigantesque, qui rassemble 1,5 million de pèlerins. Au total, 30 000 policiers et militaires sont mobilisés pendant la semaine pour assurer la sécurité. "Comme dans tout grand rassemblement, il y a toujours un ou deux individus qui voudront attenter à sa vie", poursuit Bernard Lecomte. Un engin explositif artisanal a d'ailleurs été découvert, lundi, dans des toilettes publiques situées près de la basilique d'Aparecida, dans l'Etat de Sao Paulo où doit se rendre le pape mercredi. Avec ces menaces, la Fiat Idea risque-t-elle de rester au garage ? "Son intention est de sacrifier le moins possible aux obligations de sécurité", corrige Christine Pedotti, rédactrice en chef de la revue Témoignage chrétien, interrogée par francetv info. Elle le voit bien prolonger son séjour sur le continent, "pour se promener dans les rues de Buenos Aires".

Avant lui, Jean-Paul II a emprunté la même trajectoire, avant de déchanter. Dès son élection, en 1978, le premier pape polonais décide de célébrer la messe dans l'église paroissiale de Castel Gandolfo (Italie), commune de 9 000 habitants qui abrite également la villa d'été pontificale. "La foule est énorme. Le pape met deux heures pour atteindre l'autel", précise Hervé Yannou. Les services du Vatican retiennent la leçon et renforcent la sécurité les fois suivantes, en installant des cordons de sécurité. Alors que Jean-Paul II veut faire un peu de sport, la curie doit creuser une piscine dans la résidence. Etre normal l'oblige à verser dans l'extraordinaire. Mais surtout, le pape survit à un attentat, le 13 mai 1981, quand un homme lui tire dessus à plusieurs reprises, sur la place Saint-Pierre de Rome. Plus question de transiger. Des vitres pare-balles sont installées sur la papamobile et une distance minimale de 300 mètres est imposée pour séparer le pape des fidèles. Un coup dur pour celui qui affectionnait tant les bains de foule. "Il l'a mal vécu", reconnaît Bernard Lecomte.

"Les hiérarques de Rome vont sans doute essayer de ramener François dans le moule", résume Christine Pedotti. "Le pape est comme tous les gouvernants modernes. Ils font fi des conditions de sécurité. Puis au fur et à mesure, prennent conscience de l'ampleur de la charge et de leurs obligations", reprend Hervé Yannou. Il ne serait pas le premier : "François Hollande lui-même a relégué le président normal [aux oubliettes]." Après le pontificat austère de Benoît XVI, François bénéficie du feu vert de la curie romaine. Pour combien de temps ? Christine Pedotti a sa petite idée. "Le pape François veut continuer à vivre avec les gens. Je crois qu'il démissionnera, peut-être d'ici cinq ans. Cela correspond à son caractère."

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