Pourquoi la tension monte à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, où Varsovie compte déployer 10 000 soldats
Une opération à titre "dissuasif", selon Varsovie. La Pologne a l'intention de déployer, à terme, environ 10 000 soldats le long de sa frontière avec la Biélorussie, a-t-elle annoncé jeudi 10 août. "Quatre mille seront directement engagés dans les opérations de soutien à la police des frontières et six mille autres seront en renfort", a déclaré le ministre de la Défense. L'objectif est de déplacer des troupes "plus près de la frontière avec la Biélorussie, pour effrayer l'agresseur afin qu'il ne nous attaque pas", selon des propos rapportés par RFI.
Mercredi, le ministre avait déjà déclaré que 2 000 soldats supplémentaires seraient mobilisés lors des deux prochaines semaines, afin de sécuriser davantage cette partie de la frontière orientale polonaise. Autant de militaires sont déjà présents sur place. Les troupes en renfort effectueront surtout des exercices d'entraînement près de la frontière, a précisé le ministère de la Défense, cité par le Financial Times.
"Il est nécessaire de parler avec les Polonais. J'ai ordonné au Premier ministre de les contacter", a répondu vendredi le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, cité par l'agence de presse publique Belta. Le dirigeant accuse toutefois Varsovie de chercher "l'escalade, à aggraver la situation, afin de montrer qu'ils ont correctement armé et réarmé le pays" à l'approche des élections législatives polonaises, le 15 octobre prochain. Franceinfo fait le point sur la situation.
Des exercices militaires menés par Minsk
Les annonces polonaises interviennent après le début, lundi 7 août, d'exercices militaires biélorusses près de ses frontières avec la Pologne et la Lituanie. Selon le Financial Times, le ministère biélorusse de la Défense a expliqué que ces exercices se basaient sur les expériences de "l'opération militaire spéciale" russe en Ukraine – terme utilisé par Moscou pour décrire son offensive chez son voisin –, notamment en matière d'usage de drones.
Début août, deux hélicoptères biélorusses ont également volé dans la région polonaise de Bialowieza, très proche de la frontière avec la Biélorussie, affirme le gouvernement polonais cité par la BBC. Varsovie n'avait dans un premier temps pas fait état d'une violation de l'espace aérien national, avant de confirmer ce vol "à très basse altitude". De son côté, Minsk a nié tout franchissement de la frontière.
La crainte de "provocations" de Wagner
La Pologne s'alarme également de la présence en Biélorussie de paramilitaires du groupe russe Wagner, depuis la rébellion avortée de son leader Evguéni Prigojine, fin juin. Après ce coup de force, Vladimir Poutine avait proposé aux miliciens le souhaitant de rejoindre la Biélorussie.
Fin juillet, le Premier ministre polonais a affirmé qu'une centaine de membres du groupe paramilitaire s'étaient approchés de la ville biélorusse de Grodno, non loin de la frontière entre les deux pays. "La situation devient de plus en plus dangereuse", a alerté Mateusz Morawiecki, lors d'une conférence de presse. Les membres de Wagner "vont probablement se déguiser en garde-frontières biélorusses et vont aider des migrants en situation illégale à rejoindre le territoire polonais, pour déstabiliser la Pologne", a-t-il accusé, selon l'agence Reuters. L'opposition biélorusse, qui surveille les mouvements militaires dans le pays, a toutefois déclaré ne pas avoir recueilli de preuves d'une avancée vers Grodno.
Les jours suivants, les dirigeants polonais et lituaniens ont mis en garde face aux risques, selon eux, de "provocations" et d'"actes de sabotage" menés par les membres de Wagner basés en Biélorussie. "Notre réponse à la provocation est d'augmenter le déploiement de l'armée polonaise à la frontière orientale du pays", avait alors annoncé le ministre polonais de la Défense, cité par le New York Times. Wagner est "extrêmement dangereux", avait insisté le Premier ministre. Des propos appuyés par le président de la Lituanie, Gitanas Nauseda, lors d'une conférence de presse commune le 3 août. Selon lui, la présence de Wagner en Biélorussie est "un risque sécuritaire additionnel pour la Lituanie, la Pologne et les alliés de l'Otan".
Une activité incertaine de la milice en Biélorussie
Le ministère de la Défense biélorusse avait annoncé sur Telegram, en juillet, la présence de combattants du groupe Wagner au camp de Brestsky, près de la frontière polonaise, pour des exercices d'entraînement des troupes biélorusses. Selon le Premier ministre polonais, au moins 4 000 mercenaires seraient actuellement présents sur le territoire voisin.
"Le groupe Wagner continue de maintenir une présence dans des installations en Biélorussie", a confirmé, jeudi 10 août, le cercle de réflexion Institute for the Study of War (ISW). Ce dernier dénombrait mercredi, à l'aide d'images satellite, "un nombre significatif de véhicules au camp de Wagner de Tsel", dans le centre du pays. Il est possible que davantage de véhicules soient arrivés sur place "entre les 1er et 9 août".
Des sources ukrainiennes relayées par l'ISW font également état d'une activité croissante de Wagner dans la région de Brest, dans l'ouest du pays, tout près de la frontière polonaise. Des spéculations encore floues évoquent en parallèle un possible départ partiel de troupes de Wagner de la Biélorussie vers la Russie, rapporte le cercle de réflexion.
La peur d'une nouvelle instrumentalisation d'exilés
Selon le général Tomasz Praga, commandant en chef des garde-frontières polonais, environ 19 000 exilés ont essayé d'entrer en Pologne depuis la Biélorussie en 2023, contre 16 000 pour l'ensemble de l'année précédente. Un "record" a été recensé au mois de juillet, avec 4 000 tentatives de franchir la frontière. Face à cette évolution, les garde-frontières polonais ont demandé l'envoi de soldats supplémentaires à la frontière.
Selon Varsovie, Minsk, en lien avec Moscou, menace d'instrumentaliser des exilés et de les envoyer à la frontière polonaise pour déstabiliser l'Union européenne. Les services biélorusses sont devenus "un groupe criminel ordinaire qui organise la migration illégale", a accusé le général Tomasz Praga. "Il s'agit d'une opération organisée par les services spéciaux russes et biélorusses, de plus en plus intense", a à son tour fustigé le vice-ministre polonais de l'Intérieur, Maciej Wasik.
En 2021, plusieurs milliers d'exilés et de réfugiés originaires du Moyen-Orient et d'Afrique avaient tenté de passer en Pologne depuis la Biélorussie. Les Occidentaux avaient accusé Minsk d'avoir orchestré ces arrivées, afin de faire pression sur l'Union européenne. En conséquence, l'accès à la frontière avait été refusé à des médias et des organisations comme l'ONU. La Pologne avait aussi annoncé la construction de plus de 180 km de clôtures à sa frontière, et avait voté une loi controversée permettant les refoulements d'exilés.
Des élections qui approchent en Pologne
Comme le relève le Financial Times, l'annonce de troupes supplémentaires à la frontière interviennent au même moment qu'une autre : celle de la date des élections législatives en Pologne, fixées au 15 octobre prochain. Le parti nationaliste et conservateur Droit et Justice (PiS) fait de la sécurité une priorité pour obtenir plus de voix et se maintenir au pouvoir, analyse le journal économique américain.
"Il y a une vraie menace de la part de la Russie ou de la Biélorussie, mais vous devez vous rappeler qu'une campagne électorale est en cours", confirme auprès du Financial Times Maciej Milczanowski, politologue à l'université de Rzeszow (Pologne).
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