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Rébellion de Wagner : cinq questions sur l'avenir de la milice russe dirigée par Evguéni Prigojine

Les lendemains du groupe paramilitaire russe sont désormais très incertains, après le coup de force avorté le week-end dernier à quelques centaines de kilomètres du Kremlin.
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un extrait d'une vidéo publiée le 20 mai 2023 par Concord, une entreprise liée à Evguéni Prigojine, montre des membres de Wagner à Bakhmout (Ukraine). (TELEGRAM CHANNEL OF CONCORD GROUP / AFP)

Un futur trouble et une existence en suspens. Après la rébellion lancée par le leader de Wagner, Evguéni Prigojine, vendredi 23 juin, puis sa marche arrière 24 heures plus tard, l'avenir des membres du groupe paramilitaire russe et de leur chef semble bien incertain. "Vont-ils continuer à exister ? Comment s'appelleront-ils ? A qui rendront-ils des comptes ?", s'est interrogé dimanche l'élu russe Andrei Kartapolov, député à la Douma, auprès du journal Vedomosti, relève le New York Times. "Nous devons déterminer l'avenir", a-t-il estimé, ajoutant : "Nous devons probablement changer leur direction, nommer quelqu'un qui sera plus loyal". Voici cinq questions sur le destin post-rébellion du groupe Wagner.

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1Que propose désormais le Kremlin aux hommes de Wagner ?

Vladimir Poutine a pris la parole lundi soir, quelques heures après la diffusion d'un message audio d'Evguéni Prigojine. "Nous savons  que l'écrasante majorité des combattants et commandants du groupe Wagner sont également des patriotes russes, dévoués à leur peuple et à leur Etat", a affirmé le président russe. L'Institute For the Study of War (ISW), un groupe de réflexion américain, note que le chef d'Etat fait bien la distinction entre les paramilitaires de Wagner dans leur ensemble et les leaders de la rébellion. 

Dans son discours, Vladimir Poutine propose trois options aux combattants de la milice : "Continuer votre service pour la Russie en signant un contrat avec le ministère de la Défense ou toute autre agence de sécurité, ou rentrer chez vous. Ceux qui le souhaitent sont libres de se rendre en Biélorussie". Evguéni Prigojine a déjà opté pour cette troisième voie, comme l'a confirmé mardi après-midi le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, qui a annoncé l'arrivée sur son sol du leader de Wagner.

A travers son discours, le président russe "a cherché à  convaincre le plus de combattants et de dirigeants de Wagner possible de rejoindre l'armée russe et de continuer à se battre contre l'Ukraine", analyse l'ISW. En tenant ces propos, Vladimir Poutine a tenté "de faire en sorte que les individus les plus fidèles à Evguéni Prigojine s'auto-identifient". 

2Des membres du groupe paramilitaire pourront-ils vraiment rejoindre l'armée régulière ?

Pour l'ISW, Wagner pourrait "ne plus exister en tant qu'entité distincte ou unitaire" après cette rébellion. Début juin, le ministère de la Défense russe avait annoncé que les militaires "volontaires" devaient signer des contrats, et ce, avant le 1er juillet. Avec les événements de vendredi et samedi, le Kremlin pourrait décider de "démanteler les forces de Wagner opérant en Ukraine pour renforcer les formations militaires existantes", ou pousser les membres de la milice à rejoindre d'autres sociétés militaires privées affiliées au ministère de la Défense, analyse le groupe de réflexion américain. 

Une intégration de certains membres dans l'armée russe peut-elle s'opérer facilement ? "Au niveau des troupes de base, je ne pense pas qu'il y aura trop de problèmes. Mais cela me semble invraisemblable que certains lieutenants au sein de Wagner se rangent derrière le ministère de la Défense après ce qu'il s''est passé", estime Ulrich Bounat, chercheur associé chez Open Diplomacy et auteur de La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives ? (éd. du Cygne). "C'est une entreprise un peu compliquée. Il y a d'anciens prisonniers parmi les membres de Wagner, des combattants risquent de ne pas trouver leur place dans l'armée régulière", ajoute Carole Grimaud, analyste géopolitique spécialiste de la Russie.

Le début de la dislocation de la milice semblait enclenché en début de semaine. Lundi, Paval Krasheninnikov, président du comité de la Douma sur la législation et la construction de l'Etat, a déclaré que les sociétés militaires privées – à l'instar de Wagner – ne pourraient plus recruter de personnes condamnées. Désormais, "les contrats ne sont conclus qu'avec le ministère de la Défense"a-t-il ajouté, cité par l'agence russe Interfax. Le ministère de la Défense russe a également annoncé mardi que "des préparatifs sont en cours pour le transfert des équipements militaires lourds de Wagner aux unités actives des forces armées".

3Qu'est-ce qui attend les combattants de la milice en Biélorussie ?

Le média indépendant russe Vertska a rapporté lundi la construction de nouveaux camps en Biélorussie pour les combattants de Wagner, notamment un à Assipovitchy, dans la région de Moguilev, à 200 km de l'Ukraine, censé pouvoir accueillir environ 8 000 hommes. Mais Alexandre Loukachenko a démenti cette information mardi après-midi. "Nous ne construisons pas encore de camp", a assuré le président biélorusse, précisant toutefois que les hommes de Wagner pourraient installer des tentes sur des secteurs désaffectés, et que les autorités pourraient apporter leur concours.

L'allié de Vladimir Poutine pense également qu'il n'y aura jamais de centre de recrutement pour le groupe Wagner dans son pays. Il a en outre assuré que ces combattants ne seront jamais chargés d'assurer la surveillance des armes nucléaires tactiques qui sont transférées sur le territoire biélorusse depuis la Russie. "C'est notre mission", avec les Russes, "et je suis le responsable principal de la sécurité des armements".

"La Biélorussie n'offrira à Prigojine ou aux combattants de Wagner un refuge que si le Kremlin fait pression [sur Minsk]", prévient l'ISW. "Le Kremlin considérera probablement le personnel du groupe Wagner qui suit Prigojine en Biélorussie comme des traîtres, qu'il prenne ou non des mesures immédiates contre eux." Et d'ajouter : "Il est peu probable que le personnel du groupe Wagner en Biélorussie reste à l'abri d'ordres d'extradition russes". "Proposer l'exil en Biélorussie, c'est une sorte de cadeau empoisonné, une manière de les contrôler, mais à distance", abonde analyste géopolitique Carole Grimaud.

4Y aura-t-il d'autres poursuites après la rébellion ?

Après la volte-face d'Evguéni Prigojine samedi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait annoncé que "l'affaire pénale sera(it) abandonnée contre lui. Personne ne persécutera [les combattants de Wagner], compte tenu de leurs mérites au front". Mardi, les services de sécurité russes (FSB) ont confirmé que "l'abandon des poursuites a été décidé", car les participants à la rébellion "ont mis fin à leurs actions visant directement à commettre un crime".

Vladimir Poutine a pourtant continué à qualifier de traîtres "les meneurs de cette mutinerie", lors de son discours lundi soir. Pour Ulrich Bounat, un "permis de vivre" est peut-être garanti à court terme en Biélorussie pour Evguéni Prigojine, "mais à moyen et long terme, c'est plus discutable. La traîtrise est le pire des crimes aux yeux de Poutine". Pour le leader de Wagner, "la Biélorussie sera-t-elle une prison à ciel ouvert avant de décider de son sort ?", s'interroge Carole Grimaud. "Ce sera une épée de Damoclès au-dessus de sa tête pendant de longues années."

5Que va-t-il advenir des opérations de Wagner en Afrique ?

Fidèle Gouandjika, ministre conseiller spécial du président centrafricain, a déclaré lundi à l'AFP que la présence russe en Centrafrique se poursuivrait, avec ou sans Wagner. "La République centrafricaine a signé un accord de défense avec la Fédération de Russie et non avec Wagner, a-t-il souligné. Ils vont peut-être changer de chef, mais les soldats de Wagner continueront d'opérer pour le compte de la Fédération de Russie."

Selon l'analyste géopolitique Ulrich Bounat, "les activités de Wagner en Afrique vont continuer" car elles sont "bien utiles pour un pays mis au ban de la communauté internationale". "La Russie ne peut pas se permettre de laisser tomber ses alliés", sans compter les intérêts financiers de cette présence en Afrique, poursuit le chercheur.

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