Cet article date de plus de sept ans.

Thaïlande : une nouvelle Constitution taillée sur mesure pour les militaires

Les Thaïlandais sont invités à se prononcer par référendum, le 7 août 2016, sur la nouvelle Constitution du pays. Certains observateurs dénoncent une tentative de la junte militaire pour garder le pouvoir.
Article rédigé par zhifan Liu
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des militants déploient un tract contre la réforme constitutionnelle à Bangkok, le 16 juillet 2016. (LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP)

 
Tout débat autour de la nouvelle Constitution est interdit en Thaïlande. Pourtant, la population est appelée à donner son avis sur ce projet porté par l'armée.
 

Le projet de loi sur le texte constitutionnel prévoit que le Sénat sera entièrement nommé par les militaires, tandis que l’Assemblée nationale, elle, sera élue par le peuple. Le poste de Premier ministre devrait, lui, revenir à une personne non issue du pouvoir politique et qui ne sera pas élue. Nombre d'observateurs estime déjà qu'un militaire en chassera un autre. Actuellement, le pays est dirigé par le général-Premier ministre, Prayuth Chan-ocha, depuis le coup d'Etat militaire de mai 2014.

Les adversaires du texte voient dans son contenu l'influence de l'armée. Il faut dire que les membres de la Commission de rédaction de la constitution (CDC), chargés de la rédiger, ont tous été nommés par les chefs militaires.

«C'est très clair, ce projet de constitution est anti-démocratique» déclare Andrea Giorgetta, responsable du bureau Asie du Sud-Est de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), interviewé par Géopolis. «D'ailleurs, Meechai Ruchupan, qui a présidé à la rédaction de cette Constitution a rédigé celles écrites après les coups d'Etat de 1990 et 2006. Les militaires ne prennent pas de risque» poursuit-il.
 

Peine de prison et débats interdits
Au nom de la «sécurité nationale», les militaires ont mis sous tutelle les médias du pays. Résultat : toute chaîne de radio ou de télévision qui critique le nouveau projet de loi pourra être interdite de diffusion.

Les journalistes qui critiqueraient le projet sont passibles de 10 ans de prison. C'est ce que risque Taweesak Kerdpoka, collaborateur du média en ligne indépendant Prachatai: les autorités l'ont arrêté au prétexte qu'il possédait des tracts critiques envers le gouvernement, et des stickers «Votez non» au projet de nouvelle Constitution.

Depuis avril, 41 personnes ont été arrêtées selon Andrea Giorgetta. «La peur d'aborder le sujet du référendum est palpable, en particulier chez les journalistes. Il y a beaucoup d'autocensure parce que le pouvoir n'hésite pas à utiliser des lois comme le Computer Crime Act (qui punit les atteintes à la sécurité nationale sur internet NDLR) pour les poursuivre».

Résurgence des divisions politiques
Le référendum sera l'occasion de dresser le bilan de la politique de l’armée au pouvoir. L’ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra, a d'ores et déjà qualifié le vote de «mascarade». Renversé en 2006 par l’armée, il vit désormais en exil à Dubaï. Meneur des Chemises rouges, il s’est toujours opposé à l’armée, au contraire des Chemises jaunes, soutien de l’alliance entre les militaires et la royauté.

Le conflit entre les «Rouges» et les «Jaunes» ne cesse de cliver la Thaïlande. Les Chemises jaunes trouvent leur électorat parmi l'élite et les habitants urbanisés des grandes villes. Les Chemises rouges sont, elles, majoritairement soutenues par les populations des campagnes et des périphéries urbaines, souvent modestes. Elles avaient d'ailleurs élu la soeur de l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra : Yingluck, elle aussi renversée par les militaires en 2014.


Le chef de la junte et Premier ministre thaïlandais, Prayut Chan-O-Cha. Ce général est à l'origine du coup d'Etat du 22 mai 2014 qui a démis la Première ministre Yingluck Shinawatra, soutenue par les Chemises rouges. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Même certains partisans des militaires s'interrogent, eux aussi, sur le régime que la junte veut instaurer. Premier ministre de 2008 à 2011, et leader du Parti démocrate, Abhisit Vejjajiva a ainsi critiqué une Constitution qui allait «à l’encontre de la démocratie».

Pour se justifier, la junte affirme que ce nouveau projet a pour but de mettre fin à l’instabilité qui paralyse la vie politique thaïlandaise : depuis l’instauration de la monarchie constitutionnelle en 1932, le pays a connu 19 coups d’Etat.

Objectif non avoué
Mais ce pourrait bien être un autre objectif que les militaires ont en tête : celui de faciliter une transition royale qui s'annonce difficile.


Malgré un système de monarchie constitutionnelle, le roi a réussi à garder une grande influence, y compris dans les affaires quotidienne du pays (il est d'ailleurs protégé par l'une des lois de lèse-majesté les plus sévères au monde). Or, le souverain, âgé de 88 ans, a un état de santé très fragile et pourrait bientôt abdiquer. Son fils, le prince Vajiralongkorn est pressenti pour prendre sa suite, malgré son impopularité auprès des Thaïlandais.

«La couronne approuvera sans nul doute la Constitution. (...) La succession pourrait intervenir cette année mais doit être validée par le Parlement. C’est pourquoi il est si important pour l’armée de s’assurer de son contrôle sur le législatif», analyse Pavin Chachavalpongpun, professeur associé au Center For Southeast Asian Studies de Kyoto et interrogé par L'Humanité.
 

Le 5 décembre 2015, les Thaïlandais fêtaient le 88e anniversaire du roi. Affiches et photos du souverain sont omniprésentes dans le pays. Les remarques considérées comme insultantes sont sévèrement punies. (GUILLAUME PAYEN / ANADOLU AGENCY / AFP)

Le responsable Asie du Sud-Est de la FIDH relève que si certains articles de la Constitution ne donnent la primauté aux militaires que pour 5 ans, cela leur donne un pouvoir à plus long terme. Une manipulation du système institutionnel bien réfléchie. «En ayant des pouvoirs exceptionnels pendant cinq ans, ils ont la possibilité de choisir deux Premiers ministres (dont le mandat est de 4 ans). Ils peuvent donc contrôler l'avenir du pays pour au moins huit ans.»

Pour parvenir à ses fins, l’armée est prête à tout. Quitte à arrêter deux jeunes filles de 8 ans, accusées d’avoir déchiré des listes électorales du prochain référendum. Si les fillettes n’iront pas en prison, la loi interdisant l’incarcération d’enfants de moins de 10 ans, cet épisode montre bien la nervosité de la junte à l’approche du vote.
 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.