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Taïwan : la redécouverte de la «Terreur blanche» grâce… à un jeu vidéo

Le 28 février 1947, Tchang Kaï Chek ordonne que l’on tire sur des émeutiers, faisant des milliers de morts à Taïwan. L’île célèbrera, le 28 février 2017, le 70e anniversaire du massacre, prélude d’une période connue sous le nom de «Terreur blanche». Aujourd’hui, un jeu vidéo, qui met en scène la répression menée jusqu’en 1987 par les nationalistes du Kuomintang, connaît un important succès.
Article rédigé par franceinfo
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Un homme politique taïwanais, James Soong, président du Premier parti du peuple (People First Party), visite une exposition de photos consacrée à la «Terreur blanche» le 1er septembre 2000. Celle que l'on voit devant lui montre un homme, accusé d'espionnage, emmené par des militaires pour être fusillé. (AFP - James Huang)

En 1947, Taïwan sort à peine d’un demi-siècle de colonisation japonaise. En Chine continentale, le mouvement Kuomintang, conduit par le généralissime Tchang Kaï-Chek et gangréné par la corruption, affronte les communistes de Mao Tsé-Toung. La guerre civile tourne à l’avantage des troupes du second. Deux millions de nationalistes doivent alors se replier sur l’île, qu’on appelle alors Formose, sous la protection de l’armée américaine.

Le Kuomintang «instaure la fiction d'un État qui représenterait toute la Chine (son nom officiel est ‘‘République de Chine’’ (…)Il impose sa férule aux habitants de l'île, Formosans de souche et descendants d'anciens colons chinois, au total environ 6 millions d'âmes», raconte le site historique herodote.net. Commence alors, sous le règne de Tchang Kaï-Chek et de son fils, la période dite de la «Terreur blanche», qui va durer jusqu’en 1987, lorsqu’est levée la loi martiale. Aux dires des documents officiels, environ 140.000 personnes ont alors été jugées par les tribunaux militaires au cours de cette période. Entre 3000 et 8000 d’entre elles auraient été exécutées. Mais pour nombre de spécialistes, ces chiffres sont inférieurs à la réalité.

La disparition d’un professeur
Un jeu vidéo d’horreur, intitulé «Detention» et créé par des développeurs taïwanais, met en scène ces évènements dramatiques, avec des références culturels au bouddhisme et au taoïsme. Les joueurs campent le rôle de deux lycéens qui tentent de résoudre le mystère de la disparition, dans l’île, de l’un de leurs enseignants. Dans l’une des scènes les plus dramatiques, on peut voir un de leurs camarades pendu dans l'auditorium de l'établissement. Dans une autre, une élève console sa mère en pleurs avant d'entrer dans une pièce où des portraits pleurent des larmes de sang.

Nombre de victimes de la «Terreur blanche» étaient des enseignants ou des médecins mécontents de la corruption généralisée. Ceux-ci se tournaient vers des organisations clandestines jugées subversives par le pouvoir du Kuomintang. Les créateurs de «Detention» ont fait appel aux souvenirs de leurs propres familles pour coller à la réalité jusque dans les détails. Exemple : les uniformes portés à cette époque par le personnel éducatif.

Extrait du jeu «Detention» (capture d'écran du site Stream) (DR (capture d'écran du site Stream))

Le développeur Yao Shuen-Ting explique avoir voulu reproduire la peur envahissante de l'époque, lorsque disparaissaient proches et collègues. «Nous voulons que les joueurs fassent l'expérience de cette atmosphère du point de vue des personnages (..) pour parvenir eux-mêmes à la conclusion que c'était une époque où on pouvait mourir pour avoir lu un livre», dit-il.

Le jeu est destiné aux plus de 15 ans et coûte 299 dollars de Taïwan (neuf euros).

Exportation
A Taïwan, «Detention» fait connaître une période sombre de l’histoire. Il fait aussi réfléchir sur le sens d’un régime démocratique durement acquis. «La démocratie actuelle s'est construite sur des cadavres dont le sang a coulé pour former des rivières», dit un joueur taïwanais.

«Detention» s'est exporté, grâce à des amateurs, en Chine, en Europe et aux Etats-Unis.

Yao Shuen-Ting se dit surpris par le succès commercial de son jeu, en particulier à l’étranger. Les joueurs à l’extérieur de l’île «ne connaissent pas le contexte historique, alors ils sont plus objectifs», pense-t-il.

«Je ne crois pas avoir jamais vu une telle sensibilité et une telle profondeur de vue sur nos vies intérieures et la société», juge un critique étranger cité par l’AFP. «C'était une expérience très émotionnelle, très enrichissante, je suis très reconnaissant de n'avoir pas vécu à une époque et dans un endroit aussi terrifiants», dit un autre joueur étranger. La preuve qu’un jeu numérique peut être aussi efficace qu’un livre ou un film.

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