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Les civils, victimes d’un conflit oublié au sud de la Thaïlande

Des législatives partielles se sont tenues le 2 mars en Thaïlande sur fond de tensions politiques entre pro et anti-Thaksin Shinawatra, dont la sœur est au pouvoir à Bangkok. Mais la crise tend à occulter une insurrection meurtrière, dans le sud musulman du pays, à la frontière avec la Malaisie. Un conflit qui a fait quelque 5.900 morts depuis 2004 et n’épargne ni les femmes ni les enfants.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Veuves de guerre thaïlandaises dans l'atelier poterie du village de Rotan Batu, le 19 septembre 2013. (AFP/Christophe Archambault)

Les civils payent en effet un lourd tribut à ce conflit vieux d’un siècle, réactivé en 2004 après l’assassinat de quatre militaires puis le massacre de la mosquée de Kue Sue (107 civils tués, la plupart exécutés). Et qui ravage les provinces de Pattani, Yala, Narathwat et Songkhat, peuplées à 80% de Malais musulmans, comme le décrypte Le journal international.
 
Depuis 2004, «les provinces du sud ont été envahies par les forces de sécurité et la zone ressemble désormais à un camp militaire», où les hauts-gradés oscillent entre coercition et corruption, indique l’universitaire Rattiya Saleh pour le site.
 
Sur le terrain, les rebelles (une nébuleuse de plusieurs groupes musulmans) et les militaires s’affrontent. Les activistes combattent une supposée discrimination contre la population d'ethnie malaise et de religion musulmane (si la Thaïlande est majoritairement bouddhiste, l’islam est pratiqué librement dans cette région).
 
Les difficultés économiques de certains villages de la région, en dessous du seuil de pauvreté, et une «précarité structurelle (qui) favorise les trafics en tout genre, notamment le trafic de drogue en provenance de Malaisie», selon le site, font également le lit de la violence.
 

Province de Narathwat, le 18 février 2014. Des policiers et des démineurs thaïlandais sur le lieu d'un attentat à la bombe attribué à des séparatistes. ( AFP PHOTO / MADAREE TOHLALA)

Une courte accalmie
La violence est omniprésente dans la région. Pourtant, dans les années 80, la présence des militaires a permis d’instaurer une paix relative, renforcée par une politique sociale et un dialogue entre communautés, mis en place par Bangkok.
 
Une paix remise en question à partir des années 2000, quand Thaksin Shinawatra alors au pouvoir a supprimé les institutions officielles «de dialogue» et augmenté le rôle des policiers au détriment de celui de l'armée. Le tout sur fond de nationalisme exacerbé. 
 
Dix ans de tueries plus tard, la fin du conflit n’est pas en vue. Les négociations de paix entamées il y a un an entre les rebelles du Front national révolutionnaire (Arisan Revolusi Nasional) et le gouvernement sont aujourd’hui au point mort. La crise politique qui secoue depuis plusieurs mois Bangkok y est pour quelque chose.
 
Des civils pris en tenaille
La majorité des victimes sont des civils, pris en étau entre l'armée thaïlandaise (qui rafle de nombreux innocents), les milices d’Etat (qui recrutent des enfants et des femmes, selon JolPress) et les insurgés. Ces derniers s'en prennent aussi bien aux bouddhistes qu'aux musulmans, toujours suspectés de collaboration avec les autorités. Les assassinats et les violations des droits de l’Homme sont légions dans l’un ou l’autre des camps.

 
Si, selon les autorités, 400 femmes ont été tuées depuis dix ans, 2.700 bouddhistes ou musulmanes sont reconnues comme veuves de guerre, leur mari ayant été tué par l’un ou l’autre camp. A ce titre, elles touchent une pension de 100 euros par semaine, ce qui ne leur suffit pas pour satisfaire aux besoins élémentaires de leur famille. Et encore moins à offrir une éducation à leurs enfants. D’autant que les établissements scolaires sont détruits par les rebelles, les enseignants sont assassinés, ou les écoles servent de camp de base aux forces gouvernementales, comme l’a dénoncé en 2010 HRW.
 
Des femmes au foyer sans éducation
Dans cette région conservatrice, les musulmanes sont confinées au foyer, à s’occuper de familles nombreuses. Une récente enquête de la fondation Justice pour la paix montre qu’elles ont une éducation limitée qui les condamne à des métiers sous-payés ou au chômage. Certaines d’entre elles ne parlent pas assez le thaï pour faire des démarches administratives, comme porter plainte.
 
Selon la réalisatrice thaïlandaise Noi Thammasathien, qui travaille sur la question des femmes, certains signes d'émancipation existent. Ils sont liés à la situation : «Le rôle des femmes s'étend (...) parce que beaucoup d'hommes malais musulmans sont diminués, parce  qu'ils sont suspectés par les autorités, en prison, ou morts.»
 
Ainsi, de plus en plus d'entre elles rejoignent des organisations de la société civile appelant à la fin de l’impunité généralisée, à la justice et à la défense des droits de l'Homme. Un petit pas vers un avenir meilleur.

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