Cet article date de plus d'onze ans.

L'immigration clandestine en Australie: le politique contre l'humain

A compter du 1er août 2013, l’Australie ferme ses frontières aux clandestins qui sont désormais expulsés vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Près de 16.000 réfugiés sont arrivés par bateau dans le pays depuis janvier 2013. Plusieurs organisations dénoncent des atteintes aux droits de l’Homme dans les centres de rétention.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Demandeurs d'asile sur un bateau de pêcheur le 24 mai 2011 après le naufrage de leur embarchation au large des côtes indonésiennes. Ils avaient l'intention de se rendre sur l'île de Christchurch, territoire australien le plus proche de l'île indonésienne de Java. (Reuters - Stringer)
«A partir de maintenant, tout demandeur d'asile qui arrivera en Australie par bateau n'aura aucune chance d'être autorisé à rester dans le pays comme réfugié», a averti le 19 juillet 2013 le Premier ministre Kevin Rudd en présence de son homologue de Papouasie, Peter O'Neill. Les Nations Unies se sont dites «troublées» par la nouvelle loi.
 
Nombreux naufrages
Selon les chiffres officiels, l’immigration clandestine a augmenté ces dernières années de façon importante : au 19 juillet 2013, près de 16.000 migrants étaient arrivés à bord de 220 bateaux sur les côtes australiennes, contre un peu plus de 17.000 pour toute l’année 2012.

Naufrage d'un bateau chargé de réfugiés près de l'île australienne de Christmas en décembre 2010
Channel 9 (Perth, Australie), 15-12-2010
 
L’Iran est le principal pays d’origine des boat-people, qui passent par l’Indonésie : un réfugié sur sept arrive de la République islamique. Les autres viennent d’Irak, d’Afghanistan, du Pakistan ou du Sri Lanka.

Les candidats au voyage prennent des risques très importants en embarquant sur des embarcations totalement inadaptées à la navigation en pleine mer dans les eaux houleuses du Pacifique. En 10 ans, entre 2003 et 2010, près de 1000 personnes se sont noyées en tentant de rejoindre l’Australie, dont 600 depuis 2009.

L'Australie expulse les clandestins
euronewsfr, 19-7-2013

Un problème avant tout politique
La «difficile décision» de les expulser vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée a été prise pour assurer la sécurité aux frontières, a précisé Kevin Ruud. «Notre pays en assez des passeurs qui exploitent les demandeurs d’asile. Il en a aussi assez de les voir se noyer en haute mer », a-t-il ajouté.

Au-delà, l’immigration est un problème politique majeur pour le gouvernement travailliste qui craint de perdre les prochaines élections. Car l’opposition libérale (conservateurs) fait de la surenchère sur le dossier. S’il revient au pouvoir, son dirigeant, Tony Abbott, a promis de demander à l’armée australienne de renvoyer les bateaux de réfugiés en Indonésie quand il n’y aura pas de risque pour leur sécurité («when safe to do so»).
 
La question empoisonne le débat politique depuis des années. En 2012, le gouvernement travailliste de Julie Gillard avait rouvert en catastrophe les camps de rétention de Nauru, micro-Etat insulaire du Pacifique (qui n'est pas tenu par les conventions en matière de droits de l'Homme), et de l’île de Manus, territoire de l’Etat de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Une manière d’«exporter» le problème…
 
Ces camps avaient été ouverts en 2001 par le Premier ministre conservateur d’alors, John Howard, et fermés une première fois par les travaillistes en 2007. Une décision prise à l’époque par un Premier ministre qui s’appelait déjà… Kevin Ruud. En 2010, renversé par un putsch interne au sein de son propre parti, il avait alors expliqué qu’il ne fallait pas effectuer de «virage à droite» sur le dossier de l’immigration. Revenu au pouvoir en 2013 après avoir renversé sa prédecesseure (qui lui avait succédé trois ans plus tôt…), il veut «apparaître plus viril que Julia Gilard et plus réactionnaire que Tony Abbott», estime un universitaire australien, James Hathaway, cité par The Economist

Les réfugiés au centre du débat politique
afpfr, 19-8-2010
 
«Les leaders politiques de tous les partis ont tendance à sous-estimer la capacité de l’Australie d’intégrer des étrangers. L’année dernière, le pays a accueilli (légalement) 200.000 immigrants» constate l’hebdomadaire libéral britannique. En 2011, il «a accepté 3% des demandes d’asile déposées dans les pays industrialisés», proportion qui correspond à peu près au poids de sa population au sein de ces pays, poursuit le journal. Autrement dit, le pays n’accueille pas plus de réfugiés que d’autres.

Atteintes aux droits de l’Homme
De leur côté, les défenseurs des droits de l’Homme attirent l’attention sur la situation plus que précaire des clandestins. L'UNHCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés) dénonce ainsi les conditions d’accueil dans le camp de transit installé sur l’île de Manus. Un camp qui, «malgré des améliorations récentes, n’est toujours pas en conformité avec les normes internationales en matière de protection pour l’accueil et le traitement des demandeurs d’asile».
 
En novembre 2012, Amnesty évoquait les «conditions cruelles» dans le camp de rétention de Nauru «résultant d'un mélange toxique d'incertitude, de détention illégale et de conditions de vie inhumaines». Dans de telles conditions, les détenus «craquent», constate l’Armée du salut, une organisation chrétienne citée par le quotidien australien The Age. Ils citent notamment le cas d’un homme vautré «dans la saleté, souffrant d’un syndrôme psychotique pendant plusieurs jours sans être soigné».

Ce n’est sans doute pas un hasard si des émeutes ont éclaté dans le centre de Nauru le 20 juillet, peu après l’annonce du durcissement de la politique d’immigration. Les 500 détenus, armés de couteaux et de barres de fer, ont pris le contrôle du centre. Près de la moitié d’entre eux se sont échappés et plusieurs bâtiments ont été incendiés, selon un photographe local.

La situation est telle que l’ancien Premier ministre Malcom Fraser, aujourd’hui âgé de 83 ans, au départ très droitier et devenu un «champion de l’immigration», a demandé une commission d’enquête sur la situation à Manus et Nauru. Des camps qu’il n’hésite pas à comparer à des «goulags australiens», du nom de l’ancien système des camps de travail forcé en URSS...  

Pourquoi les demandeurs d'asile viennent en Australie
L'interview d'un défenseur des droits des réfugiés, Mark Goudcamp, CNN, 4-7-2013

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.