Cet article date de plus d'onze ans.

Comment la Chine choisit ses leaders

Le Congrès du Parti communiste, qui s'est ouvert jeudi 8 novembre et doit durer une semaine, est la dernière étape d'un long et complexe processus de sélection.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le futur numéro un chinois Xi Jinping (debout), le 15 mars 2008 à Pékin. (PETER PARKS / AFP)

CHINE – Les premiers dirigeants communistes chinois, Mao Zedong puis Deng Xiaoping, tiraient leur légitimité de leur participation à la révolution de 1949. Jiang Zemin, puis Hu Jintao, avaient été choisis par la seule volonté de Deng au début des années 1990. Xi Jinping, le prochain numéro un chinois qui prendra le pouvoir dans quelques jours à l'issue du 18e Congrès qui s'est ouvert jeudi 8 novembre, est quant à lui le fruit d'un processus complexe et opaque voulu par les successeurs de Mao pour institutionnaliser la transmission du pouvoir et assurer la pérennité du parti.

En théorie, si l'on en croit les statuts du Parti communiste chinois, les membres du comité permanent du bureau politique, le saint des saints du pouvoir chinois, sont élus par les 80 millions de membres que compte le Parti communiste, au terme d'une cascade de scrutins où les échelons inférieurs du parti votent pour élire leurs supérieurs. 

En réalité, le processus est inversé. Le comité permanent du bureau politique choisit les membres des échelons inférieurs, et les invite ensuite à approuver sa propre liste de candidats pour le comité. Cette liste n'est annoncée qu'au dernier moment, à l'issue des congrès qui se tiennent tous les cinq ans. Cette année, on ne connaîtra pas les noms des dirigeants qui rejoindront Xi Jinping et Li Keqiang avant le 15 novembre.

"Il faut être bien vu des grands camarades"

Comment se déroule cette sélection ? "Les dirigeants actuels sont en grande partie sélectionnés selon trois critères : leur bilan comme administrateurs dans les provinces, leurs patronages politiques et, enfin, leurs réseaux", analyse Kerry Brown, directeur du Centre d’études chinoises de l’université de Sydney (Australie) et auteur d'une biographie du numéro un chinois, Hu Jintao: China’s Silent Ruler (Hu Jintao : le dirigeant silencieux de la Chine).

Leur bilan. Avant de parvenir au sommet du régime, les jeunes dirigeants font leurs armes dans les trente et une provinces, municipalités et régions autonomes que compte le pays. Leurs performances, particulièrement la croissance et le maintien de la stabilité, sont observées de près à Pékin.

Mais ce critère n'est pas si déterminant pour d'éventuelles promotions. "S'ils veulent que vous ayez de bons résultats, ils vous nomment dans un endroit où vous aurez de bons résultats, explique Bo Zhiyue, chercheur à l'université de Singapour. Xi Jinping a été nommé dans le Zhejiang [une province côtière très dynamique]. Cette province a de bons résultats, avec ou sans lui. Mais le fait qu'il ait travaillé là-bas lui a donné l'image d'un dirigeant performant." De mauvais résultats ne sont pas non plus éliminatoires si le dirigeant en question dispose de solides soutiens.

Hu Chunhua (au centre, avec des lunettes) est l'un des favoris pour la succession de Xi Jinping en 2022. (CHINA DAILY / REUTERS)

Patronages et réseaux. Le cas de l'actuel numéro un de Pékin est un bon exemple de l'importance des réseaux dans la carrière d'un homme politique chinois par rapport à son bilan. En effet, les inondations mortelles qui ont frappé la capitale chinoise en juillet n'ont pas provoqué la démission de Guo Jinlong, pas plus qu'elle ne devrait empêcher ce proche du président Hu Jintao d'entrer au bureau politique cette année. "En Chine continentale, la loyauté l'emporte toujours sur la compétence", confiait au South China Morning Post (article payant en anglais) le professeur Hu Xingdou, de l'Institut technologique de Pékin.

"Il faut être bien vu des grands camarades", ajoute Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au Centre d'études des relations internationales (Ceri) de Sciences-Po. "Si vous avez de bons amis haut placés, vous allez probablement recevoir de l'aide", ironise Bo Zhiyue. Dans son duel avec Li Keqiang pour la succession de Hu Jintao, Xi Jinping aurait ainsi profité du soutien de Zeng Qinghong, son prédécesseur au poste de vice-président et bras droit de l'ancien numéro un Jiang Zemin, comme le raconte le South China Morning Post (article payant en anglais).

La limite d'âge. A ces critères difficiles à apprécier s'ajoute la règle de la limite d'âge, fixée en 2007 à 68 ans pour les membres du comité permanent afin de mettre fin au mandat à vie. De la même manière, la Constitution chinoise limite le mandat du président, également numéro un du parti, et du Premier ministre, numéro trois, à deux mandats de cinq ans.

Cette nouvelle règle apporte une certaine prévisibilité au sein d'un régime jusque-là habitué aux purges et révolutions de palais. Le successeur de Hu Jintao, Xi Jinping, était ainsi clairement identifié depuis 2007. Et la course à la succession de Xi Jinping, qui quittera le pouvoir en 2022, est aussi bien balisée. Premiers représentants de la sixième génération (née dans les années 1960) à être nommés à la tête d'une province chinoise en 2009, Hu Chunhua et Sun Zhengcai sont les favoris.

"Ce système de cooptation arrive à bout de souffle"

Plus pacifié, ce système a permis la première transition sans heurts de l'histoire du régime entre Jiang Zemin et Hu Jintao en 2002. Il impose également un renouvellement régulier de l'élite dirigeante chinoise. Mais l'importance des réseaux pose un problème de légitimité. "Ce système de cooptation, et non d'élection, arrive à bout de souffle, constate Stéphanie Balme, chercheuse au Ceri, de retour d'une mission de dix ans en Chine. C'est tellement rigide que les personnalités brillantes sont rejetées, le système ne sélectionne que des gens qui sont interchangeables. C'est un défaut qui risque de l'amener à sa perte."

Conscient des défauts du système, le parti tente de moderniser le dispositif, via notamment ce qu'il appelle "la démocratie interne au parti". Depuis le Congrès de 2007, un sondage informel sur les candidats au comité permanent du bureau politique est conduit auprès d'un groupe de 300 à 400 dirigeants quelques mois avant le Congrès. "Quelle est la valeur de cela ? On n'en sait rien !" relativise cependant Jean-Philippe Béja, chercheur au CNRS et au Ceri. Les résultats de cette consultation ne sont évidemment pas publics.

La dernière apparition publique de Bo Xilai, le 13 mars 2012 à Pékin. (RI XI SZ / IMAGINE CHINA / AFP)

La tentative (ratée) de Bo Xilai

Dans sa métropole de Chongqing, Bo Xilai a tenté d'aller encore plus loin, en adoptant une nouvelle stratégie, moderne et médiatique, pour gagner sa place au sein du comité permanent. "Il a essayé de forcer la main, en mettant en place des projets pilotes dans sa ville, avec une base populaire et une gestion du pouvoir personnalisée. Il a essayé de se faire "élire" par la vox populi", raconte Stéphanie Balme. Il a même tenté, par pur opportunisme, de se trouver un espace politique, à la gauche du parti, du côté des néo-maoïstes, en remettant au goût du jour des chants de la Révolution culturelle, lui dont la mère fut tuée pendant cette période.

Mais l'expérience Bo Xilai a tourné court. Hu Jintao, le président, et Wen Jiabao, le Premier ministre, ont soigneusement évité de visiter Chongqing lorsque Bo était au pouvoir. Selon le journaliste hong-kongais Willy Lam (article en anglais), Hu a même demandé à la Commission d'inspection du parti, chargée des questions de corruption, d'enquêter sur le bras droit de Bo, Wang Lijun. L'exclusion de Bo Xilai du Parti communiste en septembre 2012, pour corruption, relations sexuelles impropres et sa responsabilité dans le scandale entourant le meurtre d'un Britannique par sa femme, a donc été largement interprétée comme une victoire du camp Hu-Wen sur la gauche du parti. Malgré la volonté des dirigeants chinois de pacifier le régime, les vieilles recettes ont la vie dure.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.