Cet article date de plus de sept ans.
Birmanie: «Le Vénérable W.», moine extrémiste, filmé par Barbet Schroeder
Après «Général Idi Amin Dada» (1974) et «L’avocat de la terreur» (2007), le cinéaste Barbet Schroeder s’attelle au «vénérable W.» W pour Wirathu, moine bouddhiste extrémiste, qui prône la violence contre la minorité musulmane de Birmanie. Il analyse ainsi au scalpel un aspect moins connu du pays. Pays souvent incarné en Occident par Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1992...
Publié
Temps de lecture : 7min
«Toutes les religions ont une face claire qui prêche la paix et la bienveillance, mais la sagesse du bouddhisme à cet égard est inégalable et augmente notre perplexité», explique Barbet Schroeder dans le dossier de presse du Vénérable W. A voir le film, qui sort le 7 juin 2017, on se rend compte que même la religion bouddhiste, souvent admirée pour sa tolérance, a une face fort sombre…
Le cinéaste prend parti. Mais il s’efforce à l’objectivité en filmant, autant que faire se peut, toutes les parties. Il a longuement rencontré Wirathu qui intervient tout au long du film. Il a aussi rencontré ses adversaires, notamment des dirigeants bouddhistes, des représentants de victimes et des observateurs étrangers. On peut cependant s’étonner que l’identité et la fonction de ces intervenants ne soient données qu’à la fin du film…
«Crimes contre l'humanité»
Le bouddhisme est la religion largement majoritaire en Birmanie: elle regroupe 88% de la population, contre 4% de musulmans. Barbet Schroeder a enquêté «sur place, dans la ville la plus bouddhistes du monde, Mandalay (seconde cité du pays, NDLR), qui compte plus de 300.000 moines pour un million d’habitants». Ces derniers «suivent tous la tradition du Theravada, qui est la plus proche du bouddhisme originel».
W. raconte lui-même son itinéraire. Né en 1968, il est fils d’un porteur d’eau. Il affirme qu’il est devenu antimusulman le jour où, à l’âge de 14 ans, il aurait vu le viol d’une enfant de 12 ans par un adepte de l'islman. Il est devenu moine à l’âge de 17 ans.
Il commente la montée de son influence qui a conduit au fur et à mesure à des persécutions à grande échelle contre la minorité musulmane de Birmanie. Wirathu amalgame cette dernière à celle des Rohingyas, groupe musulman arrivé du Bengale il y a plusieurs siècles, tellement ostracisé que l’ONU a dénoncé «des crimes contre l’humanité» à leur encontre. Le «Vénérable» compare les adeptes de l'islam à des «animaux». Pour les qualifier, il emploie indistinctement les termes de «Bengalis» (donc non-Birmans) ou de «kalars». Ce dernier terme raciste a le même pouvoir de nuisance que celui de «Nigger» aux Etats-Unis, précise Barbet Schroeder...
«Peur de la disparition de la race»
Dans le film, le religieux, s’il sourit parfois, présente la plupart du temps un visage impassible. Citant Bouddha, il fonde sa haine de l’islam sur la «peur de la disparition de la race» birmane, assimilant en permanence religion et race. On est frappé de l’omniprésence de la sexualité dans son argumentaire.
Selon lui, les musulmans fonderaient leur stratégie sur le sexe. Riches, ces derniers attireraient les femmes bouddhistes, leur feraient ensuite renier leur religion et leur feraient beaucoup d’enfants. Un autre moine, U.Kaylar Sa, de la même génération que W. mais qui lui est idéologiquement opposé, fait valoir que le religieux extrémiste détourne le propos du Bouddha: quand ce dernier parle de «protéger la race», il veut en fait dire qu’il faut «protéger l’humanité entière».
Malgré les avertissements de ses adversaires, les discours de W., diffusés sur cassettes et fondés sur la peur, connaissent de plus en plus de succès au fil des années auprès de la population birmane. Tout en demandant à ce que les musulmans «n’aient plus d’endroits pour vivre», il n’hésite pas à lancer un appel contre les «moines corrompus» qui pactisent avec l’armée. Ce qui, au passage, montre les luttes de pouvoir au sein de l’institution religieuse.
L’influence de Winathu
La situation des musulmans a empiré au fur et à mesure des années. Dans le film, des cartes montrent l’extension des persécutions et des violences à tout le pays: pogroms, déplacements de population. Des violences extrêmes souvent filmées par des amateurs à l’aide de téléphones portables. Et dont Barbet Schroeder reprend sobrement les images pour en montrer toute l’horreur.
La passivité de l’armée est étonnante. Les militaires sont souvent présents lors des persécutions. Sont-ils complices du moine extrémiste? Pourtant, craignant les réactions internationales, ils ont tenté de s’opposer à lui. Ce dernier, que le journal La Croix dit proche des services secrets birmans, a ainsi été emprisonné de 2003 à 2010. Son mouvement, le 969 (chiffres symboliques du bouddhisme) a été interdit en 2013.
Mais son influence n’a cessé de s’étendre. Le «Vénérable» a créé un autre parti, le Ma Ba Tha, beaucoup plus structuré que le précédent (mais officiellement dissous par le clergé bouddhiste birman en mai 2017). L’argent ne manque pas, fourni par des hommes d’affaires qui cherchent à glaner des contrats, laisse entendre le film. Il est notamment utilisé pour une stratégie de communication très élaborée, qui a notamment consisté à envahir les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, Wirathu parle de plus en plus haut et fort. Début 2015, il n’hésite pas à traiter de «putain» la rapporteure de l’ONU Yanghee Lee, de passage à Rangoun. Cette dernière s’était élevée contre les discriminations touchant les Rohingyas… Filmé avant l’élection présidentielle aux Etats-Unis, il estime devant Barbet Schroeder que les Américains «doivent choisir Donald Trump». Vœu exaucé…
Et Aung San Suu Kyi dans tout ça?
Une question reste en suspens: quelle est l’attitude de la prix Nobel Aung San Suu Kyi, arrivée au pouvoir en avril 2016? On remarquera qu’il est très peu question d’elle dans Le Vénérable W. Selon le film, celle qui est officiellement ministre des Affaires étrangères et conseillère d’Etat, «a veillé à ce qu’aucun musulman ne puisse se présenter aux dernières élections».
Elle-même est sans doute prise entre le marteau et l’enclume, surtout après l’assassinat de son conseiller juridique, un musulman, Ko Ni. Elle «a été rapidement dépassée par la situation», explique Barbet Schroeder. Pourtant, elle défend «sans retenue les exactions des militaires» contre les Rohingyas dans l’Etat de l’Arakan (nord-ouest). Et va jusqu’à «qualifier de ‘‘fake news’’ (fausse information, NDLR) leur utilisation systématique de l’arme du viol pourtant analysée en détail» par différents observateurs, organisations et journalistes…
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.